Jeux de rôles… pas drôles!

Décidément la course à l’échalotte de 2017 est pleine de rebondissements. On se croirait au vélodrome. Alors que l’on voyait Nicolas Sarkozy faire l’extérieur, prenant bien haut les virages, pour contourner ses rivaux à la primaire, en reniant au passage quelques valeurs dont pourtant son parti est supposé porteur, au point qu’on pouvait se demander s’il n’allait pas finir par doubler Marine Le Pen sur sa droite, c’est soudain elle qui se rabat à la corde pour préparer déjà le sprint final, c’est à dire le second tour.

Evidemment, Marine Le Pen est à peu près aussi crédible au centre du peloton, que l’ancien président lorsqu’il promet d’emprisonner tous les suspects de terrorisme, ou affirme qu’il n’est pas mis en examen pour financement illégal de sa campagne de 2012. Mais le nouveau positionnement de la patronne du Front National qui promet maintenant la paix aux musulmans après les avoir voués aux gémonies, et l’apaisement après avoir prêché pendant des années la haine, montre à quel point elle est sure d’elle. Visiblement, pour elle le premier tour n’est plus un enjeu, elle se positionne déjà au second et améliore son image pour éviter un réflexe de rejet à son égard. L’ex-président lui n’en est pas encore là, il doit d’abord livrer un premier combat:  celui de la primaire.

Pour l’emporter sur Juppé, Sarkozy est persuadé qu’il doit en rajouter dans l’arrogance, la sureté de soi, le bon sens près de chez soi de celui qui n’a aucun tabou, et un seul souci: dire aux électeurs ce qu’ils ont envie d’entendre. Du coup, nos lois fondamentales deviennent “arguties juridiques”, la menace du réchauffement climatique une exagération, la lutte contre la fraude fiscale un abus de l’Etat, et l’islam, évidemment, une menace qui plane sur l'”identité” française. Il n’est pas certain que cela lui assure la victoire à la primaire de la droite, mais ce galimatias idéologique fait craindre le pire pour demain.

A neuf mois des présidentielles, l’ensemble des médias prédit, et prépare, en effet un choc LR-FN au second tour de la présidentielle, comme si la campagne électorale et le premier tour n’étaient que formalités sans enjeux autre que le duel Sarkozy-Juppé. D’ailleurs, tout ce que la gauche compte de frondeurs, d’insoumis, de gardiens de la vraie foi, prépare déjà le retour de la droite au pouvoir, en tapant comme un sourd sur le président Hollande… Tandis qu’au parti socialiste, on fait semblant, en préparant une primaire qui n’en est pas vraiment une…

De l’extrême droite à l’extrême gauche s’installe donc la confusion. Une absence de repères clairs, de lignes de partage assumées, de choix de société, qui n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie.

Quand l’élection présidentielle devient un jeu de rôles, où seule compte l’évolution des sondages -que l’on suit maintenant quasiment d’heure à heure- où chacun a pour seul souci de peaufiner la posture qui lui permettra de grappiller les quelques points à la marge qui sont supposés faire la différence… Quand la politique échappe totalement au champ du réel pour devenir un pur exercice de réthorique… Quand la démagogie prend définitivement le pas sur la réflexion… Qu’un bon mot à une tribune télévisuelle complaisante tient lieu de projet… Quand les animateurs télé se prennent pour les nouveaux intellectuels… Quand la vérité devient une pure question de point de vue, et les valeurs des arguties… Quand le choix du pire devient une stratégie politique… Quand tout n’est plus qu’une question d’image… Bref quand on s’en fout vraiment des Français, de leurs difficultés, de leurs espoirs, de leurs ambitions et du reste… Alors la République est malade. Bien malade!

 

Cahuzac: cessez le feu, juste une minute!

Bon, c’est une affaire entendue: Jérome Cahuzac est indéfendable! La fraude, la dissimulation, l’arrogance et le mensonge sont autant de péchés capitaux pour un homme politique, dont on s’autorisera tout de même à observer qu’il n’en a pas le monopole au sein de la confrérie. Et la mise en cause post-mortem de Michel Rocard ne peut évidemment qu’aggraver son cas.

