Les gros mots !

« Infamie », nous dit Thomas Piketty du haut de son succès de librairie planétaire, et de son expertise économique. « Pétainisme », “Déshonneur”, renchérit-on à la gauche de la gauche. C’est la République qu’on assassine, l’Histoire que l’on piétine ! Hollande dit « adieu à la gauche »… Le progrès du Front National, c’est la faute à Hollande, et les manifs racistes d’Ajaccio, aussi… Et Médiapart se surprend à encenser Devedjian, pour qui l’on avait pas de mots trop durs hier, ou encore Toubon, dont la nomination comme « Défenseur des droits » constituait pourtant déjà, il y a quelques mois, une infamie du dit Hollande. Mais les deux élus de droite ont choisi le camp de la République contre celui de la trahison, comprendre celui de l’anti-hollandisme, seul combat qui vaille aujourd’hui pour la « vraie gauche ».

On peut être opposé au double projet du président de banaliser l’état d’urgence, et d’étendre le champ de la déchéance de nationalité déjà autorisée par la loi… Et rester pourtant perplexe devant l’avalanche de mots. De gros mots ! Avec l’accélération formidable des échanges d’idées qu’a permis le développement des réseaux sociaux, un nouvel étalon de la pensée semble apparaître, celui de la grosseur des mots, de l’enflure du propos, de l’outrance du discours. Plus c’est gros plus ça circule. Plus c’est exagéré plus c’est twitté, retwitté et facebooké, et repris dans les nouveaux cafés du commerce que sont les chaînes d’info en continu, shakers de lieux communs, où l’agitation des mots tient lieu de construction du propos, l’anathème d’analyse.

Tout est devenu question de principe. On ne juge plus qu’à l’aune des « valeurs ». Le gros mot que l’on entend dans toutes les bouches dès lors qu’il s’agit de dire son désaccord, son refus, son rejet de l’autre. Sarkozy défend les « valeurs » de LA REPUBLIQUE, comme Hollande d’ailleurs et même… Marine Le Pen. Edwy Plenel ou Mélenchon également, mais ils sont en plus le rempart des « valeurs de LA GAUCHE ». Et les uns et les autres s’excommunient mutuellement, s’injurient en leur nom.

Il n’y a plus de nuances, que du blanc et du noir. Vérité en deçà de mon rubicon, infamie au delà. Nous ne partageons pas les même valeurs ! La vraie gauche c’est moi ! Les Républicains c’est nous ! Et chacun prétend, avec l’aide des multiples et contradictoires sondages d’opinion, être le Peuple. Mélenchon sait ce que veut ce Peuple de France, et Marine Le Pen aussi, et les autres également qui parlent bien sûr au nom des Français…

Alors, on se prend à rêver d’une pause ! Juste le temps d’une respiration pendant laquelle on reprendrait le temps du dialogue, de l’échange d’arguments, de l’analyse, de la compréhension. Où l’on retrouverait le goût de la nuance. Au risque de faire un peu moins de « buzz », mais un peu plus de sens !

 

Déchéance de nationalité: le chiffon rouge

Essayons de garder notre sang froid! Que faut-il penser de la décision de François Hollande de faire adopter par le parlement réuni en congrès la déchéance de nationalité pour les citoyens binationaux nés en France? D’abord et avant tout, on peut estimer que cela ne sert rigoureusement à rien, en ce qui concerne son objet principal: la lutte contre le terrorisme. Primo, aucun aspirant kamikaze ne renoncera à son suicide par crainte de perdre la nationalité française. Deuxio, elle ne s’appliquera qu’à l’issue de la peine pour des gens condamnés pour terrorisme, soit après des années de prison. Donc dans le meilleur des cas on pourra chasser du pays un terroriste ayant effectué sa peine de prison, et lui interdire de rentrer “officiellement” sur le territoire. Mais on a cru comprendre récemment que les candidats aux actions terroristes montraient rarement patte blanche aux forces de police et préféraient la clandestinité et les faux papiers. Perdre leur nationalité ne devrait donc leur faire ni chaud ni froid.

