Dix jours plus tard, on meurt toujours pour l’image de Mahomet. Hier à Niamey, Niger, quatre personnes ont été retrouvées mortes brûlées dans leur église incendiée par des manifestants musulmans déchaînés. C’est encore une fois l’intolérance, le fanatisme et la barbarie qui ont tué. Pas la religion! Sur la corde raide où nous tentons de tenir en équilibre depuis le 7 décembre, le moindre faux pas serait fatal. Il faut donc s’empresser de rappeler nos certitudes. Ce qu’a fait François Hollande hier encore à Tulle. Nous ne combattons pas une religion, nous défendons un principe sacré: la liberté d’expression, et donc celle de la presse. C’est pour elle que des millions de Français sont descendus dans la rue dimanche dernier. C’est pour elle que l’on se rue sur les kiosques depuis 48 heures, plus encore que pour le contenu du numéro collector de Charlie Hebdo.
Fallait-il remettre à la Une le “prophète” de l’Islam dans ce numéro des survivants, au risque de ne pas être compris, et de provoquer une nouvelle flambée de violence? Oui, certainement! Ne pas le faire aurait été céder face aux assassins. Reculer face à la barbarie. Il fallait dire haut et fort que la liberté ne cède pas devant les armes, qu’elle n’est pas négociable. Mais peut-on pour autant ne pas voir les manifestations violentes au Pakistan, en Algérie ou au Niger? Peut-on cacher les morts de Niamey sous notre bonne conscience de défenseurs de la civilisation contre la barbarie, et de la laïcité contre l’intégrisme religieux?
Il est en tout cas difficile d’éviter de se poser quelques questions. La première est celle du champ de notre liberté d’expression. Qui ne supporte aucune restriction, on l’aura compris, sauf que les tribunaux depuis la semaine dernière poursuivent à tour de bras pour apologie du terrorisme, des gens dont le seul délit est de n’avoir pas été à l’unisson de la communauté nationale face au massacre des journalistes de Charlie Hebdo. Un des derniers en dates, un adolescent de 16 ans a été placé en garde à vue à Nantes pour un dessin sur son compte Facebook ironisant sur l’attaque de Charlie Hebdo. Et même si les provocations font partie de ses outils de promotion, on peut se demander s’il est vraiment nécessaire de traduire devant un tribunal le sinistre Dieudonné pour avoir dit qu’il se sentait “plutôt Charlie Coulibaly”.
C’est la loi! C’est vrai. Plus particulièrement c’est la loi anti-terroriste adoptée l’an dernier qui permet de traiter en comparution immédiate ce type de délit qui ressortait précédemment du droit de la presse. Plusieurs condamnations à de la prison ferme ont déjà été prononcées depuis le 7 janvier. Mais au moment où nous nous posons devant le monde entier en rempart intransigeant de la liberté d’expression, notre volonté de faire taire les voix discordantes fait un peu tache. Et risque d’être mal comprise. Il est certes nécessaire de traquer les djihadistes qui tentent de recruter des apprentis terroristes sur Internet, mais un minimum de discernement devrait nous permettre de ne pas prendre les foucades d’un adolescent provocateur, ou le besoin d’un humoriste de faire parler de lui, pour des actes de terrorisme. On devrait pouvoir répondre aux mots et aux idées, avec des mots et des idées, à l’ignorance par l’éducation, plutôt qu’avec des tribunaux.
Deuxième question, difficile à éviter, celle des limites du combat pour la laïcité, c’est à dire celle du fond. Lorsqu’une journaliste, tente de glisser par surprise une caricature de Mahomet devant l’objectif de la caméra d’une télévision anglaise qui l’interviewe, et lui a annoncé préalablement qu’elle ne souhaitait pas diffuser ces dessins par souci de respecter son public, est-ce un acte de défense de la laïcité? Une affirmation de la liberté d’expression? Ou encore, est-ce que la laïcité de la République est menacée par une adolescente qui porte un foulard sur la tête, ou un gamin qui porte une kipa? Est-ce que la base de la laïcité n’est pas le respect des religions, plus que la punition de l’expression publique de leurs particularismes culturels?
La réponse à ces questions n’est pas simple, demande qu’on y réfléchisse à nouveau froidement, et ne peut en rester en tout cas au stade de la caricature. L’enjeu principal, c’est notre capacité à rassembler autour d’une même ambition démocratique, autour des mêmes valeurs républicaines, les flux si divers qui constituent la mosaïque nationale. Or sur ce plan nous sommes aujourd’hui en échec. Réussir passera par l’éducation bien sûr, et donc d’abord par l’écoute et la compréhension mutuelle. Ce combat pour les valeurs, qui a jeté la France dans la rue dimanche dernier, ne sera gagné qu’à condition qu’il soit d’abord compris par tous.
Finalement, la liberté d’expression est partout totale, à l’exception de ce qu’on n’a pas le droit d’exprimer.
Question de paradigme moral et de croyances politiques ou spirituelles propres à chaque société.
… Et d’où le malaise de la France, qui est un carrefour de différentes sociétés, non ?
Très bonne année Michel, et merci pour tes éditos.
François