Et pourtant, il n’est pas inintéressant de revenir pendant une minute quelques années en arrière. Ca se passe dans les années 88 à 91. Michel Rocard est à Matignon et Claude Evin au ministère des affaires sociales. A l’époque les deux hommes ont décidé de s’en prendre sérieusement au dérapage des dépenses de santé, et à la dégradation concomitante de notre système d’assurance-maladie, qui vient, pour la première fois de son histoire de connaître un bref épisode de cessation de paiement. Pour éviter la faillite de la Sécu ils décident de s’attaquer vraiment au dérapage des dépenses. Et pour cela ils vont s’appuyer sur trois hommes. Trois mousquetaires, ou pied-nickelés, au choix. Trois hommes qui s’entendent bien et ont la volonté de mettre au pas les professions de santé, trop dépensières selon eux.

Ils s’appellent Dominique Lefebvre, conseiller social de Michel Rocard, Didier Tabuteau directeur adjoint du cabinet de Claude Evin, et… Jérome Cahuzac conseiller de ce dernier. Ils ont la trentaine tous les trois. Les deux premiers sont hauts fonctionnaires, l’un au Conseil d’Etat, l’autre à la Cour des Comptes, le troisième est médecin. Chef de clinique en cardiologie dans un hôpital public. Tous les trois quittent leur poste pour se lancer dans la bataille de la Sécu. Leur méthode: mettre méthodiquement les professions de santé sous contrôle, en accordant une enveloppe globale de dépenses, contraignante, à chaque profession. Pour cela il faut d’abord tenter de convaincre les professionnels, puis au final leur imposer un système évidemment contraignant pour eux. En quelques mois le trio, Jérome Cahuzac en tête, va s’attaquer aux kinés, aux infirmiers, aux biologistes… Très vite Cahuzac devient l’ennemi numéro un des professionnels de santé. Il est injurié, menacé, découvre des poches de sang contaminé devant sa porte… “Si je suis malade, je ne sais plus à quel médecin m’adresser…” confie-t-il à l’époque. Mais il continue, s’acharne, le sauvetage de notre système de soins en dépend, estime-t-il.

Mais l’aventure des trois mousquetaires de la sécu va s’arrêter très vite, brutalement! Le 15 mai 1991, Michel Rocard est remplacé par Edith Cresson, Claude Evin par Jean-Louis Bianco. La transition est terrible. Cahuzac trouve du jour au lendemain quelqu’un d’autre dans son bureau, qui le prie d’évacuer rapidement ses affaires… Si les deux autres, Lefebvre et Tabuteau retrouvent leur corps d’origine, lui ne retrouve pas son poste hospitalier. Il ne retrouve même aucun poste hospitalier. La route est définitivement barrée. Il ne travaillera plus à l’hôpital! Contrairement aux usages qui veulent que le nouveau ministre offre un parachute aux conseillers de son prédécesseur. Cahuzac est traité comme un pestiféré.

C’est là qu’un autre Cahuzac entre en scène, à défaut de poste dans le public, il crée une clinique privée pour poser des implants capillaires, fait du conseil pour les laboratoires pharmaceutiques, finit par gagner beaucoup d’argent, peut-être trop… on connait la suite!

Bien sûr ce qui précède n’explique ni ne justifie rien. Son comportement ultérieur n’en est pas moins inadmissible. Mais au moment où tout le monde tire à boulets rouge sur l’ambulance, cela ne peut pas faire de mal d’apporter quelques nuances au portrait du démon universel.

Reste la question subsidiaire: Cahuzac a t-il créé un compte dans un paradis fiscal pour financer les campagnes de Michel Rocard? Difficile de répondre. Sinon en observant: 1) que Michel Rocard désespérait son entourage par son refus de prendre en compte les nécessités du financement de l’action politique (“il veut une facture en règle pour chaque dépense de campagne…” raillaient certains dans son entourage) 2) que ceux qui croyaient en lui ont donc vraisemblablement cherché des moyens de financement de ses campagnes à son insu (ou au moins “à l’insu de son plein gré”, c’est à dire en lui laissant la possibilité de ne pas savoir) 3) que Jérome Cahuzac était un inconditionnel de Rocard, 4) que les laboratoires pharmaceutiques étaient une source de financement à cette époque pour tous les partis politiques, 5) Que Jérome Cahuzac était évidemment le mieux placé pour faire la collecte… Chacun se fera son opinion.