C’était hélas tout à fait prévisible. Nous sommes en train de tomber dans le piège tendu par les terroristes qui ont semé la mort dans les locaux de Charlie Hebdo et le supermarché de la porte de Vincennes. Ennemis de la liberté, ils ont réussi à nous insuffler la peur de nos propres libertés. Quelle victoire pour eux! Une nouvelle loi sur le renseignement, qui leur est d’une certaine manière dédiée, puisque c’est leur terreur qui a fourni le prétexte à son élaboration, va revenir sur un principe fondamental de notre état de droit: seuls les juges sont en principe aptes à transformer les innocents en coupables. C’est la présomption d’innocence.
Dorénavant, le Premier ministre pourra décider de placer des individus sous un régime de semi-liberté, de faire écouter leurs conversations, de fouiller dans leur courrier, de surveiller leurs activités sur internet, de piéger leur ordinateur ou leur voiture, le tout à leur insu, dans l’intérêt d’une enquête, et sans en référer à un magistrat… Pour cela, il suffira que ses services, en fait les services de renseignement, estiment qu’il y a présomption d’une éventuelle activité future de nature à “porter gravement atteinte aux principes fondamentaux de la République… ou à la paix publique”. Une commission nationale de contrôle ad-hoc sera chargée de donner un avis sur les mises sous surveillance décidées par le Premier ministre qui… pourra en dernier recours passer outre son avis.
Quelle que soit la bonne foi des députés qui se préparent à adopter ce texte, et pensent sans doute sincèrement que leur devoir est d’accroître les moyens de prévention du terrorisme, il ouvre la porte à une mise sous surveillance massive -à la manière de ce que pratiquent les services de renseignement américains- dont évidemment le pouvoir pourra toujours être soupçonné, aujourd’hui ou demain, de faire un usage abusif. En clair, le projet de loi, s’il est adopté, devrait permettre aux services de l’Etat de surveiller les individus à leur gré de la manière la plus intrusive sans aucun contrôle démocratique à priori. C’est une attaque suffisamment violente contre nos libertés fondamentales pour que les levées de bouclier se multiplient. Les avocats, les magistrats, tous syndicats confondus, les associations de défense des droits, la Commission nationale de l’informatique et des libertés… s’opposent au projet. Mais il semble bien parti pour être adopté, d’autant que le gouvernement, urgence terroriste oblige, veut le faire adopter par le parlement selon une procédure accélérée, et que l’UMP a déjà décidé, au nom de l’union nationale contre le terrorisme, de soutenir le texte du gouvernement.
Et ce n’est pas tout! Déjà certains députés ont pensé aux recours que ne manqueraient pas de former certains citoyens devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui veille en général de façon assez vigilante au respect des libertés individuelles. Un second texte est donc présenté au Parlement, à l’initiative d’un groupe de députés de l’opposition, qui permettrait au gouvernement de s’affranchir des recours d’individus auprès de la Cour européenne, ou à défaut de dénoncer la convention qui la régit… Une proposition qui n’est pas illogique. Si l’Etat fait une loi pour se soustraire au pouvoir des juges français, en matière de surveillance de masse, ce n’est pas pour se soumettre à celui de juges européens…
L’adoption de ces deux projets de loi entérinerait une victoire de la peur. Celle précisément à laquelle nous jurions tous de ne pas céder au lendemain de l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, lorsque l’heure était à la défense des libertés.