La menace d’une grande régression…

La crise des migrants est en train de jouer un rôle de catalyseur à bien des égards. Au delà des élans de générosité, bien réels heureusement, elle accentue les clivages, cristallise les rancoeurs, précipite les dérives, focalise les angoisses, renforce les égoïsmes.

On le voit d’abord à l’extrême droite chez Marine Le Pen. Jamais les frontistes n’avaient semblé si bien dans leurs baskets. Chaque jour l’évolution de la crise apporte de l’eau à leur moulin. Qu’Angela Merkel affiche sa générosité envers les réfugiés, et cela prouve bien que l’Union Européenne, sous domination allemande, est prête à ouvrir toutes les vannes à “l’invasion barbare”. Qu’elle rétablisse temporairement le contrôle aux frontières et la démonstration est faite par Merkel elle-même que le Front National a raison de réclamer depuis toujours une mesure identique. Et lorsque Viktor Orban, le premier ministre hongrois, décide d’opposer aux migrants des barbelés, Marine Le Pen jubile.

Mais elle n’est pas la seule. Et c’est là que l’on voit à quel point la crise accélère les dérives. Pour Thierry Mariani, député “Les Républicains”, Viktor Orban est devenu comme un modèle. Le premier-ministre Hongrois, populiste et ultraconservateur, serait victime d’une diabolisation orchestrée, comme toujours, par les tenants de “la pensée unique”. Mariani n’est pas suivi par tous dans son parti sur sa voie hongroise, mais il fait un peu office d’éclaireur. Car la crise des migrants fournit l’opportunité inespérée à son président, Nicolas Sarkozy, de marquer des points dans la bataille de la future primaire de “Les Républicains” qui est déjà engagée.

En surfant sur la vague de l’anxiété générale, l’ex-président vient de lancer une consultation des adhérents de son parti sur le thème de l’immigration. Objectif: ficeler ses opposants dans un programme made-in-Sarkozy, dont ils ne pourraient plus s’écarter pour affirmer leur originalité. Et les questions posées aux militants du parti sont un condensé des obsessions anti-immigration qui avaient servi de base à son programme de 2012: rétablissement des contrôles aux frontières, suppression de Schengen en attendant une politique migratoire européenne commune, création de centres de rétention, c’est à dire de prisons pour migrants, hors de l’Europe, diminution du regroupement familial, remise en question de l’Aide Médicale d’Etat ou des prestations familiales pour les étrangers, limitation du droit du sol, lutte contre les “communautarismes”… Le questionnaire “Les Républicains” dresse en creux le portrait édifiant des migrants qui veulent nous envahir, sont avides de nos prestations sociales, font des enfants pour qu’ils obtiennent automatiquement notre nationalité, et refusent de s’intégrer à notre culture… Bref, une réponse à tous les fantasmes… des électeurs du Front National.

Manifestement la méthode de Sarkozy pour la reconquête tu pouvoir n’a pas varié: reprendre à son compte les obsessions du Front National, en prétendant apporter des réponses plus efficaces, et plus “républicaines”, aux questions que sont supposés se poser ses électeurs. Marine Le Pen adore. Et  les sondages commencent à annoncer sa victoire aux régionales dans le Nord.

Il est trop tôt bien sûr pour savoir si cette stratégie permettra au président de l’ex-UMP de remporter la primaire de la droite, puis la présidentielle. Il est hélas déjà temps pour craindre que tout ce charivari ne se solde in fine par une grande régression.

Régression morale d’un pays qui jusqu’ici soigne les gens malades sans se soucier de leur origine ou de la validité de leurs papiers, qui a accueilli des générations de réfugiés de tous horizons fuyant dictatures et guerres, qui a refusé de cantonner son horizon à ses frontières, qui a considéré que son avenir ne pouvait se construire qu’avec les autres, et cela quelle que soit la couleur politique des gouvernements qui se sont succédés… Régression d’une construction européenne à la dérive. Malmenée par une crise grecque qui a démontré combien l’activité financière avait pris le pas sur la plupart des activités humaines. Dans laquelle aujourd’hui il ne semble plus possible de dégager des consensus, au delà des égoïsmes nationaux, y compris sur les sujets que Nicolas Sarkozy veut mettre à son agenda. Une Europe qui risque de voir peu à peu tous ses membres recréer des frontières au prétexte de stopper “l’invasion” étrangère, et se refermer sur eux-mêmes dans un élan de national-populisme, qu’on appellera “souverainisme” pour faire plus élégant.

Il reste peu de temps pour éviter que cette promesse de régression ne se traduise par une faillite morale de l’Europe. Pour éviter que le maelström populiste qui nous menace n’emporte tout sur son passage. La véritable menace sur notre civilisation, elle est là! Pas dans la suppression du latin ou de l’enseignement des Lumières au collège, et encore moins dans les menus de substitution à la cantine, ou le port du voile à l’université.

1 réflexion sur « La menace d’une grande régression… »

  1. Même si vous considérez que les peuples et les individus relèvent de la même éthique, ce qui est discutable, alors admettez qu’un peuple comme un individu ne peut pas être TOUJOURS généreux, ni TOUJOURS égoïste.
    Le fait d’avoir une dette de 2100 milliards d’Euros, à presque 100% du PIB et en augmentation constante incite à la pingrerie et à préférer se soigner soi–même plutôt que de soigner les autres.
    Enfin, il y a une immense contradiction à vouloir que la France soit une province de l’Europe comme les autres et à vouloir qu’elle montre l’exemple de l’abnégation à la terre entière.

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