Faut-il pour autant parler avec une partie de la gauche, de “forfaiture” “trahison des idéaux républicains” ou encore “d’attentat contre la République” à l’instar du journal Mediapart. Il y a là peut-être un peu d’excès. Certes le projet de loi rompt le principe d’égalité entre citoyens terroristes. Ceux qui n’auront qu’une nationalité pourront la conserver quand ceux qui en auront deux pourront être bannis de la citoyenneté française. Mais cela ne concerne que les coupables d’actes terroristes, ayant été condamnés par les tribunaux et ayant purgé leur peine. Outre cette rupture d’égalité, on doit aussi constater, et sans doute déplorer, qu’il s’agit d’une double peine. Tout condamné est supposé quitte vis à vis de la société après avoir effectué la peine prononcée par les tribunaux, pas les terroristes ayant la double nationalité. Cela pose incontestablement un problème d’équité, d’égalité dans la citoyenneté. Mais on peut penser que le maintien de l’Etat d’urgence pour une période indéterminée, comme certains y pensent, serait beaucoup plus attentatoire à nos libertés. Faut-il donc pour autant établir des parallèles avec la période de Vichy? Comparer Hollande à Laval ou à Pétain?

Garder un peu de mesure ne nuit pas au raisonnement. D’ailleurs les plus virulents aujourd’hui sont de toutes façons ceux qui ont fait leur religion depuis longtemps et considèrent depuis le premier jour de son quinquennat, ou presque, que Hollande a trahi la gauche, la démocratie et la République. C’est simplement un élément de plus pour étayer leur dossier à charge.

Mais puisque cela ne sert à rien, et que cela met en transes une partie de la gauche, pourquoi Hollande a-t-il fait ce choix, mettant en porte à faux une partie de son gouvernement en commençant par sa garde des Sceaux qui du coup a droit depuis 48 heures à une volée de bois vert de la part de ceux-la même qui à gauche en avaient fait un temps leur égérie? Pourquoi reprendre à son compte une mesure inutile proposée par le Front National et la droite?

D’abord sans doute parce que Hollande, d’habitude plus prudent, avait parlé un peu vite ce 16 novembre. Sous le coup de l’émotion, mais sans doute aussi soucieux de profiter de la situation dramatique pour piéger l’opposition, il avait repris cet élément de programme d’un “chiche!” un peu puéril et irréfléchi. Mais renoncer aujourd’hui à ce qu’il avait promis devant les deux chambres réunies en Congrès était évidemment délicat. Sans doute impossible, sauf à rendre immédiatement la main à la droite en tendant la joue pour se faire battre. Hollande assume donc.

Mais il y a sans doute plus. Avec cette affaire il peaufine aussi son positionnement pour 2017. Président hors-sol, comprendre distancié de son parti, incarnant les aspirations d’une France modérée qui en a marre des guerres de clans politiques, des oppositions de principe, systématiques, qui empêchent le pays d’avancer, des batailles d’égos qui minent la vie politique; une France qui souhaite que le pays se modernise en douceur, en faisant reculer les privilèges et les inégalités, mais sans “grand soir” ni guillotine… Qui en cette période de Noël, voudrait bien voir les hommes de bonne volonté de gauche comme de droite tenter de s’entendre sur l’essentiel, et au moins sur leur sécurité.

Mais Hollande est encore bien loin du compte. Pour incarner tout cela dans un an, il devra faire beaucoup plus que retirer la nationalité à une poignée de terroristes binationaux en accord avec la droite et l’extrême-droite.

 

Quand l’UE est facteur d’ “impuissance publique”…

Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat au Numérique, a usé devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale d’une jolie formule.  En disant craindre le « lobby de l’impuissance publique » face aux géants de l’internet. Sa crainte parait hélas parfois bien fondée. Le gouvernement français vient de s’opposer devant la commission des lois à l’Assemblée à un projet de lutte contre l’optimisation fiscale des grands groupes, qui faisait plutôt consensus au parlement. Il s’agissait d’empêcher les groupes en question de soustraire à la fiscalité française une partie de leurs activités commerciales réalisés sur le territoire depuis des pays à fiscalité plus avantageuse. Explication du refus du ministre des finances: il faut attendre qu’une législation européenne soit mise en œuvre. Comme le dénonce justement le site “Sauvons l’Europe”, ce n’est pas ainsi qu’on fera avancer la construction européenne.

Autre expression d’impuissance publique, en Grèce, où le gouvernement d’Alexis Tsipras vient d’être obligé de retirer un projet de loi destiné à compenser les effets de l’austérité sur les plus faibles. Le projet n’était pas dispendieux, mais ne convenait pas aux créanciers de l’Eurogroupe parce qu’il n’allait pas dans le sens unique de la diminution de l’endettement de la Grèce. Il s’agissait de garantir une couverture médicale à ceux qui n’en ont pas, d’élargir l’accès à la soupe populaire fournie par l’Etat, de diminuer les factures d’électricité des plus pauvres… Impossible! Alexis Tsipras s’étant engagé l’été dernier à ne prendre aucune mesure budgétaire sans accord préalable des créanciers, a dû se plier à la volonté européenne.

