Jeu de rôles

C’est la loi du genre. Après le débat, les militants tentent de se rassurer en vérifiant que le vainqueur est bien leur poulain. Les Mélenchonistes invoquent une enquête Facebook donnant le patron du Parti de Gauche vainqueur à 53%, tandis que les macronistes convoquent les instituts de sondages, par ailleurs tellement décriés, pour prouver que leur candidat l’a emporté. Et les supporters des autres candidats ont aussi des arguments à faire valoir… Au final, comme après chaque débat politique il est impossible de déterminer de façon crédible un gagnant.

 

Il ne faut d’ailleurs pas attendre de ces grands débats devant des millions de téléspectateurs, 10 en l’occurrence, qu’ils changent en profondeur la perception des électeurs. Plus que d’en être le vainqueur, chacun des candidats essaie plutôt de ne pas en sortir affaibli, comme on l’a vu hier soir à travers les différentes stratégies mises en œuvre.

François Fillon était venu visiblement pour faire oublier ses affaires, sa mise en examen, ses emplois fictifs, costumes et chèques d’étrennes sénatoriaux, et se poser comme le plus compétent pour la gestion du pays. Pour cela, il avait choisi de se faire petit, insignifiant, effacé, pendant toute la partie du débat portant sur les sujets de société, susceptibles de le propulser en première ligne. Tout au plus a-t-il glissé sa promesse de créer une commission sur la moralisation de la vie publique. Et de fait le sujet n’a été quasiment pas abordé. Choix gagnant donc pour le candidat de la droite, le sujet qui fâche a été éclipsé, même si cette stratégie d’évitement l’a conduit à paraître terne et pour tout dire absent durant la première partie du débat, c’est à dire celle pendant laquelle l’audience télé était la meilleure. Il a pu ensuite, sur les sujets économiques, poser dans le rôle du plus expérimenté à qui on ne la fait pas, s’attirant au passage une répartie sèche du cadet de la soirée sur ses “plus de trente ans de carrière politique”.

On peut imaginer que l’objectif d’Emmanuel Macron était plus complexe. D’une part, il devait soigner son image de rénovateur, d’homme de la rupture avec “les visages et usages” en vigueur dans le monde politique, mais aussi de pacificateur capable de faire travailler gauche et droite ensemble, sans sembler pour autant mou, flou, inconsistant. D’autre part, il devait faire passer l’idée qu’il est le seul rempart efficace contre les folies nationalistes, populistes et xénophobes de Marine Le Pen. Pas simple comme partition! On l’a donc souvent vu hocher la tête, acquiesçant aux propos de l’un ou de l’autre. D’accord avec Fillon pour donner toute sa place à la négociation dans l’entreprise, avec Mélenchon sur la laïcité, avec Hamon à l’occasion… Au point parfois de paraître un peu indécis, inconsistant… Heureusement pour lui, ses adversaires l’ont aidé à contourner l’écueil en le prenant pour cible, lui permettant ainsi, en montant un peu les décibels, d’affirmer son caractère et sa détermination. Mais c’est surtout en réponse à Marine le Pen qu’il a lâché les chevaux, pour lui reprocher de monter les Français les uns contre les autres, ou de mener la France au chaos… Objectif donc probablement atteint pour lui. Pour son premier grand débat politique, il a évité que ses adversaires, tous professionnels de la politique aguerris, ne le mettent sous l’éteignoir.

Celui qui est apparu comme le plus professionnel est évidemment Jean-Luc Mélenchon. Son but au cours de cette soirée, était sans doute de prendre l’ascendant sur son rival de gauche, Benoit Hamon. Primo pour tuer l’idée selon laquelle c’est lui qui devrait se retirer au profit du candidat socialiste pour permettre à la gauche d’être au second tour de la présidentielle. Deuxio pour préparer la suite, et pouvoir, dans le cas où il réussirait à dépasser Hamon au premier tour de la primaire, s’imposer comme leader naturel de la gauche de rupture, que les deux candidats prétendent incarner, au lendemain de l’élection. Alors, Mélenchon a fait du Mélenchon. Brillant, plein d’humour, précis dans ses démonstrations, jusqu’à faire presque oublier le contenu de son programme, derrière l’habileté du discours. Avec une faiblesse toutefois. Lorsqu’il est question d’un sujet qui le pique au vif: sont combat éternel contre l’impérialisme américain… Un moment assez invraisemblable du débat où on l’a vu défendre, avec l’appui de François Fillon et Marine Le Pen, la nécessité d’avoir un discussion avec la Russie pour redessiner les frontières des pays en Europe… Poutine ne l’avait sans doute même pas rêvé!

Evidemment, Benoit Hamon aura souffert de la comparaison avec le leader du Parti de Gauche. Plus terne, souvent trop long, peinant à faire prendre au sérieux son projet de revenu universel, qui n’en est plus un, et qu’il s’obstine à présenter comme une immense innovation, il aura passé une soirée un peu laborieuse. Coincé entre sa fronde et son épuisette, incapable de répondre aux contre-vérités concernant le quinquennat qui vient de s’écouler et qu’il a largement contribué à dénigrer, mais soucieux de ramener dans ses filets les socialistes égarés du côté de chez Macron. Celui-ci est d’ailleurs la principale cible de ses attaques. Hamon avait sans doute pour objectif de décrédibiliser le candidat centriste auprès des indécis de gauche, il s’y est employé.

Reste le cas de Marine Le Pen. Que voulait-elle démontrer dans ce débat? Mystère. On aurait pu s’attendre à ce qu’elle joue la partition de la “France Apaisée”, son slogan de campagne, pour poursuivre son entreprise de “normalisation”. Qu’elle ait travaillé les questions économiques, suite à ses déconvenues sur ce plan dans d’autres émissions, qu’elle ait élaboré et étayé les scénarios qu’elle propose au pays… Mais l’illusion n’a pas tenu longtemps. Dès que ses sujets de prédilection sont sur le tapis, immigration, délinquance, islam… le naturel reprend le dessus. Et le discours de haine, d’exclusion, l’emporte, lui attirant les attaques de ses concurrents. Principalement celles de Macron, qui a besoin de se positionner face à elle pour donner une préfiguration du second tour dont il rêve. Alors elle s’énerve, se crispe, perd un peu de son sens de la répartie, mais sans se mettre vraiment en difficultés devant son électorat, qu’elle sait toujours prendre dans le sens du poil en se prétendant le rempart des pauvres -à condition qu’ils soient de “vrais” français – des laissés pour compte -qui ne se trompent pas de religion- bref, de toutes les victimes du “Système”.

Au final, chacun pourra sans doute se dire qu’il ne s’est pas trop mal sorti de cette épreuve. Pour les téléspectateurs extrêmement nombreux devant leurs écrans aussi la soirée aura été positive. Pendant trois heures on a parlé politique à la télévision sans s’appesantir sur les affaires. Il y en avait besoin. Il ne fallait pas attendre d’un débat à 5 des révélations, il n’y en a pas eu. Mais la campagne est lancée.

1 réflexion sur « Jeu de rôles »

  1. Très bonne analyse Michel !
    Pourquoi accepter 11 candidatures à l’élection présidentielle et n’en convoquer que 5?
    Si les 6 restants sont inintéressants et donc exclus des débats, pourquoi donc leur demander 500 signatures d’élus ???

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