La tentation démagogique est décidément diabolique. Après l’ultra-gauche, qui y a cédé avant même d’imaginer y résister, Cécile Duflot qui a succombé dès qu’elle a estimé qu’elle avait personnellement plus à y gagner qu’à y perdre, après les députés “frondeurs” du parti socialiste, qui ont su concilier flatterie de l’électorat de gauche et préservation de l’essentiel, c’est à dire de la majorité parlementaire qui leur permet d’être député, c’est au tour du ministre de l’économie lui-même de dénoncer la politique économique du gouvernement. Sans oublier Benoît Hamon qui a oublié un instant la priorité réformatrice capitale qu’il s’était fixé -supprimer les notes à l’école !- pour attaquer lui-aussi le président qui l’a fait ministre.
Et il est vrai que c’est tentant. Quand tout va mal, qu’aucun remède ne semble capable d’enrayer la maladie, que l’on a pas la moindre idée d’une thérapeutique alternative, on peut toujours affirmer péremptoire que c’est le remède qui tue le malade, et préconiser tout simplement l’arrêt du traitement. Dire aujourd’hui aux Français que si tout va mal, c’est parce qu’on a pas assez augmenté les salaires, parce qu’on a trop prélevé d’impôts, pas assez créé de postes de fonctionnaires, trop cédé au patronat assoiffé d’argent et aux banques assassines, réduit les dépenses publiques au lieu de les augmenter, et pas assez dit merde à l’Allemagne, c’est garantir sa popularité. Mais une fois que c’est dit, et claironné dans les médias, qu’on a fait rire les foules en se moquant du Président de la République qui n’est plus à cela près, qu’est-ce-qu’on fait? En toute logique, Montebourg ne sera pas reconduit et rejoindra la fronde de gauche contre le président. Cela ne contribuera évidemment en rien au redressement de la France, mais cela peut préserver des ambitions personnelles malmenées par l’impopularité de la politique menée.
En somme, c’est déjà le sauve-qui-peut. On l’avait vu avec les écologistes, quittant le gouvernement, au moment, historique, où on leur proposait de piloter la mise en œuvre de la transition énergétique, parce que quelques uns de leurs leaders pensaient nécessaire pour leur carrière à venir, de ne plus se mouiller dans l’immédiat dans la gouvernance du pays. C’est maintenant dans l’entourage direct du capitaine que l’on quitte le navire sans demander son reste. Comme si chacun à gauche jugeait que la bataille contre la crise était déjà perdue.
C’est peut-être vrai, mais si c’est le cas, c’est grave. Car aucune politique de la demande ne tirera de la crise un pays miné par le déficit de compétitivité. Aucune dépense publique supplémentaire ne pourra relancer la machine. L’économie de la France est victime d’un double empoisonnement: une overdose de dépenses publiques, et un affaissement des défenses compétitives face à la concurrence mondiale. Toute injection de pouvoir d’achat par l’Etat, pour nécessaire qu’elle soit en ce qui concerne les revenus les plus modestes, se traduit aujourd’hui par un accroissement des achats de produits chinois ou coréens. Et donc in fine par une aggravation du double empoisonnement.
Le gouvernement n’a plus le choix. Engagé comme il l’est dans cette politique de rigueur, il devra boire le calice de l’impopularité jusqu’à la lie. Sans faiblir, en allant sans doute plus loin. Il est trop tard pour succomber à la tentation démagogique, la bataille de la popularité est déjà perdue. Il faut en profiter pour mettre en œuvre les réformes impopulaires qui sont nécessaires, et investir pour l’avenir, pour un redressement durable de l’économie et de l’emploi, même si la perspective se situe au delà de la fin du quinquennat. Oui, il faut réformer le code du travail. Oui notre système de retraite devra encore être adapté. Comme notre assurance maladie. La réforme de l’Etat doit être poursuivie. Le chantier de la justice fiscale doit être ouvert… Il y aurait plus à perdre qu’à gagner en cédant à la peur. Que les frondeurs frondent, que les impatients battent les estrades… Mais qu’au moins il reste quelque chose de positif de ce passage de la gauche réformatrice au pouvoir qui apparaîtrait sinon comme un immense gâchis.
On signe des deux mains après une petite incursion aux Pays-Bas où toutes ces réformes ont été mises en œuvre depuis des années et permettent à ce pays qui respire la solidité de voir venir. Mais ne boudons pas notre plaisir de voir le PS enfin se cogner contre le réel ! Comme disait Lacan :”Le réel c’est quand on se cogne dedans !” Forcément ça laisse des bosses !