La grande peur de l’Europe

C’est un déferlement! Il y a urgence absolue. Comment influencer le vote grec avant dimanche? Comment foutre une trouille bleue aux Grecs pour qu’ils votent correctement?Les chiffres pleuvent. La Grèce serait encore plus malade que ce qu’on vous a toujours dit. La dette est encore plus importante. La croissance encore plus faible. Et tout cela par la faute de son gouvernement actuel. C’est parce que Tsipras refuse depuis six mois de plier devant les créanciers que la situation s’est autant dégradée. Pour tout dire, avec lui la Grèce est foutue!

A part ça, comme on est démocrate, on reconnait qu’il est naturel que le peuple grec ait son mot à dire. Même Angela Merkel l’a dit!

Personne au fond ne veut que la Grèce sorte de la zone euro, car cela constituerait un recul historique et sans doute irrémédiable dans la construction de l’Europe. Donc, si le “non” l’emporte dimanche, les européens seront bien obligés de céder à Tsipras et de lui accorder la restructuration immédiate de la dette qu’il réclame. Parce qu’aucun chef d’Etat européen n’est vraiment prêt à assumer le rôle de démolisseur de l’Union… Mais au risque que Tsipras fasse des émules!

Bien sûr, en y pensant plus tôt, on aurait pu s’éviter d’en arriver là. On aurait pu rechercher vraiment un accord. La France aurait pu y mettre tout son poids pour faire pression sur l’Allemagne et le gouvernement grec, mais Hollande était apparemment pris ailleurs… On aurait pu tout simplement tenir compte de ce que la plupart des économistes rabâchent, jusqu’à DSK: cette dette ne sera jamais payée, autant donc la restructurer et cesser de prétendre ponctionner des intérêts sur une économie exsangue. Mais maintenant il est trop tard. Il n’y a plus qu’une issue qui préserve l’ordre bruxellois: le oui au référendum, et le départ du gouvernement de Tsipras, que quelques technocrates éclairés pourront avantageusement remplacer …

Alors on sort la grosse Bertha. Et tout le monde tire à vue: les ministres des finances européens, les fonctionnaires bruxellois, les socialistes, les libéraux, les journalistes… tout le monde y va de son projectile. On noie sous les bombes la simple éventualité d’un vote de révolte des grecs. La Grèce doit se soumettre, au nom de l’intérêt supérieur des dirigeants européens et du FMI, et se débarrasser de son propre gouvernement.

Evidemment tout cela n’est pas crédible. Ce n’est pas Tsipras qui a mis la Grèce dans la situation dramatique où elle est. Ce n’est pas Siryza qui a inventé la dette grecque ou l’impunité fiscale des plus riches. Pas le gouvernement actuel non plus qui a choisi, avec la bénédiction de ses créanciers, de continuer à acheter des armes à l’Allemagne quand la raison aurait voulu que les coupes budgétaires commencent par là. On peut contester les choix économiques de Tsipras, on peut discuter sa façon de négocier, estimer qu’il s’y est mal pris, voire qu’il a braqué ses partenaires, il reste le président légitime que la Grèce s’est choisi pour la tirer du gouffre, et pas le dépositaire des errements du passé.

Dans leurs affolement, les dirigeants européens sont en train de commettre une grave erreur. S’ils parviennent à leur fin, si les grecs submergés par tant de pression finissent par dire oui au nouveau plan de Bruxelles, s’ils chassent le gouvernement qu’ils ont choisi il y a six mois, parce que la menace européenne est trop forte, alors l’irréparable aura été commis. Les dirigeants européens actuels auront beau tenter de raccommoder ce qui peut l’être -quitte à accorder aux successeurs de Tsipras ce qu’ils avaient refusé à celui-ci- le mal sera fait.

On ne construira pas l’avenir de l’Europe sur la peur! Sur un déni de démocratie. La coupure entre les dirigeants et les peuples, déjà profonde, ne s’en creusera que d’avantage, sapant un peu plus la confiance dans l’Europe, l’envie même d’Europe, consacrant les égoïsmes nationaux, et ouvrant ainsi plus que jamais le passage aux courants populistes qui menacent le continent.

 

 

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