Ils ont ouvert grand la porte à Macron…

Si ce matin la France s’éveille dans un paysage politique nouveau, dont ont été expulsés, au moins temporairement, les partis à qui semblait définitivement réservé le privilège de gouverner, c’est d’abord parce que les électeurs en avaient assez de l’alternance stérile qui conduit depuis des décennies à sans cesse détricoter l’ouvrage de la veille. Parce qu’ils n’en pouvaient plus de se sentir contraints à chaque élection de confier leur avenir à des professionnels de la politique, en l’intégrité desquels ils ne croyaient plus. Emmanuel Macron a su capter à son profit cette soif de changement, en mettant en place une offre politique alternative, au bon moment. Mais il a aussi profité des mésaventures judiciaires et de la légèreté morale du candidat de la droite, ou de l’incapacité du parti socialiste à se choisir un champion qui rassemble son camp. Son succès est donc le produit de la faiblesse de ses adversaires, au moins autant que celui de sa propre intuition politique.

Pour que Macron soit en tête, il a fallu que la droite ruine de façon invraisemblable l’opportunité qui lui semblait promise de prendre la succession du parti socialiste au pouvoir. Cela s’est joué en plusieurs temps. Dès la primaire de la droite et du centre. En organisant une présélection ouverte à tous les électeurs, le parti Les Républicains, prenait le risque d’une part de raviver les guerres larvées qui le minaient depuis la défaite de Nicolas Sarkozy, d’autre part de laisser les non-militants choisir le candidat du parti. Avec le résultat que l’on connait: l’élimination de Sarkozy et celle de son principal rival, donné vainqueur à la présidentielle par tous les sondages, Alain Juppé. Bien sûr le candidat désigné, François Fillon, ancien premier ministre, aurait pu faire un excellent candidat, et était capable de l’emporter haut la main. Sans les affaires!

Il y aura toujours un doute sur l’origine des informations qui ont conduit à la perte du candidat de droite. Venaient-elles de son propre camp -Rachida Dati aurait promis de “lui pourrir la campagne” s’il lui refusait sa circonscription…- ou du camp opposé? En tout cas on doit constater que la gestion de la crise a été catastrophique. En alimentant l’idée d’un plan B -le remplacement du candidat désigné par un autre- sans jamais le faire aboutir, les responsables du parti de Fillon, eux-mêmes, ont méthodiquement démonétisé leur candidat. Et là, le rôle de Nicolas Sarkozy a été sans doute déterminant. Comme le reconnaissaient à demi-mot Jean-François Copé ou Rachida Dati, sur les plateaux télévisés dimanche soir, il a été impossible de s’entendre, au sommet du parti sur le plan B. Ce que Juppé avait lui-même résumé lors de son retrait définitif, en accusant Sarkozy d’avoir “manipulé” tout le monde. On peut se demander si l’ex-président n’a pas lui-même choisi de pousser le candidat Fillon à l’échec, comme pour démontrer qu’il reste irremplaçable, voire pour préparer son propre retour aux affaires.

En tout cas, l’incapacité de la droite à surmonter la situation de crise en raison des rivalités de personne -le clan de Nicolas Sarkozy ne voulait pas d’une candidature Juppé- a conduit à sa défaite. Et démontré par l’exemple ce que Macron répète sur tous les tons: les partis politiques traditionnels ne sont plus capables de conduire le changement et de faire progresser le pays.

Mais soyons équitable, la gauche sur ce plan n’a pas été en reste. Là encore les premiers dégâts sont venus de la primaire. Au lieu de servir à rassembler le camp de gauche, celle-si s’est soldée par une OPA victorieuse d’un camp, jusqu’alors minoritaire, sur le parti. Ceux-là même qui n’avaient cessé d’affaiblir leur parti en menant la guerre à “leur” gouvernement, au président issu de leurs rangs, ont réussi à en prendre le contrôle. L’affaire n’aurait pas alors été irrémédiablement ruinée, si les socialistes avaient su très vite refaire une unité autour du candidat désigné. Mais l’enjeu semblait pour ce dernier être plus le leadership de la gauche que le succès à la présidentielle. Avec la complicité des cadres du parti, et du principal responsable, Cambadélis, il a au contraire accentué les clivages, privilégiant le rapprochement avec le candidat écologiste, plus qu’avec les militants socialistes mis en minorité lors de la primaire. Affirmant même sa proximité avec l’extrême-gauche de Mélenchon plus qu’avec l’aile libérale du PS, tandis que des poids lourds du parti succombaient à la tentation centriste. Tant de maladresse ne pouvait être que pain béni pour Emmanuel Macron.

