Police de la pensée: l’état d’urgence

Il y avait urgence absolue! Le conseil constitutionnel avait censuré le premier texte. Les députés ont voté en quelques heures une nouvelle loi en utilisant un artifice de procédure. Quelle urgence? L’urgence de la police de la pensée. La consultation “régulière” de sites djihadistes sera dorénavant passible de deux ans d’emprisonnement et 30000 euros d’amende. A moins que le Conseil constitutionnel, qui a rejeté le premier texte au motif qu’il n’apparaissait pas que le danger potentiel justifiât l’atteinte aux libertés, ne récidive et censure la nouvelle loi.

Une loi qui crée selon la formule de Me François Sureau qui plaidait au nom de la Ligue des Droits de l’Homme devant le Conseil constitutionnel, le 31 janvier dernier, “le délit d’éventuelle intention terroriste”. Comme l’explique l’avocat, c’est la démarche cognitive elle-même, la volonté de savoir, qui fait naître la présomption d’intention criminelle. On était pas encore allé aussi loin dans la police de la pensée. Du moins sous la cinquième république.

Ce recul des libertés est d’autant plus inquiétant que, soucieux d’éviter les critiques, les législateurs ont choisi de préserver des foudres de la loi, ceux qui consultent de “bonne-foi”. Comprendre les journalistes, ou les chercheurs par exemple… Les membres d’associations de lutte contre le terrorisme? Ou simplement les internautes curieux? Ou ceux qui veulent se faire par eux-mêmes une opinion sur la menace terroriste? C’est selon. S’ils sont manifestement de bonne foi, ils ne seront pas poursuivis… C’est évidemment porte ouverte au délit de faciès. Il va de soi qu’un blanc catholique sera plus probablement “de bonne foi”, qu’un arabe musulman lorsqu’il consulte un site djihadiste…

Mais au delà, le fondement même de la démarche dit toute notre impuissance face au terrorisme. Imaginer que criminaliser l’accès aux sites djihadistes nous permettra de limiter les risques d’attentat, est d’une naïveté confondante. Ou plutôt, on doit bien penser que quoi qu’en dise le législateur, le projet de loi n’est pas destiné à cela. Ce qui et en jeu ce n’est pas la lutte contre les attentats terroristes. Ce qui est en jeu c’est l’idée que l’Etat nous protège. Le principal but des restrictions successives récentes des libertés, lois anti-terroristes, état d’urgence, loi sur la consultation des sites djihadistes, est simplement de créer un sentiment de sécurisation. La démarche pose le postulat que la réduction de nos libertés serait en soi rassurante pour les citoyens.

Pour prouver que le péril terroriste est pris en charge, quand bien même le caractère aléatoire des attaques, rend le résultat hasardeux, il faudrait renoncer à quelque chose d’important. En sacrifiant, un peu des libertés fondamentales, l’Etat prouverait qu’il a pris la mesure du problème. Comme à une autre époque l’achat de millions de doses de vaccins inutiles contre la grippe H1N1, prouvaient que l’Etat avait pris la mesure de notre besoin de sécurité. Comme l’Etat montre qu’il a pris en charge la gravité de la mortalité routière en imposant à chacun d’acheter un gilet jaune!

Evidemment c’est absurde. Etre capable de mettre nos libertés sous le boisseau ne prouve en rien que l’on a pris la mesure du terrorisme. Comme interdire la pensée révisionniste ne fait pas reculer le péril d’extrême-droite. Chaque fois que l’on se sent obligé d’interdire la pensée ou la parole, c’est simplement un aveu d’impuissance, une forme de démission intellectuelle. On combat les idées dangereuses par la pensée et la parole, pas par une illusoire et vaine interdiction.

 

 

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