L’enjeu de la responsabilité partagée

Certes le gouvernement a donné ces derniers mois le spectacle de volte-face parfois spectaculaires ou même ridicules. Comme si les hommes et femmes politiques, chevronnés pour certains, qui le composent, n’avaient pas intégré le b.a.-ba de l’exercice du pouvoir qui veut que l’on ne lance que les combats que l’on est certain de pouvoir remporter. Tergiversations sur la fiscalité des entreprises, marche arrière toute sur l’écotaxe, vrai-faux projet de réintroduction du voile à l’école, modulation des allocations familiales… Les sujets ne manquent pas sur lesquels le pouvoir après avoir lancé de maladroits ballons d’essai a dû battre en retraite.

Pourtant François Hollande reste constant au moins sur un point: sa volonté de réhabiliter le rôle des corps intermédiaires. Durant sa campagne il avait martelé son credo en la démocratie sociale, indispensable selon lui à un développement harmonieux de la société. Dans son discours des vœux pour l’année 2014 il a tenu a réaffirmer ce cap. Avec son “pacte de responsabilité” aux entreprises, proposant d’alléger leurs charges et faciliter leurs activités, en échange d’un développement de l’emploi et du dialogue social. Il faudra bien sûr attendre d’en savoir un peu plus, pour voir où le conduit ce sillon qu’il laboure depuis dix-huit mois. C’est en tout cas un sillon rigoureusement perpendiculaire à celui tracé par son prédécesseur. Alors que Nicolas Sarkozy considérait les corps intermédiaires comme des écrans entre lui et les Français, des empêcheurs de réformer, des garants de l’immobilisme, “confisquant la parole du peuple”, Hollande veut y voir les leviers indispensables pour réformer sans violence, faire évoluer le pays sans le déchirer. Par la négociation, dans la responsabilité partagée.

De fait une première démonstration en a été apportée, depuis son arrivée à l’Elysée, par les deux négociations nationales menées entre partenaire sociaux sur ce qu’on a appelé la “flexi-sécurité à la française”, ou sur la formation continue. Le résultat de la première fut repris au mot près par le législateur dans une loi sur la “sécurisation de l’emploi” consacrant le texte issu de la négociation sociale. Le résultat de la seconde le sera avant le mois de mars, de façon tout aussi fidèle, promet Hollande. Deux succès qui semblaient hors d’atteinte il y a quelques mois.

Bien sûr on pourra regretter que les organisations syndicales ne soient pas unanimes, la CGT a refusé de signer les deux textes, tandis que Force Ouvrière n’en signait qu’un  des deux. D’aucuns à gauche de la gauche, pourront toujours y voir la preuve que ces accords sont d’abord favorables au patronat auquel Hollande aurait fait allégeance. D’autres, à droite, juger que les réformes construites de la sorte ne peuvent être suffisantes, qu’on ne peut faite les mutations nécessaires de façon consensuelle, et que les seuls vrais changements sont ceux que l’on impose aux corps intermédiaires, dans l’intérêt supérieur du pays, dont seraient dépositaire le président élu au suffrage universel et son gouvernement.

Les uns  comme les autres ont tort de ne pas y voir l’ébauche d’un nouvel ordre démocratique. L’esquisse d’un système dans lequel l’Etat n’est plus le seul garant de l’arbitrage entre les intérêts divergents des différentes catégories sociales. D’une démocratie dans laquelle le vote majoritaire du peuple ne suffit pas à rendre légitime le pouvoir absolu du prince. “Vous avez juridiquement tort parce que  vous êtes politiquement minoritaires”, clamait en son temps le socialiste André Laignel à la tribune de l’Assemblée, formulant mieux que quiconque ce que peut être une dérive tyrannique du système démocratique, tel que la craignait Alexis de Tocqueville il y a près de deux siècles.

Aujourd’hui l’enjeu principal n’est pas tant la compétitivité de nos entreprises, que celle de notre système politique. Faire face aux enjeux de ce début de siècle exigera une prise de conscience collective. Une responsabilité partagée du devenir de notre société. Un renouveau démocratique qui laisse plus de place à l’échange et à la négociation entre groupes sociaux, au delà des inévitables conflits, qu’aux diktats des pouvoirs en place; plus de poids aux propositions des acteurs de terrain qu’aux prescriptions des “experts” de tous bois. Pour dépasser l’état de crise permanent, multiforme et planétaire, consécutif à la faillite des idéologies, puis à l’arrogance destructrice des acteurs de la finance, et à la decrédibilisation des Etats. Pour sortir d’une politique binaire qui prétend mettre le pays cul par dessus tête à chaque alternance. Pour replacer la société civile au cœur de la politique. C’est peut-être la mission historique de ce pouvoir que de permettre cette mutation.

Voilà un bon vœu pour 2014!

 

4 réflexions sur « L’enjeu de la responsabilité partagée »

  1. On ne peut que souscrire à cette éclairage sur les motivations et la stratégie de Hollande.
    Et faire en sorte que ce texte soit lu par tous ceux qui ont le nez sur la peinture !

  2. Concernant les syndicats, un problème demeure : leur représentativité. Si peu d’adhérents…du coup leur financement vient “d’ailleurs”, notamment de l’Etat. Situation un brin schizophrénique si l’on veut représenter un réel contre-pouvoir.

    • Vous avez bien raison, ce renouveau démocratique passe aussi par le traitement de la question de la représentativité syndicale, et par la mise à plat de leur financement. Mais ils demeurent des interlocuteurs incontournables.

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