L’onde de choc d’un “sacrifice républicain”

La gifle si souvent annoncée ces derniers mois par les unes des magazines, en une prophétie en partie autoréalisatrice,  est donc arrivée. Marine Le Pen et sa nièce ont attiré chacune plus de 40% des suffrages dans les régions où elles se sont posées. La vague bleue marine prophétisée par les médias depuis plusieurs années a touché les rivages du Nord et de la Provence, et menace le grand Est. Elle n’a pas encore tout submergé mais il reste peu de temps pour lui faire barrage. Et face au danger, les deux partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies sont logés à la même enseigne.

Le PS, qui avait réalisé un petit chelem aux dernières régionales, avec ses alliés divers gauche et radicaux, en remportant toutes les levées sauf une en métropole, est premier à faire les frais de la progression de l’extrême-droite. Il pourrait ne conserver que trois ou quatre des 12 nouvelles régions. C’est évidemment un échec cuisant, dont la cause est sans doute à chercher dans la désaffection d’un électorat populaire, qui attendait sans doute beaucoup des champions de l’Etat-providence, et a d’autant moins apprécié la potion de rigueur administrée par le pouvoir socialiste que les résultats promis en matière d’emploi ne sont toujours pas au rendez-vous. On peut même supposer que la raclée aurait été pire pour les socialistes sans l’embellie de popularité dont ont profité les deux têtes de l’exécutif à la suite des mesures prises après le 13 novembre.

“Les Républicains”, le parti de Nicolas Sarkozy n’est pas non plus à la fête. Arc-boûté sur une position de rupture totale, dénonçant systématiquement et violemment l’action du gouvernement sur tous les sujets, n’hésitant pas à puiser dans l’argumentaire (tellement pauvre!) du Front National pour tenter de siphonner les voix de celui-ci et apparaître comme seul recours, l’ex-président a échoué. Par un jeu de vases communicants qu’il n’avait sans doute pas imaginé, le siphon a fonctionné à l’envers, et c’est le parti des Le Pen qui a pompé dans l’électorat traditionnel de l’ex-UMP. Avec 27% pour la droite et le centre fusionnés le temps d’un scrutin, le résultat est très mauvais. La droite a même perdu quelques dizaines de milliers de voix, depuis le premier tour de l’élection de 2010. Et 1,5 millions de voix par rapport au second tour de cette élection que la gauche avait pourtant largement emporté. C’est donc un échec personnel de Nicolas Sarkozy qui avait fait de cette échéance régionale la première étape de sa reconquête du pouvoir.

A cet égard les réactions des uns et des autres face à la débâcle sont assez significatives. Côté droit, Nicolas Sarkozy est encore une fois sans surprise. En excluant tout ralliement ou désistement, il est fidèle à ses positions précédentes et diabolise de façon symétrique le FN et la gauche qui ne seraient que les deux faces d’une même faillite du pays. Ce faisant il prend le risque de faire apparaître une fracture dans son mouvement, comme on l’a vu avec le refus de ralliement de la part de Nathalie Kosciusko Morizet ou Jean-Pierre Raffarin. Mais une fois de plus Nicolas Sarkozy est dans la fuite en avant. Son échéance à lui c’est 2017, et pour l’emporter, il devra récupérer les voix siphonnées par le Front National. Attendons-nous donc à une campagne musclée, avec appels du pied sans vergogne vers les électeurs d’extrême-droite, pour le second tour des régionales, et les mois qui nous séparent de 2017. Mais on peut se demander comment et pourquoi une stratégie qui échoue depuis 2012 pourrait devenir gagnante 5 ans après.

A gauche, on l’a joué au réflexe. Réflexe républicain qui a conduit Jean Christophe Cambadélis a annoncé dès le début de la soirée le retrait des candidature en PACA et dans le nord pour tenter de s’opposer à une victoire des extrémistes. Calcul politique aussi. Car là encore on saute l’échéance de 2015 pour préparer 2017, on sacrifie le présent à ce que l’on imagine pouvoir être une victoire future.

Le choix de jeter l’éponge dans les régions ou le FN est menaçant est en effet lourd de conséquences. D’abord pour les militants socialistes qui se sont investis dans ce combat depuis des semaines et ne comprennent pas qu’on les renvoie à la maison. Ensuite pour le parti socialiste lui-même qui va perdre toute représentation dans trois régions majeures. Les Républicains et le Front-National seront seuls présents dans les assemblées. Dans lesquelles il n’y aura donc plus de place pour un véritable débat démocratique. On peut imaginer que la position du parti socialiste dans toutes les autres échéances locales, municipales par exemple, s’en trouvera affaiblie, particulièrement dans l’Est où la révolte gronde chez les socialistes après l’appel du premier secrétaire à voter au second tour pour le candidat de droite.

En échange de ce renoncement, que recherche le PS? Sans doute un affichage de sa différence par rapport au parti LR. Une image d’intransigeance républicaine qui colle bien à cette période de tous les dangers. Et constitue peut-être l’esquisse du positionnement que pourrait adopter François Hollande en se présentant aux électeurs pour un renouvellement de son mandat dans un peu plus d’un an, fort de sa nouvelle image de chef de guerre anti-terroriste. Mais les socialistes cherchent aussi par cette prise de position à planter profond un coin au sein même du noyau dur de l’ex-UMP. A cet égard, ils peuvent considérer la prise de position de NKM et Raffarin comme un premier succès. En poussant Nicolas Sarkozy au durcissement identitaire, et sécuritaire, dans sa chasse aux voix FN, Hollande préempte le centre de l’échiquier politique où il espère asseoir sa prochaine candidature -bien loin de sa profession de foi anti-finance du premier mandat- et il met en porte à faux les responsables les plus modérés de l’UMP, qui pourraient lui disputer cet espace.

Mais il y a encore bien loin d’ici 2017. Rien ne prouve aujourd’hui que Nicolas Sarkozy emportera la primaire de la droite. Après l’échec du premier tour, ses rivaux semblent prêts à en découdre au lendemain du second. Sauf redressement surprise des listes de droite entre les deux tours, Nicolas Sarkozy verra sans doute son leadership contesté. Mais il n’est pas sûr non plus que le PS se relève si facilement de l’épreuve en cours. Déjà ébranlé et divisé par l’incompréhension autour du recentrage économique du gouvernement, puis par ses choix sécuritaires jugés liberticides par plus d’un socialiste, meurtri par plusieurs défaites successives, le parti risque bien de se diviser sur ce choix de voler au secours de la droite. Pour lequel, en l’absence de réciprocité, il est difficile de parler de “front républicain”… Le terme “sacrifice républicain” convenant sans doute mieux.

L’onde de choc du scrutin régional n’a pas fini de se faire sentir, dans les régions où le FN est aux portes du pouvoir, bien sûr, mais aussi sur l’ensemble d’une classe politique qui semble plus que jamais dépassée par les événements.

 

 

 

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