L’Europe n’a rien à gagner à la décrédibilisation des exécutifs nationaux. Elle ne peut tirer aucune force de la faiblesse des états. Lorsque le gouvernement français renonce à un projet de renforcement de l’équité fiscale, en prétextant attendre que nos voisins soient convaincus de son utilité, c’est du grain à moudre pour les populistes antieuropéens. Lorsqu’on pousse Tsipras dans ses derniers retranchements, lorsqu’on l’empêche de montrer au peuple grec que le pire n’est pas tout à fait certain, et qu’il y a encore place en Europe pour la compassion et la solidarité, on fait reculer l’Europe. Lorsque l’Union européenne semble plus attentive aux pressions des grands groupes et places financières, qu’aux difficultés rencontrées par les populations des pays en crise, elle s’éloigne encore plus de ses citoyens.

 

Un Bertrand ne fait pas le printemps ?

Et si, finalement, les lignes commençaient à bouger?

Certes on est encore sous le coup de l’émotion de ce vote de 8,5 millions de français en faveur du FN, de ce qu’il dit du rejet des partis politiques et de leur fonctionnement. Et chacun sait que sous le coup de l’émotion, les promesses verbales s’envolent encore plus facilement que d’habitude. Alors tout le monde promet que rien de doit plus être comme avant! Tout doit changer, parole d’hommes et femmes politiques. L’emphase oratoire ne suffit pas à crédibiliser le propos.

Mais tout de même! Le discours de Xavier Bertrand, par exemple, fait partie des bonnes surprises de ce lendemain d’élection. D’autant qu’il joint l’acte à la profession de foi en renonçant à tous ses mandats hors celui de président de sa région. Et se retire de la course présidentielle. Les accents qu’il trouve pour expliquer ce qui a changé pour lui pendant cette campagne, sa dénonciation de sa propre action politique passée, son désir de la refonder en se mettant au service des habitants de sa région, donnent envie de lui accorder le bénéfice du doute. On attendra de juger sur pièces en quoi sa façon de faire de la politique a réellement changé.

A l’inverse, pas besoin d’attendre pour se faire un jugement sur l’autisme de Nicolas Sarkozy, qui continue à poursuivre sa démarche obsessionnelle sans entendre plus les électeurs que son entourage immédiat. S’affichant à l’heure des résultats de cette élection catastrophique… dans la tribune présidentielle du Paris Saint Germain, avant de virer Nathalie Kosciusko Morizet de son état major pour cause de déviance. Et la parole de NKM lui tenant tête, et revendiquant dans ce moment de crise politique, la liberté de penser et de débattre, dénonçant son “stalinisme”, le renvoie à l’image caricaturale d’un roi déchu obsédé par la reconstruction d’un royaume qui se résume maintenant à sa cour intérieure, dont tous les courtisans d’hier tentent de s’enfuir.

Autre dissidence, celle de Jean-Pierre Raffarin, qui certes peut difficilement incarner l’avenir et le renouveau, mais s’émancipe lui aussi de la loi sarkozienne qui veut que l’on ne réserve au gouvernement et à la gauche qu’anathèmes et injures. Lui, propose à la droite de “travailler avec le gouvernement”, sans compromission, mais dans le souci de l’intérêt public. Même Christian Estrosi, veut associer la gauche qui l’a fait élire et sera absente de l’assemblée qu’il va diriger, à la gestion de sa région. Là on se permettra toutefois de rester très circonspect…

Le problème vient aujourd’hui d’en face. Du parti socialiste où l’on affirme tout aussi haut et fort qu’il faut changer de façon de faire de la politique, pour enrayer la progression du Front National, mais où les premières réponses proposées laissent pantois. Certes Manuel Valls propose de travailler main dans la main avec les présidents de région, donc la droite en majorité, pour développer l’apprentissage… Mais cela reste un peu court, et peu engageant. D’autant qu’au même moment, la solution proposée par l’Etat Major du PS serait plutôt la reconstitution de l’union de la gauche dans le simple but d’être présent au second tour de la présidentielle contre Marine Le Pen. Sans s’attarder sur la réponse lumineuse proposée en réponse à la crise par Julien Dray: “changer de nom le parti socialiste”!

