Un nouveau but contre son camp

Une fois de plus, on se sent désarmé. Une fois encore, le gouvernement perd lui-même le sens de son action, et nous avec. A chaque reculade, ce qu’il reste encore d’apparente cohésion dans sa politique, se dissout, se délite, pour laisser à la fin une friche incompréhensible. L’aiguille de la boussole socialiste vibrionne, et n’indique plus aucun cap lisible. On avait cru comprendre que l’écotaxe imaginée par Sarkozy et Borloo, jamais mise en œuvre par eux, était le dernier marqueur de la volonté de la gauche de préparer la transition énergétique, plus significatif en tout cas que l’hypothétique arrêt d’une centrale nucléaire périmée. Avant cela on avait pu penser que le projet de loi sur la l’encadrement des rémunérations des patrons, pour inutile qu’il paraisse, serait un signal fort de justice sociale envoyé aux plus modestes. Ou encore que le projet de François Hollande de taxer plus fortement  les plus-values réalisées lors de cessions de valeurs mobilières, était symbolique de sa volonté de taxer plus le capital et moins de travail. Comme d’ailleurs le projet de taxe sur l’EBE des entreprises, sensé faire contribuer un peu plus à l’effort national de redressement les entreprises qui gagnent le plus d’argent. Sur tous ces points le gouvernement a revu sa copie. Et s’il faut bien reconnaître qu’on n’avait pas vraiment compris en quoi la modulation des taux de TVA ou l’imposition supplémentaire de l’épargne populaire allaient introduire plus de justice fiscale, c’est bien l’un après l’autre la plupart les marqueurs de gauche de la politique du gouvernement qui ont été gommés. Il ne reste plus rien de la “révolution fiscale” promise par François Hollande au début de sa campagne présidentielle. Ou plutôt si. Il reste la taxe à 75% qui devait s’appliquer aux plus hauts salaires, et qui finalement sera payée par les entreprises qui les emploient, si les dirigeant de clubs de foot en colère ne parviennent pas à le faire changer d’avis d’ici là. A la veille d’être reçus à l’Elysée, les patrons du foot ont dû retrouver le moral et peuvent légitimement penser que la partie n’est pas encore perdue, que François Hollande est encore en mesure de marquer un nouveau but contre son camp.

Le risque de la paralysie

En refusant d’ouvrir en grand et à fond le chantier fiscal, comme il l’avait promis, et en choisissant de s’attaquer au sujet par petites touches successives, donnant le sentiment d’ajouter sans cesse des impôts aux impôts, alors même que la situation gravissime du pays plaidait pour une remise à plat, Hollande a finalement ruiné son ambition réformatrice dans ce domaine. Et la flexibilité affichée par le gouvernement face aux différents lobbies, des pigeons au bonnets rouges, est grave. Pour son image d’abord: le premier ministre et le président sont en train d’y perdre leur crédibilité de dirigeants. Mais ce n’est pas le plus inquiétant. Le renoncement d’hier résonne comme une prime au désordre. D’autant plus que Jean-Marc Ayrault a justifié la suspension de la mesure par le souci “d’éviter  l’engrenage de la violence”. Avec le mariage pour tous, on était déjà passé à deux doigts de la capitulation lorsque le président de la République avait imprudemment évoqué la “liberté de conscience des élus”. Ce coup-ci la rue a eu le dernier mot. Les manifestants bretons peuvent donc y aller de leur surenchère en promettant de maintenir leur mobilisation jusqu’au retrait complet et définitif du projet. L’engrenage de la reculade est impitoyable. Il avait conduit Jacques Chirac en d’autres temps à avaler deux fois son chapeau, et à retirer définitivement le projet de CPE, parce que la suspension de son application, première défaite, n’avait pas suffi à calmer la colère. Bien sûr, le gouvernement fera valoir, non sans bon sens, qu’il vaut mieux retirer un projet qu’enflammer le pays, que le choix de la discussion est toujours préférable à celui de l’affrontement… Mais c’est avant de se lancer qu’il aurait fallu y penser. Les mouvements sociaux, il faut les anticiper, ou alors y résister. A ne faire ni l’un ni l’autre on se condamne au discrédit et à la paralysie.

Froid dans le dos!

