Syrie: les buts et les moyens

Les principales puissances occidentales semblent donc décidées à passer outre l’autorisation de Moscou pour se lancer dans une opération punitive en Syrie. D’après la plupart des chancelleries, il serait maintenant acquis et prouvé que le régime du tyran Assad a bien procédé à une attaque chimique contre sa population. C’était la ligne rouge fixée par Obama, elle a été franchie, l’Amérique ressort ses missiles Tomahawk et va faire tomber la foudre, peut-être dès demain, sur la Syrie d’Assad. On nous promet une guerre éclair, quelques jours à peine. Et l’on doit reconnaître que les Américains ont en la matière une véritable expérience, avec des succès divers.

La première question posée par une telle intervention est celle de sa légitimité. Est-il légitime de mener une attaque contre la Syrie sans l’aval du Conseil de Sécurité? Oui, répondent les autorités américaines, anglaises ou françaises, parce que Assad a violé la légalité internationale en utilisant des armes de destruction massive contre des femmes et des enfants de son propre peuple. Et les trois d’invoquer le précédent du Kosovo, où l’Otan intervint contre l’avis de Moscou pour empêcher un génocide. L’intervention serait donc illégale, en l’absence d’accord du Conseil de Sécurité, mais légitime en raison du danger que fait planer Assad sur son peuple. Soit. On peut suivre les chancelleries sur ce point et admettre que l’opération qui s’annonce est légitime. Il est effectivement des principes supérieurs au droit, et l’interdiction de massacrer des enfants en fait partie.

Mais si cette opération est légitime, il s’agit bien d’un acte de guerre. Et dans toute guerre, la question principale, au delà des souffrances qu’elle implique inévitablement pour les populations civiles qui n’ont rien demandé, est celle des objectifs. C’est à l’aune de ses buts que l’on doit juger de son opportunité. C’est aussi la réalisation ou non des objectifs de cette guerre qui en déterminera la fin, et l’éventuel succès ou échec. Mais sur ce terrain, la position des alliés est beaucoup moins nette. S’agit-il simplement de “punir” Bachar Al-Assad? Dans ce cas on se demande si la question de la légitimité ne se repose pas. Qui peut s’ériger en vengeur international, au nom de l’humanité ? Ni l’Amérique, ni aucun de ses alliés, assurément. On préfèrerait de loin qu’il s’agisse, de façon beaucoup plus claire, d’empêcher le tyran de Damas de recourir à nouveau aux armes chimiques. Mais là, le but de guerre paraît hors d’atteinte des Tomahawks de la Maison Blanche. Au contraire, on peut craindre que Assad ne soit poussé à utiliser très vite à nouveau ses armements non-conventionnels pour prouver à ses ennemis qu’ils ne l’impressionnent pas. Aussi performants que soient les services de renseignements américains, la destruction à distance de tous les sites potentiels de stockage d’armes chimiques en Syrie semble illusoire.

A moins que l’objectif ne soit la chute de Bachar Al-Assad. Là encore, les missiles d’Obama ne permettront pas d’y parvenir. A défaut d’envoyer une force internationale le déloger de son palais, ce que personne ne souhaite, armer les rebelles de façon conséquente serait sans doute beaucoup plus efficace. Mais aussi aventureux. Dans le chaos qui règne actuellement en Syrie, il serait impossible de contrôler que les armements en question ne tombent pas aux mains des terroristes du Front Al-Nosra qui sont en guerre contre Assad mais son liés à Al Qaeda, et retourneraient sans vergogne les armes en question contre les intérêts occidentaux si l’occasion leur en était fournie. Ajoutons qu’obtenir la chute du dictateur ne constituerait pas en soi une issue acceptable et un objectif suffisant, comme le démontre le chaos qui règne actuellement en Irak. Aider le peuple syrien à retrouver la paix nécessitera une action de longue haleine, qui ne sera possible que si l’ensemble de la communauté internationale, Russie incluse, agit de façon concertée. C’est donc d’abord sur Poutine que les occidentaux devraient exercer leurs pressions. Avec le risque d’un retour à une forme de guerre froide, dont le combat entre sunnites et chiites qui gagne du terrain de la Syrie au Liban, en passant par l’Irak ou Bahrein, serait la toile de fond. Face à la complexité et aux multiples implications du conflit Syrien, les missiles apparaissent donc d’abord comme une façon de prouver que l’occident ne reste pas inerte face à la barbarie à l’œuvre en Syrie… Un but de guerre bien modeste, pour une opération dont la durée autant que les conséquences restent imprévisibles.

