Un mur infranchissable

Les hasards de l’actualité sont parfois éloquents. Hier, se télescopaient trois événements sans lien entre eux mais qui éclairent d’une lumière bien noire notre vie politique. A l’Assemblée Jérome Cahuzac était auditionné par la commission chargée de tirer tous les enseignements de son “affaire”. On en attendait qu’il révèle qui, dans l’appareil d’Etat, aurait pu se rendre complice de son mensonge fiscal. Au même moment ou presque Bernard Tapie, mis en garde à vue, devait tenter d’expliquer les conditions dans lesquelles il put soutirer 403 millions d’euros à un Etat tout à fait consentant. Et c’est encore hier que l’on a appris que Ziad Takieddine, intermédiaire de contrats d’armements pour le compte de la France, avait finalement avoué à un juge d’instruction avoir utilisé une partie des commissions qui lui étaient versées au titre de ces contrats pour financer la campagne électorale de Balladur, alors premier ministre, à la demande du directeur de cabinet de ce dernier. Ces trois nouvelles n’ont rien à voir entre elles bien sûr. Elles se rapportent toutes trois à des faits anciens. Jérôme Cahuzac parle d’une erreur du passé. La candidature présidentielle de Balladur date du siècle dernier. Tout comme d’ailleurs l’affaire Adidas qui conduisit le pouvoir, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à accepter sans rechigner d’être dépouillé au profit d’un homme d’affaire déjà condamné par les tribunaux pour corruption et fraude fiscale. Elles ont toutes un dénominateur commun: l’arrogance et le sentiment d’impunité qui va avec. Comment un homme brillant comme Jérôme Cahuzac a-t-il pu se faire publiquement le champion de la lutte contre la fraude fiscale, en tant que ministre du budget, alors qu’il disposait d’un compte clandestin en Suisse? Fallait-il que ses fonctions lui soient montées à la tête, pour qu’il s’imagine pouvoir faire ainsi acte du plus total et immoral cynisme, sans risquer d’être rattrapé par la République! Ce même sentiment d’impunité que devaient avoir Balladur et ses proches, si les faits qui leurs sont reprochés sont vérifiés. Cette arrogance que partageaient forcément ceux qui se seraient mis d’accord, à la façon d’une bande organisée d’escrocs nous disent les juges, pour spolier l’Etat au profit de Tapie. Il y a quelques années, à la fin des années 80, on inventa des lois sur le financement des partis politiques pour en finir avec les scandales. Depuis, la justice n’a cessé d’égrèner le chapelet des affaires. Comme s’il y avait une fatalité à ce que les hommes politiques perdent au fil de leur ascension toute conscience des réalités, et des valeurs qu’ils sont supposés défendre en notre nom. A chaque fois qu’un de ces élus en qui nous avons confiance tombe dans les filets d’un juge, on s’empresse de lui trouver des excuses: il n’y a pas eu d’enrichissement personnel… ou encore les classique “tout le monde le fait”. Comme si utiliser son pouvoir, et l’argent de la collectivité, pour assurer sa propre carrière, ou la victoire de son parti n’était pas vraiment condamnable. Et l’on parle des rémunérations des élus qui seraient trop faibles, ou encore des règles de financement des partis, qui sont bien mieux adaptées à la réalité dans d’autres pays… Peut -être, mais pendant ce temps, un candidat du Front National est à deux doigts de battre en duel son adversaire de l’UMP dans une législative partielle. Il est urgent d’en sortir. D’oublier toute complaisance. D’élever un mur infranchissable entre la vie politique et l’affairisme. D’interdire définitivement l’accès à toute fonction élective à tous ceux qui fautent, gravement comme légèrement. De supprimer les immunités diverses, et protections, qui permettent à un ancien président d’être intouchable ou aux Guerini et consorts de continuer à prétendre représenter l’intérêt général. D’imposer une transparence totale. De donner tous les pouvoirs de contrôle aux juges. Le projet de loi sur la transparence, qui est adopté en ce moment au parlement, est un premier pas, et on ne peut que s’en réjouir. Mais il faudra aller encore plus loin, et vite. Au risque de jeter la suspicion sur l’ensemble de la classe politique? C’est déjà fait! De faire du voyeurisme comme on l’a tant entendu à propos du projet de loi sur le sujet. Ce n’est pas grave! D’alimenter ainsi les votes extrêmes. Tant pis! Au stade ou nous en sommes, ce qui nourrit de façon certaine le vote extrême, c’est la confusion des genres, les petits arrangements entre amis, et la complaisance coupable. Si notre République ne parvient pas à y mettre fin, et à réaffirmer de façon incontestable la nature sacrée des valeurs qui la fondent, alors oui, elle sera en grave danger.

1 réflexion sur « Un mur infranchissable »

  1. Question:
    quel est le plus difficile: rendre plus propre le paysage politique français ou le tour de France cycliste?
    Dans les 2 cas, c’ est pas gagné et il y a du pain sur la planche…

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