Une nouveau mur a été enfoncé, une défense immunitaire de nos sociétés a sauté, nous ramenant quelques décennies en arrière. En Grèce d’abord, puis en Irlande, qui sait, demain peut-être ailleurs. Des représentants de l’ordre public ont estimé à trois reprises qu’il était louche, et dangereux pour l’ordre public en question, qu’un enfant ne ressemble pas à ses parents, lorsque ceux-ci sont roms. On a ainsi retiré à des parents la garde de leur enfant, de façon temporaire, parce que celui-ci était blond comme les blés, et avait des yeux clairs. Comme des millions d’enfants, mais pas comme des enfants de roms, ont estimé quelques fonctionnaires physionomistes! “A qui l’avez vous  volé?” leur a-t-on probablement demandé en grec ou en anglais avant de mettre l’enfant “en sécurité” dans une institution. Bien sûr, en Irlande au moins, on s’est ensuite excusé. Ensuite, c’est à dire après avoir reçu le résultat des tests ADN qui établissait scientifiquement la parenté biologique. Les deux enfants blonds irlandais étaient bien les fils de leurs parents, et pas les victimes de voleurs d’enfants, on les a autorisés à retourner chez eux. Vive les tests ADN, dernier garde-fou en 2013 au délit de faciès. Il y a quelques décennies, faute d’élément scientifique probant, on aurait probablement définitivement retiré ces enfants, trop blonds pour descendre de tziganes, à leurs parents. Aujourd’hui, le laboratoire est là pour éviter l’erreur fatale. Mais c’est bien le seul progrès. Pour le reste, les plus anciens des tziganes habitant dans les camps irlandais ou grecs concernés, ont sans doute eu le sentiment d’être violemment tirés en arrière. Rattrapés par un passé que l’on voulait tous croire oublié. De retour dans un monde, où il est préférable d’avoir la tête de l’emploi. Où les roms ne peuvent pas être des parents comme les autres, où la présomption d’innocence n’existe pas pour eux, où l’on sait tout d’eux sans les connaître, et où les mieux pensants sont convaincus qu’ils appartiennent à une ethnie qui ne pourra jamais s’adapter dans nos pays. Cela se passe en Europe, aujourd’hui. Et cela fait froid dans le dos! C’est pour cela que l’on devrait s’interdire définitivement de jouer avec certains mots, d’attiser ou justifier certaines peurs collectives anciennes, plus ou moins assumées, que l’on soit de droite, de gauche, ou d’ailleurs.

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Le défi d’un président “normal”

La gauche est en sale état. 18 mois de pouvoir l’ont conduite au bord de l’explosion. Et l’affaire de la jeune Leonarda agit comme un révélateur de l’état de délitement dans lequel se trouve la majorité qui a porté François Hollande au pouvoir. Ne parlons pas des invectives et anathèmes de Jean-Luc Mélenchon, dont on ne comprend toujours pas pourquoi il a appelé à voter socialiste au second tour de la présidentielle tant il s’emploie depuis le premier jour du quinquennat à démolir systématiquement toute prise de position ou action des socialistes, qui n’auraient fait sous la conduite de Hollande que trahir leur carte génétique, qui est d’ailleurs la même que celle du président du parti de gauche. Plus préoccupantes pour l’Elysée et Matignon sont les prises de position récentes d’Harlem Désir, premier secrétaire du parti socialiste, s’autorisant à prendre la parole dans la foulée du président pour s’opposer à ce dernier, et proposer le retour de toute la famille Kosovar à l’exception du père, ou pire encore celle de Jean-Vincent Placé, le chef de file des sénateurs écologistes, appelant les lycéens à reprendre à la rentrée leurs manifestations contre le gouvernement. Ces deux interventions sont évidemment des signaux d’alerte maximale pour la cohésion à venir de l’action de l’Etat. Lorsque les supposés leaders de la majorité présidentielle ne se sentent plus tenus au respect de la parole du président, ou appellent eux-même à descendre dans la rue, on est déjà en pleine crise de régime. On doit s’attendre en tout cas à des mois de grande difficulté pour le gouvernement, le président, et donc la France. Un tel affaiblissement de l’Etat n’est une bonne nouvelle que pour l’opposition à courte vue. Il est de très mauvais augure pour le pays qui ne pourra se redresser qu’en reprenant confiance en lui. D’autant plus que la crise politique actuelle n’est pas un prurit ponctuel qui agiterait une majorité en proie à des états d’âme. Elle vient en point d’orgue d’une succession d’approximations, contradictions, changements de pied, à la tête de l’Etat. Bien sûr la tentation est forte de dénoncer l’inconséquence des responsables de gauche qui semblent toujours, un an et demi après, s’étonner d’être au pouvoir, et de devoir, en vrai, soumettre leurs convictions à l’épreuve du réel. D’avoir à laisser leur sens des responsabilités brider leurs émotions. Mais quand on en est à ce stade, il n’y a plus qu’un responsable: c’est le premier d’entre eux. Quelle que soit la fragilité ou l’impréparation de ceux qui le soutiennent, le Président de la République est le seul finalement comptable de la situation de sa majorité et donc du climat délétère dans lequel s’enfonce le pays en crise. Il lui appartient de reprendre les rênes, au plus tôt, de rétablir son autorité propre et donc celle de l’Etat. Il n’est plus temps d’être un président “normal”! Pour parvenir à reprendre le contrôle de cette situation exceptionnelle, il faudra qu’il se montre un président d’exception. C’est d’abord ce défi qu’il devra relever, pour pouvoir continuer à espérer redresser le pays.