Evidemment l’initiative d’un changement de logiciel politique dépend largement de ceux qui ont aujourd’hui le pouvoir. Et donc, Cinquième République oblige, du président de la République. C’est lui qui peut maintenant pendant la grosse année de mandat qui lui reste infléchir la vie politique française. En invitant ceux qui à droite s’y disent prêts à participer à l’élaboration de quelques projets qui pourraient ainsi avoir une espérance de vie plus longue que son mandat. Pour lutter contre le chômage d’abord, et moderniser l’économie, et lutter contre les inégalités qui s’accroissent de façon apparemment inexorable, et pour mettre en œuvre la transition énergétique, et pour donner enfin à l’école la stabilité dont ont besoin les enseignants pour mener à bien leur mission… On a réussi à mettre d’accord 195 pays sur le changement climatique, on doit bien pouvoir en faire autant en rassemblant quelques hommes de bonne volonté de droite ou de gauche autour de quelques projets d’intérêt public.

Ce serait un vrai changement, qui n’interdirait pas l’alternance et le débat politique. Personne ne peut prédire qu’il ferait régresser le vote Front National, mais ce n’est certainement en continuant comme hier que les politiques de droite et de gauche y parviendront.

 

 

 

L’onde de choc d’un “sacrifice républicain”

La gifle si souvent annoncée ces derniers mois par les unes des magazines, en une prophétie en partie autoréalisatrice,  est donc arrivée. Marine Le Pen et sa nièce ont attiré chacune plus de 40% des suffrages dans les régions où elles se sont posées. La vague bleue marine prophétisée par les médias depuis plusieurs années a touché les rivages du Nord et de la Provence, et menace le grand Est. Elle n’a pas encore tout submergé mais il reste peu de temps pour lui faire barrage. Et face au danger, les deux partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies sont logés à la même enseigne.

Le PS, qui avait réalisé un petit chelem aux dernières régionales, avec ses alliés divers gauche et radicaux, en remportant toutes les levées sauf une en métropole, est premier à faire les frais de la progression de l’extrême-droite. Il pourrait ne conserver que trois ou quatre des 12 nouvelles régions. C’est évidemment un échec cuisant, dont la cause est sans doute à chercher dans la désaffection d’un électorat populaire, qui attendait sans doute beaucoup des champions de l’Etat-providence, et a d’autant moins apprécié la potion de rigueur administrée par le pouvoir socialiste que les résultats promis en matière d’emploi ne sont toujours pas au rendez-vous. On peut même supposer que la raclée aurait été pire pour les socialistes sans l’embellie de popularité dont ont profité les deux têtes de l’exécutif à la suite des mesures prises après le 13 novembre.

“Les Républicains”, le parti de Nicolas Sarkozy n’est pas non plus à la fête. Arc-boûté sur une position de rupture totale, dénonçant systématiquement et violemment l’action du gouvernement sur tous les sujets, n’hésitant pas à puiser dans l’argumentaire (tellement pauvre!) du Front National pour tenter de siphonner les voix de celui-ci et apparaître comme seul recours, l’ex-président a échoué. Par un jeu de vases communicants qu’il n’avait sans doute pas imaginé, le siphon a fonctionné à l’envers, et c’est le parti des Le Pen qui a pompé dans l’électorat traditionnel de l’ex-UMP. Avec 27% pour la droite et le centre fusionnés le temps d’un scrutin, le résultat est très mauvais. La droite a même perdu quelques dizaines de milliers de voix, depuis le premier tour de l’élection de 2010. Et 1,5 millions de voix par rapport au second tour de cette élection que la gauche avait pourtant largement emporté. C’est donc un échec personnel de Nicolas Sarkozy qui avait fait de cette échéance régionale la première étape de sa reconquête du pouvoir.

A cet égard les réactions des uns et des autres face à la débâcle sont assez significatives. Côté droit, Nicolas Sarkozy est encore une fois sans surprise. En excluant tout ralliement ou désistement, il est fidèle à ses positions précédentes et diabolise de façon symétrique le FN et la gauche qui ne seraient que les deux faces d’une même faillite du pays. Ce faisant il prend le risque de faire apparaître une fracture dans son mouvement, comme on l’a vu avec le refus de ralliement de la part de Nathalie Kosciusko Morizet ou Jean-Pierre Raffarin. Mais une fois de plus Nicolas Sarkozy est dans la fuite en avant. Son échéance à lui c’est 2017, et pour l’emporter, il devra récupérer les voix siphonnées par le Front National. Attendons-nous donc à une campagne musclée, avec appels du pied sans vergogne vers les électeurs d’extrême-droite, pour le second tour des régionales, et les mois qui nous séparent de 2017. Mais on peut se demander comment et pourquoi une stratégie qui échoue depuis 2012 pourrait devenir gagnante 5 ans après.

