Europe: le virage Syriza

C’est entendu, tout le monde aime Syriza. Du moins en France. Même Marine Le Pen, que l’étiquette “d’extrême-gauche radicale” généralement attribuée au mouvement grec, n’effraye pas. Et ce n’est pas illogique que chacun s’y retrouve un peu, puisque Alexis Tsipras lui-même n’a pas attendu pour aller chercher à droite, chez les souverainistes, son allié de gouvernement.

Faut-il s’offusquer de ce rapprochement, qui doit être bien difficile à digérer pour ceux qui à l’extrême-gauche de l’arc politique français, s’étaient faits les hérauts de la montée en puissance de Syriza? Pas forcément. Pour l’heure, la priorité d’Alexis Tsipras est de résister à la pression de Bruxelles, et il a besoin d’un allié déterminé dans son combat. Il l’a sans doute trouvé là. L’urgence n’est pas pour lui à mener une politique d’extrême gauche, dont probablement les Grecs eux-mêmes ne veulent pas, mais bien à restaurer la dignité de la Grèce. L’application aveugle d’une médecine ultra-libérale au pays, la baisse généralisée des revenus, la désagrégation des services publics, la dilapidation du patrimoine national, au nom de la nécessité pour chacun de payer ses dettes, a rendu la Grèce exsangue, l’a humiliée… Sans résultat probant! Le montant de la dette est supérieur à celui de 2012, à 175% du PIB contre 120% du PIB en 2010. Entre-temps, des millions de grecs ont tout perdu ou presque.

La victoire de Syriza c’est d’abord cela: la sanction de l’échec de la politique imposée par la Troïka (FMI, BCE, Union Européenne). La médecine de cheval n’a pas guéri la Grèce et a bien failli tuer le malade. C’est le résultat de la mise en œuvre de façon dogmatique, d’une politique économique déconnectée des réalités. De l’application sans nuances d’un catéchisme ultra-libéral, qui avait déjà montré ses limites lorsqu’il était imposé par le FMI, dans plus d’un pays du tiers-monde. Les électeurs grecs viennent de hurler: “STOP”. C’est le mandat de Syriza: trouver avec l’Europe une solution qui fasse moins mal et permette enfin au pays de se redresser.

Effet domino?

Est-ce pour autant la première étape d’un changement complet de paradigme économique et politique en Europe, le début de “l’effet domino” que Mélenchon appelle de ses vœux ? Pas sûr!

Certes en Espagne on peut entrevoir les prémices d’un mouvement comparable. Le parti Podemos, issu des “indignés” de la Puerta del Sol, fait la course en tête dans les sondages à un an des législatives, sur un programme anti-austérité. Mais la situation économique n’est pas celle de la Grèce. Malgré les ravages réels de la politique d’austérité menée par le gouvernement de Mariano Rajoy, un taux de chomage voisin de 25%, l’Espagne pourrait retrouver un taux de croissance de 2% en 2015, et donc un peu de grain à moudre, ce qui pourrait faire évoluer la donne électorale. De même le Portugal qui a eu aussi maille à partir avec la Troïka, semble maintenant sortir de la pire crise qu’ait connu le pays. La droite au pouvoir y est fortement décrédibilisée, mais on n’observe pas le même rejet des partis traditionnels qu’en Grèce, et les socialistes pourraient y retrouver le pouvoir dans quelques mois.

Quant à la France, où Jean-Luc Mélenchon rêve d’assister, à son propre profit, au même ras de marée qu’hier en Grèce, elle n’a pas pour l’instant connu le dixième de la politique d’austérité qui a provoqué l’engouement pour Syriza. Malgré les dénonciations répétées de la politique de rigueur du tandem Hollande-Valls, la “coalition” de gauche populaire que le leader du Parti de Gauche voudrait voir émerger entre Front de Gauche, Ecologiste, et gauche du PS, tous unis contre l’Europe des élites politiques, reste pour l’instant un pur fantasme. Jusqu’ici, c’est bien Marine Le Pen qui s’est montrée la plus capable d’incarner en France l’euro-scepticisme, et le rejet des élites.