 

Melenchon: toujours plus!

C’est Marine Le Pen qui ironisait il y a quelques jours sur le fait qu’elle pourrait nommer Mélenchon responsable de la communication du Front National… Il est vrai que celui-ci n’avait ces derniers jours que son parti à la bouche. Le Front National dont Hollande serait le principal “pourvoyeur”, le Front National encore qui aurait “contaminé” Manuel Valls. Quand Mélenchon veut blesser ses “partenaires” de gauche, il les accuse d’être d’extrême droite. Ou les traite de criminels, les accusant par avance de se préparer à perpétrer un “crime”, contre le peuple de France, en remettant en question les avantages acquis sur les retraites sous le prétexte de redresser les finances publiques du pays. On dit que l’excès nuit en tout. Si c’est le cas, le parcours politique de Mélenchon devrait se compliquer. Car il s’obstine. S’enferre dans un discours toujours plus populiste, caricatural, toujours plus méprisant à l’égard de ses anciens amis du parti socialiste qu’il a quitté il y a cinq ans. Pire encore, lorsque son allié du jour le secrétaire national du Parti Communiste, Pierre Laurent, lui reproche par presse interposée d’en faire un peu trop dans “la provocation et l’invective”, celui-ci a droit comme les autres au mépris mélanchonesque: “ j’ai si mal vécu que Pierre Laurent réponde de manière quasi instantanée, dans un garde-à-vous si impeccable, aux injonctions d’Harlem Désir…” L’intéressé était déjà un peu irrité par son bouillant associé, on peut imaginer que la répartie ne l’aura pas rasséréné. Evidemment, le contexte politique n’est pas favorable au leader du Front de Gauche, et participe sans doute de son énervement. Les municipales approchent et les communistes qui administrent de nombreuses communes ne sont pas prêts à une rupture avec les socialistes. Ils ont besoin d’eux pour conserver leurs mandats, et ne suivront donc pas Mélenchon dans son jusqu’au-boutisme anti-socialiste. C’est pour celà que Mélenchon se tourne vers les écologistes pour tenter de faire liste commune avec eux au premier tour des municipales. On devine une stratégie qui consisterait à profiter des états d’âme écologistes, meurtris pas le peu d’enthousiasme écolo du président, pour les attirer sur des positions plus radicales et les éloigner des socialistes. Mais pour l’instant les écologistes sont au gouvernement et savent eux-aussi ce que leur coûterait une rupture avec leurs alliés. Alors Mélenchon isolé? Voué à la marginalisation, comme l’espèrent les socialistes? Pas si sûr! En tout cas pas encore. D’abord il a un indéniable talent politique. Ensuite, les communistes lui doivent beaucoup puisqu’il les a tirés de la ringardise. Enfin son populisme est en soi une assurance contre l’oubli. A force de parler “dur et cru”, comme il dit, parce ce que c’est un langage que tout le monde “comprend tout de suite”, on finit toujours par rassembler du monde autour de soi. On s’expose aussi à se voir opposer les convergences avec l’autre populisme, celui d’extrême droite, même si l’amalgame est tout aussi excessif que ses propres propos. Mais surtout, à trop dire que le discours politique doit être caricatural et outrancier pour être compris par l’électeur, celui-ci, qui est peut-être plus subtil que ne le pense Jean-Luc Mélenchon, finira peut-être par se lasser d’être pris pour un imbécile.

 

