On a donc condamné à mort une centaine de personnes à mort samedi 16 mai. C’était en Egypte. le jugement fut celui d’un tribunal militaire. Selon Amnesty International, le tribunal avait bafoué durant le procès les droits les plus élémentaires des accusés. Mais ce n’est pas une surprise, les militaires ne sont pas faits pour rendre la justice. Les accusés étaient pour la plupart des membres du parti des Frères Musulmans. Parmi eux, l’ex-président Morsi lui-même. Porté à la présidence lors du premier scrutin démocratique qu’ait connu ce pays après avoir chassé Moubarak, en février 2011.
Que l’esprit de cette révolution est maintenant loin! Les appels à la liberté de la place Tahrir ont été étouffés par le vacarme des chars du Maréchal Al-Sissi. On nous dit que les condamnés ne seront peut-être pas exécutés, qu’il leur reste une possibilité d’appel, qu’on attend l’avis consultatif du grand Mufti… Sans doute, mais le jour même de la condamnation de Mohamed Morsi, cinq autres condamnés à mort ont été exécutés pour avoir participé à une action terroriste intervenue, alors que … deux d’entre eux, selon leurs avocats, étaient enfermés en prison! Eux aussi étaient des islamistes. Et les militaires peuvent s’enfoncer dans la barbarie en s’abritant derrière la rue du Caire qui n’est en majorité pas prête à prendre la défense des victimes.
Lorsque le Maréchal Al-Sissi a décidé de mettre fin à la parenthèse démocratique qui avait conduit les Frères Musulmans au pouvoir, en destituant Mohamed Morsi, il prétendait répondre en effet à l’aspiration d’une grande partie des égyptiens, inquiets de voir à l’œuvre le pouvoir islamiste. Ceux qui avaient chassé par leur courage le dictateur Moubarak, reprochaient alors à Mohamed Morsi de tenter d’imposer en Egypte une nouvelle forme de dictature, en accaparant le pouvoir, et en tentant de soumettre son peuple aux lois de l’Islam. Des centaines de milliers de manifestants dans les rues, offrirent à Al-Sissi, qui avait été placé par Morsi à la tête des armées, l’opportunité de prendre le pouvoir et de jeter Morsi en prison.
Stratégies absurdes menant à l’impasse
Depuis, l’Egypte apprend à vivre sous la poigne d’Al-Sissi, qui s’est fait élire président il y a un an. Elle a l’habitude, elle a vécu avec Moubarak pendant 30 ans. Les islamistes sont pourchassés, on parle de centaines de morts, de milliers d’incarcérations le plus souvent arbitraires. Cette dérive, de l’espoir de la place Tahrir aux ténèbres de la dictature, pose plusieurs questions.
La première est celle de la stratégie absurde des militaires égyptiens. Pourchasser les Frères Musulmans, qui avaient accepté de jouer, au moins jusqu’à leur arrivée au pouvoir, le jeu de la démocratie, c’est évidemment pousser le plus grand nombre d’entre eux à la radicalisation. Leur démontrer l’impasse que constitue pour eux la voie démocratique. Condamnations à mort et emprisonnements arbitraires d’islamistes, sont les meilleurs arguments pour la propagande terroriste de Daesh.
La deuxième question porte sur la communauté internationale et sa diplomatie aveugle. Certes on peut penser que la démocratie ne peut au fond s’accommoder de l’exercice du pouvoir par les représentants d’une religion. Mais en soutenant le pouvoir égyptien malgré l’évidente dérive tyrannique de son pouvoir, les occidentaux démontrent une fois de plus qu’ils refusent de tirer les enseignements de l’histoire. Comme du temps de Moubarak, on soutient sans état d’âme ou presque, celui qui semble le meilleur rempart contre les islamistes. On ferme les yeux sur les condamnations à mort et les assassinats, en faisant semblant de croire que la “marche vers la démocratie” se poursuit. C’est évidemment faux, et l’on peut prévoir à plus ou moins long terme que cette stratégie à courte vue conduise dans la même impasse, et donc à un nouveau discrédit des Etats-Unis et de l’Europe.
Mais dans cette parade de nos “singes de la sagesse” qui ne voient rien, n’entendent rien, et n’ont rien à dire, il est un pays qui sort du lot, et c’est hélas la France. Plus muette que tous, pas forcément plus aveugle mais en tout cas plus indifférente, elle n’a rien à redire. La condamnation à mort d’un ancien président élu démocratiquement puis déchu, semble donc aller de soi, puisqu’il est islamiste… On sait que la France s’est faite championne de la lutte contre les terroristes islamistes. Mais “l’éradication”, revendiquée par les militaires égyptiens, d’un mouvement d’opposition politique, au prétexte qu’il est d’obédience religieuse, n’en est pas tolérable pour autant. Les socialistes nous avaient habitués à un peu plus de vigilance démocratique. Mais c’était avant que l’Egypte ne vienne sauver la carrière compromise de notre avion Rafale. A croire que, de façon définitive, les rênes de la diplomatie de la France ont été confiées à Serge Dassault et ses catalogues d’armes…