Trois ans après le départ de Ben Ali, après des mois de vicissitudes, de troubles, et d’errements du processus démocratique, la Tunisie reprend espoir. Un nouveau premier ministre a été nommé, qui fait à peu près le consensus entre les différentes forces politiques tunisiennes. Et le chantier de la constitution, en panne depuis deux ans connaît une avancée importante. La rédaction du texte ne sera peut-être pas bouclée le 14 janvier comme prévu, mais on ne devrait plus être très loin de la version finale. Entre temps, le parti islamiste Ennahda, porté au pouvoir par les premières élections libres, a échoué à diriger le pays. Comme son homologue égyptien, les Frères Musulmans, mais avec des conséquences différentes.
Si c’est l’armée qui a repris brutalement les rênes au Caire, rejetant le mouvement islamiste, pourtant majoritaire aux élections, dans la clandestinité – déclaré par le pouvoir “mouvement terroriste”, ce que n’avait jamais fait le régime d’Hosni Mubarak – la Tunisie tente encore de trouver, elle, une issue consensuelle à son processus révolutionnaire.
L’exemple égyptien aura pesé. En poursuivant sur la voie de l’islamisation forcée de la société, alors même qu’ils ont démontré leur échec à redresser le pays en crise, et même à contrôler leurs extrémistes, les islamistes d’Ennahda risquaient de faire exploser le pays. Ils ont donc fini par accepter d’aller vers le compromis. Et le chemin réalisé est important. En abandonnant le poste de premier ministre au profit d’une personnalité n’appartenant pas à leur parti, chargée de constituer un cabinet d’indépendants. En acceptant un retour rapide aux urnes. Enfin et surtout en faisant des compromis importants sur le texte de la constitution.
Le préambule du texte souligne certes l’attachement des tunisiens aux enseignements de l’Islam. Mais il fait aussi référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les tunisiennes pourront regretter que l’égalité devant l’héritage, refusée par la religion, ne soit pas reconnue, et donc que l’on en reste à la pratique islamiste qui réserve la plus grosse part du patrimoine aux hommes. Mais l’égalité de droits entre hommes et femmes est pour le reste affirmée dans la constitution, et garantie par l’Etat. L’assemblée constituante est allée jusqu’à inscrire dans la constitution la parité dans les assemblées élues. La liberté de conscience est garantie, la liberté de la presse aussi… Bref, le retour à l’obscurantisme que semblait annoncer la rédaction de cette constitution par une majorité islamiste, n’a pas eu lieu, n’aura pas lieu, au moins dans l’immédiat.
Bien sûr l’âge d’or n’est pas pour autant à l’ordre du jour. La situation économique est catastrophique, le chômage endémique, la violence toujours présente, et rien ne dit que les islamistes ne sortiront pas renforcés d’une prochaine consultation électorale. Mais cahin-caha, n’en déplaise à ceux qui théorisent l’incompatibilité entre islam et démocratie, en oubliant un peu vite le temps qu’il a fallu aux autres religions pour accepter de se cantonner dans leur territoire spirituel, la Tunisie poursuit sa marche vers la démocratie.