A gauche, on l’a joué au réflexe. Réflexe républicain qui a conduit Jean Christophe Cambadélis a annoncé dès le début de la soirée le retrait des candidature en PACA et dans le nord pour tenter de s’opposer à une victoire des extrémistes. Calcul politique aussi. Car là encore on saute l’échéance de 2015 pour préparer 2017, on sacrifie le présent à ce que l’on imagine pouvoir être une victoire future.

Le choix de jeter l’éponge dans les régions ou le FN est menaçant est en effet lourd de conséquences. D’abord pour les militants socialistes qui se sont investis dans ce combat depuis des semaines et ne comprennent pas qu’on les renvoie à la maison. Ensuite pour le parti socialiste lui-même qui va perdre toute représentation dans trois régions majeures. Les Républicains et le Front-National seront seuls présents dans les assemblées. Dans lesquelles il n’y aura donc plus de place pour un véritable débat démocratique. On peut imaginer que la position du parti socialiste dans toutes les autres échéances locales, municipales par exemple, s’en trouvera affaiblie, particulièrement dans l’Est où la révolte gronde chez les socialistes après l’appel du premier secrétaire à voter au second tour pour le candidat de droite.

En échange de ce renoncement, que recherche le PS? Sans doute un affichage de sa différence par rapport au parti LR. Une image d’intransigeance républicaine qui colle bien à cette période de tous les dangers. Et constitue peut-être l’esquisse du positionnement que pourrait adopter François Hollande en se présentant aux électeurs pour un renouvellement de son mandat dans un peu plus d’un an, fort de sa nouvelle image de chef de guerre anti-terroriste. Mais les socialistes cherchent aussi par cette prise de position à planter profond un coin au sein même du noyau dur de l’ex-UMP. A cet égard, ils peuvent considérer la prise de position de NKM et Raffarin comme un premier succès. En poussant Nicolas Sarkozy au durcissement identitaire, et sécuritaire, dans sa chasse aux voix FN, Hollande préempte le centre de l’échiquier politique où il espère asseoir sa prochaine candidature -bien loin de sa profession de foi anti-finance du premier mandat- et il met en porte à faux les responsables les plus modérés de l’UMP, qui pourraient lui disputer cet espace.

Mais il y a encore bien loin d’ici 2017. Rien ne prouve aujourd’hui que Nicolas Sarkozy emportera la primaire de la droite. Après l’échec du premier tour, ses rivaux semblent prêts à en découdre au lendemain du second. Sauf redressement surprise des listes de droite entre les deux tours, Nicolas Sarkozy verra sans doute son leadership contesté. Mais il n’est pas sûr non plus que le PS se relève si facilement de l’épreuve en cours. Déjà ébranlé et divisé par l’incompréhension autour du recentrage économique du gouvernement, puis par ses choix sécuritaires jugés liberticides par plus d’un socialiste, meurtri par plusieurs défaites successives, le parti risque bien de se diviser sur ce choix de voler au secours de la droite. Pour lequel, en l’absence de réciprocité, il est difficile de parler de “front républicain”… Le terme “sacrifice républicain” convenant sans doute mieux.

L’onde de choc du scrutin régional n’a pas fini de se faire sentir, dans les régions où le FN est aux portes du pouvoir, bien sûr, mais aussi sur l’ensemble d’une classe politique qui semble plus que jamais dépassée par les événements.

 

 

 

Quel front?