Consensus international

Bien sûr, on ne peut totalement exclure une macabre mise en scène. On se souvient de la façon dont en 1989 l’ensemble de la presse mondiale avait été abusée, au moment de la chute de Ceaucescu, en Roumanie, par la soi-disant découverte de charniers recélant des milliers de cadavres, avant de comprendre qu’il s’agissait de propagande. Mais les images dans leur horreur sont troublantes et semblent bien démontrer ce qu’affirment les opposants syriens. Assad aurait bien franchi une étape supérieure dans la terreur et la barbarie, en gazant massivement des populations civiles dans son propre pays. Hélas, que ce soit vrai ou faux, que Assad ait franchi ou pas cette “ligne rouge” dont parlait Obama, cela ne changera pas grand-chose à l’issue de la guerre. Personne ne peut douter que le régime syrien soit capable sinon coupable de ce dont on l’accuse aujourd’hui. Personne ne peut douter non plus du fait que la communauté internationale laissera dans tous les cas les Syriens s’entretuer jusqu’au dernier. L’impuissance de l’ONU n’est plus à démontrer. Fallait-il pour autant y ajouter, le ridicule, la pantomime sordide d’inspecteurs réduits au silence par le pouvoir syrien, autorisés par lui à enquêter sur des supposés sites d’anciennes attaques chimiques, pendant que sous leurs yeux ou presque on massacre femmes et enfants sans discernement. Quelle humiliation! “Il faut d’urgence enquêter parce que si c’est vrai c’est très grave”, nous disent sur tous les tons depuis 48 heures les responsables politiques occidentaux. C’est cela, enquêtons, enquêtons… Et laissons croire que si par cas… on pourrait faire un malheur. Mais personne ne fera rien. Une bonne fois pour toutes la situation est bloquée. Les Russes sont allés trop loin pour lâcher Assad, quoi qu’il fasse, quelles que soient les limites qu’il franchit dans la barbarie. Et ni les Américains, ni les Européens, ne défieront jamais Poutine sur ce terrain. Ils se contenteront au plus d’encourager saoudiens et qataris à refiler les armes qu’ils leur ont vendues aux insurgés syriens qui pourront ainsi faire durer encore quelques mois ou années cette guerre sanglante. C’est le seul consensus international qui semble possible sur la crise syrienne. Les russes arment le régime, qui est soutenu par le camp chiite irano-irakien-libanais. Les régimes sunnites de la région arment les rebelles avec la bénédiction des occidentaux, et l’on fera une conférence internationale de paix et de reconstruction à la fin, quand les deux armées qui s’affrontent estimeront que suffisamment de civils ont été massacrés. Cela rappelle la guerre Iran-Irak, déjà entre sunnites et chiites, où les deux camps avaient bénéficié de suffisamment de soutien en armement pour que la guerre dure huit ans sans qu’aucun camp l’emporte, sinon celui des cimetières: 1,2 millions de morts. En Syrie on vient de franchir la barre des 100 000 morts, mais cela peut encore durer longtemps.

Les saisons du Caire

L’Egypte s’enfonce dans le chaos. La réconciliation nationale nécessaire à la poursuite du processus démocratique semble hors d’atteinte, et pour longtemps. Le printemps arabe semble maintenant si loin! Les massacre commis par la police et l’armée égyptiennes sont indignes et intolérables. Et les échanges de tirs d’armes automatiques entre police et militants retranchés dans un minaret, diffusées largement par les télévisions, ne suffiront pas à donner une quelconque légitimité à la répression mise en œuvre. Les Frères musulmans ne s’étaient pas comportés jusqu’ici en Egypte comme des “terroristes”. Cette version officielle, sensée justifier les massacres de l’armée, n’est pas sérieuse. Le président Morsi a été élu par le peuple d’Egypte à l’issue d’une consultation démocratique. Et le niveau record d’impopularité auquel il était arrivé dans les jours qui ont précédé le putsch militaire ne le rendait pas illégitime pour autant. Nous connaissons et avons connu des présidents de la République impopulaires dans notre pays sans que quiconque songe à leur demander de quitter leur poste avant échéance… si l’on excepte le crétin qui fait actuellement le tour des plages avec sa banderole anti-Hollande. Certes les Frères musulmans étaient en échec. Pour avoir imaginé sans doute que la volonté religieuse suffisait à pallier une absence de programme économique et social. Pour avoir été incapables de contenir les démons de l’intolérance qui sont, où ont été dans l’histoire, l’apanage de toutes les religions monothéistes. Mais ce que les urnes avaient fait, aurait dû être défait dans les urnes, pas par un coup d’Etat. Les armées, comme les religions, devraient être tenues à l’écart de la gouvernance des peuples en toutes circonstances. A l’heure où les moyens de communication physiques comme virtuels font exploser toutes les frontières, où personne n’est plus capable d’y contenir les peuples, le pouvoir politique doit être le garant du respect impartial de toutes les religions, toutes les cultures, toutes les origines raciales et ethniques, qui inévitablement se mêlent et se mêleront de plus en plus dans chaque creuset national. C’est vrai à Paris comme au Caire, mais aussi demain à Téhéran, Riyad, Gaza ou Jérusalem. L’Etat du 21ème siècle ne peut être que laïque, démocratique, et garant de l’égalité des droits de tous. Frères musulmans autant que généraux n’ont rien à faire au pouvoir. Mais les choses ne vont pas s’arranger dans l’immédiat. Pour justifier à posteriori l’injustifiable, les militaires égyptiens vont maintenant pousser les Frères musulmans à se radicaliser. L’armée égyptienne sait faire, et le camp religieux est toujours à son affaire dans la situation de martyre, plus que dans celle de gouvernance. La violence politique ne pourra que prospérer dans un contexte de haine. Plusieurs conditions sont à réunir pour en sortir. Primo, que l’armée rentre dans les casernes. Deuxio que les opposants à Mohamed Morsi renoncent à se venger des islamistes. Tertio que les Frères musulmans comprennent que l’Egypte, pour terre musulmane qu’elle soit, n’a pas vocation pour autant à devenir une république islamique, et acceptent de faire valoir leur point de vue, pacifiquement, auprès d’un pouvoir laïque garant de leurs droits. Cela ressemble aujourd’hui à un rêve. Il faudra du temps, à n’en pas douter pour le réaliser. Après le printemps, il y aura de longs hivers. Mais l’avenir d’un peuple ne se joue pas en un jour, ni une saison.