L’emprise de l’émotion

Cela n’est pas si souvent, mais il faut reconnaître que Jean-Pierre Chevènement a trouvé les mots justes: “nous vivons sous la dictature de l’émotion”. Depuis deux jours, c’est l’emballement médiatico-politico-public autour de cette malheureuse jeune Kosovar, Léonarda Dibrani, dont d’ailleurs personne ne cite plus le nom tant son prénom est devenu emblématique de la “duplicité” de Manuel Valls et du gouvernement. Pas un homme politique qui n’ait fait entendre son sentiment sur l’expulsion de la jeune-fille, elle est interviewée à la radio en direct du Kosovo, raconte qu’elle s’est “ouvert les veines” à son retour dans ce pays dont elle ne voulait plus… Mélenchon en profite pour vomir encore sur le parti qui fut le sien il n’y a pas si longtemps, la plupart des responsables socialistes y vont de leur rappel à la morale et à l’humanisme, à droite on demande pour la énième fois à Hollande de s’expliquer, voire de dissoudre, ou de faire un référendum, pour mettre fin à la cacophonie et… rendre le pouvoir. Bref, on est au cœur d’une affaire d’Etat. Il n’y a que deux postures possibles face au “cas” Leonarda: dénoncer “l’infamie”, ou se faire complice d’une politique discriminatoire inhumaine, qui sort les enfants de l’école pour les mettre de force dans un avion, sous la gauche comme sous la droite. L’émotion est un tyran qui ne supporte pas que l’on prétende que la réalité ne se décrit pas toujours en noir et blanc. Et pourtant, l’affaire soulève quelques questions, tout aussi moralement et politiquement correctes que l’indignation soulevée. Primo, on peut contester les lois encadrant l’immigration et le droit d’asile, estimer qu’elles gagneraient à être améliorées, voire qu’elles sont rétrogrades et que les digues nationales finiront par sauter face à l’inexorable mobilité des individus dans une économie mondialisée, et pour autant reconnaître que le rôle des juges et des policiers, y compris du premiers d’entre eux, n’est pas de les changer mais de les appliquer. Deuxio, brandir comme un étendard la “sacralisation” de l’école pour expliquer qu’on n’a pas le droit d’expulser des enfants scolarisés est une hypocrisie. Nous vivons dans un pays où l’on scolarise tous les enfants, y compris ceux dont les familles sont dans l’illégalité, et nous en sommes fiers. Cela ne change pas pour autant leur situation au regard des lois. Le scandale aurait été plutôt de refuser à Leonarda l’accès à l’instruction au prétexte que ses parents étaient entrés clandestinement en France. Tertio, faire valoir que la famille Kosovar était en France depuis près de cinq ans, donc n’avait plus de lien avec son pays d’origine, et que l’expulsion dans ce cas est inhumaine, est également un argument de mauvaise foi. Si les Dibrani étaient depuis si longtemps en France en situation irrégulière, c’est parce qu’ils ont pu utiliser tous les recours judiciaires que leur offre la loi pour tenter d’obtenir la régularisation de leur situation. Et de cela aussi nous pouvons être fiers! Nos lois protègent les demandeurs d’asile et empêchent leur expulsion immédiate, garantissent l’accès de tous en situation régulière ou pas, à l’éducation, à la santé, et à un certain nombre de services sociaux. Bien sûr il reste à vérifier que tout a été fait dans la légalité et le respect des personnes, on sait bien que ce n’est pas toujours le cas. L’affaire peut aussi fournir l’occasion de relancer la réflexion sur notre politique vis à vis des migrations, de s’interroger sur les inévitables conséquences de nos choix européens, voire de s’indigner que notre président ne soit prêt à accueillir “que” 500 réfugiés syriens qui fuient la guerre dans leur pays. Mais il y a quelque hypocrisie à y puiser les raisons d’une indignation facile, et qui retombera comme les précédentes, lorsqu’une nouvelle émotion l’aura chassée. En d’autres temps, l’émotion exacerbée, il s’agissait alors des faits-divers, était prétexte pour certains élus de droite à dénoncer le laxisme des juges et adopter des lois répressives. Aujourd’hui elle nourrit une supposée mauvaise conscience de gauche vis à vis d’un président et d’un gouvernement qui se seraient dévoyés… Dans les deux cas, elle ne profite vraiment qu’à ceux dont l’outrance et la caricature sont le principal argument politique.