A quatre jours des régionales, la menace se précise: des régions pourraient tomber aux mains du Front National, avec tout ce que cela suppose de régression sociale et morale. Du moins les sondages nous le prédisent-ils. Et ressurgit la vieille antienne préelectorale de la vie politique française: front républicain ou pas? Nicolas Sarkozy pour sa part a prévenu: nous ne retirerons aucune liste entre les deux tours. Mais il n’est pas certain que le raisonnement de certains de ses rivaux pour la primaire de la droite soient à l’unisson. Côté socialiste, on a des états d’âme. Entre Manuel Valls se risquant à parler de fusion des listes dans le nord, pour faire échec à Marine Le Pen, et les candidats de base qui se battent souvent depuis des dizaines de mois d’abord dans leur parti, puis contre la droite et l’extrême-droite, pour obtenir un siège de conseiller régional, l’incompréhension est évidemment totale. Les provocations du premier ont peu de chances d’amuser les seconds. Et encore moins d’obtenir un écho chez les ex-UMP qui sont donnés par les sondages largement devant le PS dans la région en question et ne feront évidemment aucune place aux socialistes entre les deux tours.

En fait ce débat n’est pas sérieux. C’est juste un “truc” que l’on ressort pour discréditer un peu l’adversaire avant le vote. Pour Sarkozy, le Ni-Ni permet de diaboliser les socialistes en les mettant sur le même plan que Marine Le Pen. Pour le premier-ministre le message est symétrique: en proposant un front républicain que refusera le parti de Nicolas Sarkozy, l’objectif est de démontrer que les vrais républicains sont à gauche, et pas à droite ! Dans les deux cas, on ne décolle pas vraiment du niveau cours de récréation.

Car ni les uns ni les autres ne sont crédibles sur le sujet. Ni Sarkozy qui prétend que c’est le PS qui fait progresser l’extrême-droite, quand le score de la famille Le Pen est passé de 10% en 2007 à 18% en 2012, sous sa présidence. Ni non plus les adeptes de gauche du front républicain qui voudraient convaincre leurs électeurs que l’ennemi dénoncé à longueur de campagnes cesse de l’être le temps d’un second tour électoral.

Tous seraient plus crédibles s’ils étaient capables, hors périodes électorales, de manifester concrètement leur attachement républicain en essayant de s’entendre, dans l’intérêt de la nation, sur un peu plus que l’état d’urgence où la guerre en Syrie. Or le message qu’ils transmettent de façon continue, permanente, réitérée à longueur de mandats est toujours le même: ceux d’en face ont tout faux de A à Z, ce sont des nuls. Et à chaque alternance chacun commence par défaire méthodiquement tout ce qu’a fait le gouvernement précédent, parfois même à refaire ce qui avait été défait par les autres, dans un surprenant bond en arrière. Tout cela rendant impossible la mise en œuvre sur la durée de toute politique crédible.

En matière d’éducation par exemple. Aussi bien à droite qu’à gauche on a raillé la résistance des enseignants au changement, et on s’est apitoyé sur les résultats catastrophiques de notre système éducatif. Mais aucun n’a le courage, et pour tout dire le simple bon sens, de laisser les réformes initiées par d’autres produire leurs effets avant de tout changer. A chaque gouvernement sa réforme définitive de l’éducation, sa révision drastique des programmes, qui jettent aux orties tout ce qui a été fait précédemment… et les enseignants sont priés de suivre.

Même chose dans le domaine fiscal. Et sur la dette publique, et sur tous ces sujets où sur le fond ils ne devraient pas être  si éloignés. Aujourd’hui tout le monde est d’accord pour rendre la fiscalité plus juste et lutter contre la fraude. Pour baisser les impôts, pour réduire les déficits, pour augmenter la productivité des entreprises, pour moderniser l’économie… Mais il est impossible de dégager entre gauche et droite un consensus minimum sur un socle de réformes que les deux parties s’engageraient à conduire à terme quelles que soient les alternances. Et qui ne les empêcherait pas d’imprimer leur propre rythme, leurs propres projets, de privilégier leurs choix politiques, lorsque l’une ou l’autre serait au gouvernement. Dans d’autres pays, les forces politiques opposées savent s’allier autour de quelques projets fondamentaux, ils ne s’en portent pas plus mal. Et l’extrême droite n’y est pas plus forte qu’ici.

Alors quand arrive l’entre deux tours, et que l’ont fait mine de se rendre compte qu’au fond on est d’accord sur l’essentiel, et que l’on appelle des électeurs à voter “républicain”, pour faire obstacle aux vrais ennemis, ceux d’extrême droite… les électeurs peuvent avoir le sentiment qu’on se moque d’eux. Et demander qu’on les laisse voter en leur âme et conscience, sans se prétendre propriétaire de leurs voix. Voter pour éviter le pire, quand on n’est plus à même de choisir le meilleur, est forcément douloureux, mais reste l’affaire de chacun.