En clair, aussi bien à droite qu’à gauche, c’est l’incapacité de la classe politique traditionnelle à dépasser son horizon de clientélisme, de privatisation de la vie publique, et de rivalités de personnes, qui a ouvert une autoroute à Emmanuel Macron. Il a certes su s’y engager avec talent, en donnant un nouvel horizon à tous ceux qui étaient dans le  rejet d’une vie politique sclérosée, mais sa “révolution” est aussi le produit d’un concours de circonstances, et de l’incapacité de la classe politique dominante à se remettre en question. S’il veut réussir comme président, et d’abord franchir la deuxième étape présidentielle, il ne devrait pas l’oublier.

 

 

6 réflexions sur « Ils ont ouvert grand la porte à Macron… »

  1. Un concours de circonstances c’est évident et macron a été le plus réactif – sans doute parce qu’il n’a jamais connu le fonctionnement du PS de intérieur en tant que militant à partir de son entrée en 2nd au lycée – mais aussi au refus du PS d’accepter l’impossibilité de la synthèse du guédisme et du solidarisme social libéral de Léon Bourgeois
    http://www.laviedesidees.fr/Le-solidarisme-de-Leon-Bourgeois.html
    Mais soyons franc, tout cela nous convient bien et il était temps de crever l’abcès et de continuer à accumuler les déceptions !

  2. Et peut-être aussi que Hollande avait vu tout cela venir et en a déduit qu’il tenait enfin la solution pour que la “gauche” devienne enfin un parti de gouvernement semblable à celle des pays scandinaves et de l’Allemagne ? On oubliera dans les livres d’histoire ses promesses inconsidérées pour ne pas se faire jospiniser et ses hésitations pour mettre en oeuvre des mesures qu’il savait nécessaires pour le pays – la politique de l’offre – pour le présenter comme celui qui aura rendu légitime la gauche social libérale de gouvernement !

    • Hollande a raté l’occasion du rapport Gallois pour infléchir notablement sa politique dès 2012, s’il avait mis en place à cette époque, les mesures prises en 2014, il aurait profité des effets positifs sur l’emploi, il aurait même peut être eu du grain à moudre pour améliorer les revenus des fonctionnaires bloqués, voire même avoir une situation qui lui permette d’être réélu quitte à avoir une recomposition partielle du paysage politique. Mais, comme beaucoup de gens de sa génération en commençant par Sarkozy, il attendait la fameuse amélioration que devaient lui apporter les cycles économiques selon une vieille théorie qui se vérifie de moins en moins dans un monde interconnecté qui réagit de plus en plus vite et de plus en plus fort au moindre nuage.
      Espérons que Macron réussira et que les français lui donneront les moyens de réussir, sinon, on est certain de connaitre le président de dans 5 ans; j’ai cru comprendre dans la presse allemande que cela les préoccupaient aussi, une occasion d’avoir un levier pour les négociations de traités européens à venir?

  3. Le solidarisme de Léon Bourgeois
    De la publication de son livre La solidarité en 1896 à son recueil de textes sur la Politique de la prévoyance sociale paru en 1914, Bourgeois, juriste de formation, n’eut de cesse de faire connaître et de préciser à travers de multiples brochures et conférences les orientations de sa doctrine, conçue comme une troisième voie entre l’individualisme libéral et le socialisme autoritaire. Reposant sur une redéfinition des rapports entre l’individu, la société et l’État, le solidarisme servit de support philosophique et moral au système de protection sociale ébauché sous la IIIe République, dont la Sécurité sociale, établie en 1945, fut l’héritière. On comprend pourquoi, à l’heure où le culte de l’action et le fétichisme des résultats sont érigés en critères ultimes du bon gouvernement, la figure de Léon Bourgeois, intellectuel constamment soucieux de penser dans l’action les principes d’une société solidaire, puisse exercer une fascination sur les esprits partis en quête d’une source à laquelle régénérer une gauche moribonde.
    http://www.laviedesidees.fr/Le-solidarisme-de-Leon-Bourgeois.html#nb1

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