“Alerte ! La haine des Russes conduit au meurtre et à la guerre.” Un simple message de Jean-Luc Mélenchon sur le réseau social twitter. Quelques mots qui tombent le 19 décembre, peu de temps après l’assassinat de l’ambassadeur de Russie en Turquie. Vite! Trop vite sans doute. La limite de 140 signes, imposée par le réseau social, autant que l’instantanéité de la réaction laissent peu de place pour la dialectique. Et les mots pèsent. Lourd, en l’occurrence.
Que nous dit le message? Le premier et le dernier mot sont très signifiants. “Alerte” et “guerre”. On comprend que l’assassinat de l’ambassadeur russe est un signe avant coureur d’une guerre, et que la guerre est imminente. Evidemment, Jean-Luc Mélenchon qui connait bien l’Histoire, fait un parallèle implicite avec l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône des Habsbourg, tué avec sa femme le 28 juin 1914 à Sarajevo, en prélude à la première guerre mondiale. Et il est vrai que le parallèle est tentant, même s’il est très abusif. L’ambassadeur n’est pas l’archiduc, et l’on peut penser que l’affaire, loin de déclencher une guerre entre la Turquie et la Russie, devrait au contraire resserrer leurs liens, en permettant aux deux autocrates, Poutine et Erdogan, de renforcer leur posture liberticide. Gageons que quelques civils syriens de plus feront les frais de la colère de Poutine, tandis que le dictateur turc devrait profiter de l’opportunité pour mettre encore quelques opposants en prison. Voire pour aller plus loin dans sa volonté de rétablissement de la peine de mort.
Mais le message du leader d’extrême gauche dit beaucoup plus que cela. C’est “la haine des Russes” qui aurait conduit à cet assassinat et à la guerre qui pourrait en découler. Là on doit comprendre que le bras de l’assassin aurait été armé par la multiplication des discours anti-russes. Quels discours? Emanant de qui? Mélenchon fait évidemment référence aux condamnations des exactions de Poutine et son allié Assad en Syrie. Tous ceux qui ont considéré qu’il était inhumain de bombarder sans répit des populations civiles jusque dans les hôpitaux, ou qui avaient contesté auparavant l’annexion de fait par Moscou d’une partie de l’Ukraine… sont donc indirectement responsables de l’assassinat de l’ambassadeur, et donc de la guerre à venir. Toute contestation de Poutine devient ainsi dans la bouche du patron des “insoumis” “haine des Russes”. C’est coutumier chez Jean-Luc Mélenchon. Selon la même réthorique, ceux qui critiquent ou ont critiqué le président Maduro ou son prédécesseur Chavez, sont des ennemis du peuple Vénézuélien et des complices de l’impérialisme américain… Mélenchon est donc égal à lui-même dans son empressement à signifier son anti-américanisme et son rejet de l’Union européenne, et du gouvernement socialiste, qui selon lui préparent la guerre à la Russie.
Après tout, il ne s’agit que d’un “tweet”, et Mélenchon est coutumier des formules à l’emporte-pièce. Mais on ne peut que s’interroger sur le front qui est en train de se structurer autour de Poutine. On trouve aujourd’hui sur la ligne de défense du président russe des personnalités aussi diverses que Mélenchon, Fillon ou Marine Le Pen pour la France, mais aussi, depuis peu, Erdogan, et même Trump qui a bien profité d’un coup de main des hackers russes pour son élection.
Bien sûr les motivations des uns et des autres sont très différentes. Et l’on ne peut comparer le poutinisme de Marine Le Pen à celui de Jean-Luc Mélenchon. Chez ce dernier, on l’a dit, le moteur du soutien au régime russe est d’abord la conséquence d’un intransigeant anti-américanisme. Les Etats-Unis sont la puissance du mal. Qu’importe si Obama n’est pas George W. Bush. L’Amérique reste l’Amérique, forcément impérialiste, forcément fauteuse de guerre, qui asservit forcément les dirigeants européens, forcément complaisants à son égard, et impose avec leur complicité à tous les peuples les diktats de la Finance. Avoir des certitudes permet de parler franc, et clair. Surtout lorsqu’on a les talents d’éloquence de l’intéressé.
Evidemment, la vision de Marine Le Pen est assez différente. Certes elle partage avec Mélenchon le rejet de l’Union européenne, et donc soutient la Russie lorsqu’elle subit les sanctions européennes, mais on peut supposer que le côté autoritaire, viril, protectionniste, rétrograde, violent, homophobe de Poutine lui donne en plus le sentiment d’être en terrain connu. Et puis il y a l’argent, celui des banques Russes, dont elle a besoin pour contourner l’ostracisme dont elle affirme être victime de la part des organismes financiers français.
Pour Fillon l’affaire est plus énigmatique. Comment celui qui se prétend héritier du Général de Gaulle pourrait-il accepter d’apparaître comme un vassal de Poutine? Que le Kremlin se félicite publiquement de sa désignation à la primaire de la droite est quand même assez compromettant! Là encore on peut imaginer que le côté rétrograde de Poutine rejoint son conservatisme viscéral. Qu’au fond la situation faite aux Syriens par le maitre du Kremlin et son allié Assad, peut-être, pour partie au moins, justifiée par la barbarie des attaques islamistes contre les minorités chrétiennes d’Orient. Même si cette vision vengeresse ne semble pas très catholique. Bref que Fillon aurait fait sienne une vision caricaturale de la course du monde vers un choc des civilisations dans lequel Poutine serait le meilleur rempart de la chrétienté, et donc de “sa” France, face au laxisme complaisant des Etats-Unis, de l’Allemagne, ou du gouvernement socialiste français à l’égard du terrorisme islamiste. L’alignement sur Poutine pourrait aussi, concernant Fillon, s’interpréter comme un constat de l’affaiblissement du géant américain, qui devrait être encore aggravé par l’arrivée au pouvoir de l’invraisemblable Donald Trump. Il s’agirait dès lors de placer la France sous un parapluie plus fiable que celui de l’Amérique. On n’imaginera pas bien sûr, que la position du leader de la droite ait à voir avec son activité lucrative de conseil, exercée ces dernières années pour une part, paraît-il, dans la Russie de Poutine.
L’alignement du fantasque populiste Trump sur Poutine, à qui il doit parait-il, au moins en partie, son élection, est également surprenant. Champion du retour en force de l’Amérique, le patron de casinos s’aligne de fait sur celui qui a fait vœu d’affaiblir son pays par tous moyens. Allant jusqu’à mettre à la tête de sa diplomatie un homme ayant intérêts liés, par pétrole interposé, au maitre du Kremlin. Tout ça ne durera peut-être pas, le nationalisme du camp républicain américain prendra peut-être le dessus… Mais en attendant, c’est un allié potentiel de plus pour Poutine!
Le cas d’Erdogan est plus classique. On pourrait dire que le mécanisme en œuvre est celui des atomes crochus autoritaires. Ce que Poutine a fait en Tchétchénie, en Ukraine, ou à Alep, ne traumatise pas outre mesure le dirigeant islamiste, qui est lui-même prêt à tout ou à peu près pour se débarrasser des Kurdes, et plus largement de toute forme d’opposition dans son pays.
Tous ces gens ont des intérêts qui divergeront tôt ou tard. Mais en attendant, Poutine dispose, grâce à ces soutiens, d’un pouvoir d’influence inespéré pour la Russie depuis la fin de l’hiver communiste. On imagine avec crainte un conseil de sécurité de l’ONU où siègeront côte à côte Poutine, Trump et… peut-être Fillon.