 

Autocritique contre langue de bois?

L’autocritique n’est jamais un exercice facile. Avaler son chapeau en souriant n’est pas très agréable. Et ce n’est pas forcément plus simple lorsqu’elle est collective. Car dans ce cas, l’enjeu principal devient pour les participants: comment faire l’autocritique sincère… des autres? On parle aussi de droit d’inventaire. Chacun s’applique alors à trouver dans les soutes du vaisseau commun, les cadavres plus ou moins oubliés dans les recoins et qui vont justifier que l’on jette son prochain par dessus le bastingage, au nom de la sauvegarde du groupe. L’exercice est alors éminemment tactique. L”inventaire devient un moment de la vie interne d’un collectif, qui va permettre de recomposer les courants ou tendances, de redessiner les rapports de force, et donc in fine de déboucher sur un nouveau leadership au nom de la reconstruction du projet commun. C’est la démarche que l’UMP va initier à cette rentrée. Elle était devenue inévitable, Jean-François Copé l’a donc acceptée. Evidemment, quand il s’agit d’autocritiquer l’action entreprise avec le soutien de l’UMP pendant cinq ans, le risque est que cela tourne à la pure et simple “sarkocritique” tant le président sortant a dirigé le pays de façon personnelle, voire autocratique. Le patron de l’UMP, Jean-François Copé, le sait bien, et s’est empressé d’insister sur le fait que l’exercice de révision devrait être un débat “sérieux et objectif” qui ne se transforme pas en “procès contre Nicolas Sarkozy et François Fillon qui ont dirigé la France ensemble pendant cinq ans”. Le ton est donné! Dès l’entrée en matière Copé s’empresse de mouiller son rival et ennemi Fillon dans le bilan. L’ancien premier ministre a lui-même souhaité que l’on “médite sur le passé”, sans doute avec l’espoir, d’écarter Nicolas Sarkozy de sa route avant la présidentielle de 2017. Mais on voit mal comment il pourrait s’exonérer lui-même de critiques adressées à son président de l’époque. Sauf à prétendre qu’il ne fut pour rien dans toute cette affaire, ce qui le réduirait à un rôle de simple “collaborateur” de l’ex-président, et ruinerait sa stature hypothétique de présidentiable. Mais évidemment Fillon n’est pas le seul dans cette situation. Xavier Bertrand, qui s’estime lui aussi présidentiable, dit et répète qu’à son avis Nicolas Sarkozy ne sera pas candidat en 2017. Un procès en révision pourrait lui donner un coup de pouce. Il aura pourtant du mal à laisser croire que c’est uniquement de la faute du chef, si lui, qui fut ministre des affaires sociales, n’a pas supprimé les 35 heures, ou modifié plus à fond le code du travail, deux “regrets” que tout le monde partage semble-t-il à l’UMP aujourd’hui. Bref, c’est le premier round de la future primaire présidentielle de l’UMP qui va se jouer pendant le débat “sérieux et objectif” voulu par Jean-François Copé. Et aucun des prétendants au titre n’oublie sans doute que le principal intéressé n’a pas dit son dernier mot. On imagine mal que Nicolas Sarkozy laisse ses camarades le jeter avec l’eau du bain. Lui qui critiquait leur mollesse lorsqu’il était à l’Elysée et qui doit estimer qu’ils sont pour une bonne part responsables de son échec de 2012, ne se privera pas de leur rappeler qu’ils étaient plus d’un à trouver à l’époque qu’il en faisait trop. Bref ça sent le règlement de comptes multiples… A moins que la langue de bois ne fasse encore des miracles et que le débat débouche sur une simple glorification des succès partagés.