Plus de démocratie

Reste que la victoire de Syriza pèsera sur le devenir de l’Europe tout entière. Parce que, quel que soit le compromis auquel parviendront, vraisemblablement, la Grèce et ses créanciers, la victoire du rassemblement anti-austérité, intervient à un moment où la foi ultra-libérale des européens vacille. Angela Merkel doit composer avec un allié social-démocrate qui l’a déjà obligée à mettre en place un salaire minimum. S’il n’a pas réussi à changer le cours de la politique européenne, comme il en avait rêvé, Hollande a tout de même pu pousser quelques idées qui trouvent sans doute pour partie un débouché dans les décisions récentes de la Banque Centrale de soutenir l’économie. En Italie, Matteo Renzi bouscule lui aussi les recommandations de la commission européenne. Le FMI lui-même finit par reconnaître la nécessité d’une politique de relance en Europe.

La victoire de Syriza accentue donc une évolution du rapport des forces en Europe, et le moment semble donc venu pour une réorientation des politiques européennes. Cela ne passera pas pour autant, quoi qu’en pensent Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot, par un ras de marée d’extrême-gauche dans les différents pays. Pas non plus par un renoncement aux politiques de rigueur et une fuite en avant. Mais l’Europe à venir va devoir forcément mieux prendre en compte les aspirations des peuples, en renonçant à sanctionner les erreurs de leurs dirigeants par des punitions collectives. L’Allemagne va devoir admettre qu’elle ne peut pas gagner sur tous les tableaux, quelles que soient ses vertus de rigueur. Que pour continuer à profiter de la famille, il faut aussi payer de temps en temps pour son unité. Bref, il va falloir démontrer que l’Europe peut redevenir enthousiasmante. Et cela passe par plus de démocratie.

Article également publié sur le site “Sauvons l’Europe”

 

 

2 réflexions sur « Europe: le virage Syriza »

  1. A peu près d’accord avec le fond de l’article sauf sur un point ; en quoi demander à un peuple de ne pas dépenser plus qu’il ne “gagne” est une politique ultra-libérale ? Equilibrer un budget relève du bon sens ! Emprunter pour investir et créer de la richesse qui permettra de rembourser aussi. Ce qui est condamnable dans la situation grecque c’est de faire rembourser ceux qui ont le moins profité de cette politique irresponsable et qui sont restés au bas de l’échelle ; ceux qui en ont profité et qui se sont faits construire des piscines sur leurs terrasses ou acheter des bateaux pour passer d’une île à l’autre ou qui ont su placer leur argent dans des lieux protégés sont intouchables parce que l’administration grecque n’est pas équipée pour les connaître et les poursuivre – il n’y a pas de cadastre en Grèce – on ne sait pas vraiment qui possède quoi et qui habite où. La solution de facilité a été de taper sur ceux qui étaient disponibles : les retraités, les salariés, les plus pauvres pendant que les fonctionnaire de Bruxelles aidaient la Grèce à constituer un cadastre et un système fiscal digne de ce nom. Souhaitons que Syriza va continuer cette politique d’équilibre des recettes et des dépenses en taxant ceux qui ont profité du laxisme et des mensonges grecs des années précédentes et que l’Europe va continuer à aider la Grèce à soulager le sort de ceux qui ne peuvent pas se défendre ! Mais si Syriza crée 3000 places de fonctionnaires pour placer les cousins et les cousines de leurs députés, alors qu’ils ne compte pas sur nous pour les sortir de cet enfer !

    • Le remède qui tue le malade c’est l’exigence de privatisation de tous les services publics au risque de les voir disparaître en tant que tels. C’est d’exiger une baisse du salaire minimum, mais par contre de maintenir les dépenses d’armements qui profitent d’abord aux partenaires européens exportateurs: en pleine crise l’Allemagne vendait encore des sous-maris à la Grèce, et la France tentait d’écouler ses Rafale! C’est plus généralement ne pas vouloir voir que le cycle dette-austérité-récession-dette est sans issue.
      Pour le reste, équilibrer un budget est évidemment du simple bon sens, et chacun doit payer ses dettes. Simplement la finalité d’une politique de redressement financier devrait être de retrouver les moyens de payer ses dettes, et pas seulement de réduire les dépenses publiques au plus bas. La baisse des dépenses est un moyen de retrouver des marges de manœuvre, pas une fin en soi.

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