Brignoles n’est pas la France! Encore que…

C’est reparti! Le Front national écarte d’une bataille électorale l’ensemble de la gauche. Et l’on va reparler de Front Républicain, la gauche va demander à ses électeurs de “faire barrage au Front National”, et donc à demi-mots de voter pour le candidat de droite. Les électeurs socialistes, communistes ou verts, vont avoir des états d’âme. Quoi que prescrive Harlem Désir, beaucoup hésiteront à franchir le pas du vote à droite. Même s’ils l’avaient fait en 2002, lorsqu’il s’agissait de faire obstacle à Jean-Marie Le Pen en déposant un bulletin Chirac dans l’urne. Le parti des abstentionnistes devrait l’emporter encore plus largement qu’au premier tour. Et comme les électeurs du Front National, eux, oublient rarement d’aller voter, le candidat lepéniste pourrait bien l’emporter. C’est grave docteur? Oui et non. Que le Front National,  qui représente un bon cinquième des électeurs français, soit représenté dans une assemblée départementale n’a rien de scandaleux en soi. Simplement une victoire de Laurent Lopez, à Brignoles, devrait être interprétée comme un très mauvais présage pour les municipales qui arrivent. Si Brignoles n’est pas la France, on peut retrouver à peu près partout certaines des causes de cette déroute de la gauche au premier tour, et de la victoire éventuelle d’un extrémiste au second tour. Primo, la dépression traversée par le PS est la même partout. En partie à cause de la crise économique, en partie à cause du flou qui nimbe de façon permanente l’action du président et de son gouvernement, les électeurs ne croient plus, pour l’instant du moins, en ceux qu’ils ont envoyés au pouvoir il y a un an. Cs derniers peuvent  donc s’attendre, sinon à un vote sanction, du moins à une abstention critique de leurs électeurs d’hier. En outre, ce désamour entre le peuple de France et les socialistes pousse inévitablement leurs alliés de gauche à tenter de s’en démarquer. Au risque de faire le jeu de l’extrême droite qui, elle, avance sans états d’âme. Deuxio, la droite classique ne se porte guère mieux. L’UMP a plus fait entendre les piaffements des pur-sangs de son écurie présidentielle, que la qualité critique de son opposition au gouvernement. Loin de proposer un plan cohérent alternatif à la politique actuelle, elle donne le spectacle de ses batailles de coqs. Sentant se dégager une place pour eux, les centres de Borloo et Bayrou nous jouent “embrassons nous Folleville”, mais on a bien du mal à croire à la solidité de ces retrouvailles, dictées par les circonstances, entre les alliés ou ralliés d’hier de Nicolas Sarkozy, d’une part, de François Hollande d’autre part. Comme toujours, le centre, va devoir, c’est sa raison d’être, se démarquer de la droite comme de la gauche, et il n’est pas sûr que les électeurs s’y retrouvent. Bref les conditions semblent bien réunies pour que le vote FN, apparaisse dans bien des communes, comme le vrai vote sanction contre le gouvernement, et plus que jamais comme un recours contre une présumée impuissance coupable de la classe politique. La patronne du FN n’en demande pas plus. Reste la question de fond: qui fait le jeu du Front National? Les autres, pardi! La gauche évidemment, avec sa réforme de la justice, et sa politique d’immigration laxiste, et sa fringale fiscale… L’UMP bien sûr, qui n’hésite jamais à jouer sur les peurs, et la xénophobie supposée des Français, pour racoler l’électorat lepéniste, et qui perdrait bien juste un tout petit peu de son âme pour l’emporter aux prochaines échéances… D’ici les élections municipales, les procès d’intention mutuels devraient se multiplier. Avec un résultat certaiin: maintenir le Front National au centre du débat politique. La patronne du FN n’en demande pas plus… pour l’instant!