Et si, finalement, les lignes commençaient à bouger?
Certes on est encore sous le coup de l’émotion de ce vote de 8,5 millions de français en faveur du FN, de ce qu’il dit du rejet des partis politiques et de leur fonctionnement. Et chacun sait que sous le coup de l’émotion, les promesses verbales s’envolent encore plus facilement que d’habitude. Alors tout le monde promet que rien de doit plus être comme avant! Tout doit changer, parole d’hommes et femmes politiques. L’emphase oratoire ne suffit pas à crédibiliser le propos.
Mais tout de même! Le discours de Xavier Bertrand, par exemple, fait partie des bonnes surprises de ce lendemain d’élection. D’autant qu’il joint l’acte à la profession de foi en renonçant à tous ses mandats hors celui de président de sa région. Et se retire de la course présidentielle. Les accents qu’il trouve pour expliquer ce qui a changé pour lui pendant cette campagne, sa dénonciation de sa propre action politique passée, son désir de la refonder en se mettant au service des habitants de sa région, donnent envie de lui accorder le bénéfice du doute. On attendra de juger sur pièces en quoi sa façon de faire de la politique a réellement changé.
A l’inverse, pas besoin d’attendre pour se faire un jugement sur l’autisme de Nicolas Sarkozy, qui continue à poursuivre sa démarche obsessionnelle sans entendre plus les électeurs que son entourage immédiat. S’affichant à l’heure des résultats de cette élection catastrophique… dans la tribune présidentielle du Paris Saint Germain, avant de virer Nathalie Kosciusko Morizet de son état major pour cause de déviance. Et la parole de NKM lui tenant tête, et revendiquant dans ce moment de crise politique, la liberté de penser et de débattre, dénonçant son “stalinisme”, le renvoie à l’image caricaturale d’un roi déchu obsédé par la reconstruction d’un royaume qui se résume maintenant à sa cour intérieure, dont tous les courtisans d’hier tentent de s’enfuir.
Autre dissidence, celle de Jean-Pierre Raffarin, qui certes peut difficilement incarner l’avenir et le renouveau, mais s’émancipe lui aussi de la loi sarkozienne qui veut que l’on ne réserve au gouvernement et à la gauche qu’anathèmes et injures. Lui, propose à la droite de “travailler avec le gouvernement”, sans compromission, mais dans le souci de l’intérêt public. Même Christian Estrosi, veut associer la gauche qui l’a fait élire et sera absente de l’assemblée qu’il va diriger, à la gestion de sa région. Là on se permettra toutefois de rester très circonspect…
Le problème vient aujourd’hui d’en face. Du parti socialiste où l’on affirme tout aussi haut et fort qu’il faut changer de façon de faire de la politique, pour enrayer la progression du Front National, mais où les premières réponses proposées laissent pantois. Certes Manuel Valls propose de travailler main dans la main avec les présidents de région, donc la droite en majorité, pour développer l’apprentissage… Mais cela reste un peu court, et peu engageant. D’autant qu’au même moment, la solution proposée par l’Etat Major du PS serait plutôt la reconstitution de l’union de la gauche dans le simple but d’être présent au second tour de la présidentielle contre Marine Le Pen. Sans s’attarder sur la réponse lumineuse proposée en réponse à la crise par Julien Dray: “changer de nom le parti socialiste”!
Evidemment l’initiative d’un changement de logiciel politique dépend largement de ceux qui ont aujourd’hui le pouvoir. Et donc, Cinquième République oblige, du président de la République. C’est lui qui peut maintenant pendant la grosse année de mandat qui lui reste infléchir la vie politique française. En invitant ceux qui à droite s’y disent prêts à participer à l’élaboration de quelques projets qui pourraient ainsi avoir une espérance de vie plus longue que son mandat. Pour lutter contre le chômage d’abord, et moderniser l’économie, et lutter contre les inégalités qui s’accroissent de façon apparemment inexorable, et pour mettre en œuvre la transition énergétique, et pour donner enfin à l’école la stabilité dont ont besoin les enseignants pour mener à bien leur mission… On a réussi à mettre d’accord 195 pays sur le changement climatique, on doit bien pouvoir en faire autant en rassemblant quelques hommes de bonne volonté de droite ou de gauche autour de quelques projets d’intérêt public.
Ce serait un vrai changement, qui n’interdirait pas l’alternance et le débat politique. Personne ne peut prédire qu’il ferait régresser le vote Front National, mais ce n’est certainement en continuant comme hier que les politiques de droite et de gauche y parviendront.