Migrants: cachez ce deal…

Bien sûr cela ne date pas d’hier. Les affaires internationales ont toujours tenu du marchandage, réalisme et intérêts bien pesés de chacun obligent. Mais on est en train d’atteindre une sorte d’acmé du marchandage. Peut-être parce que les rapports d’intérêts se sont substitués aux rapports de force avec la dissolution des blocs. Aucun pays n’est plus en état d’imposer brutalement sa loi aux autres, et c’est évidemment un progrès. Les Etats-Unis ont perdu leur superbe, la Russie son empire, l’Allemagne et la France leur autorité sur l’Europe. Alors tout le monde négocie tout, monnaye ses principes, fait chanter clients et fournisseurs… On l’a vu avec le bal des faux culs autour de l’Iran, ou de l’Arabie Saoudite, ou encore avec les contorsions européennes pour conserver les britanniques dans l’Union ou les tergiversations syriennes.

L’accord entre l’Europe et la Turquie, actuellement en gestation, en est évidemment une illustration caricaturale. Ankara accepterait qu’on renvoie en Turquie les Syriens réfugiés en Grèce, qui réclament l’asile à l’Europe, et en retour, pour chaque réfugié chassé de Grèce, l’Europe intégrerait un réfugié actuellement bloqué en Turquie. L’objectif: convaincre les réfugiés de ne plus tenter la traversée vers la Grèce, et confier la garde de la frontière de l’Union, bref, le sale boulot… à des non-européens. Pour l’instant, l’accord n’est pas conclu, car la Turquie essaye de vendre le plus cher possible son coup de main.

Déjà, Ankara a décroché la réouverture des négociations sur son adhésion à l’Union. Le président turc Erdogan a obtenu en outre carte blanche dans sa sale guerre anti-kurdes! Après avoir glorifié le courage des Kurdes, seuls à obtenir des succès militaires face à Daech, les occidentaux ont pudiquement détourné le regard, lorsque la Turquie a envoyé ses avions bombarder les héros. Cela fait partie du prix à payer… par les Kurdes! On en est maintenant à la négociation financière. Les européens sont prêts à financer l’accueil des réfugiés par Ankara, mais pas aussi cher que ce que réclame la Turquie…

Reste que la décision de refouler les réfugiés vers un pays tiers fait un peu désordre. La solution est évidemment peu honorable pour nos démocraties européennes, et même douteuse d’un point de vue légal. Les conventions internationales ne permettent de refouler les réfugiés que vers des pays considérés comme “sûrs”, c’est à dire où ils peuvent être accueillis dignement. On a donc tressé les louanges de l’administration turque pour les efforts, réels, qu’elle fait pour accueillir dignement les migrants qui se trouvent sur son territoire. En faisant semblant d’ignorer que les Turcs sont déjà débordés, et ne parviennent pas à faire face à la situation. Que la “dignité” des conditions d’accueil des migrants refoulés par l’Union Européenne est donc bien loin d’être garantie. Et surtout en ignorant les multiples atteintes aux libertés, qui font le quotidien des Turcs sous le règne d’Erdogan.

François Hollande a promis samedi qu’il ne céderait rien sur la plan des droits de l’homme… Mais la cécité collective semble le prix à payer pour sauver l’Union européenne que la crise des migrants menace de dislocation. Pour éviter que la Grèce n’explose littéralement sous la pression… pour tenir compte du national-populisme en vogue dans les pays de l’est… et ne pas fâcher les anglais au moment où ils menacent de s’en aller… et permettre au gouvernement français de continuer à faire semblant de défendre les droits des migrants alors même qu’il a lâché Angela Merkel quand elle tentait de défendre, seule, nos valeurs communes… et éviter une montée plus rapide des partis extrémistes européens… qui, selon la formule consacrée, “apportent de mauvaises réponses à de bonnes questions…”

Cela s’appelle le “réalisme politique” et l’on pourrait même démontrer, en tordant juste un peu le bâton, que tous ces renoncements sont le meilleur moyen de défendre notre démocratie, nos libertés, notre culture, notre tradition humaniste… La patrie des droits de l’homme vaut bien ça…

Et tant pis pour les autres !

 

 

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