Philippe à Matignon: le grand chambardement continue

Depuis plusieurs jours, il faisait figure de favori. Toute la journée les journalistes des chaines continues avaient joué à cache-cache avec lui pour meubler le vide de leur antenne. On avait poursuivi son taxi en moto. Et puis, quand enfin la nouvelle attendue est tombée, il y avait tout de même une forme d’incrédulité. Macron l’a fait! Il a nommé un premier ministre de droite. Un vrai homme de droite!

A droite, les réactions sont sur les deux registres attendus. Les plus à droite excommunient le transfuge, tandis que les plus modérés lui souhaitent bonne chance. A gauche, c’est un peu la sidération. Même chez ceux qui avaient rallié Macron assez tôt, le malaise est souvent palpable. Même traître à Hollande, même allié à Bayrou, Macron restait quand-même de la famille. Mais Edouard Philippe… est vraiment un homme de droite, comme il l’a revendiqué lors de la cérémonie de passation de pouvoir à Matignon. Et l’on se souvient de toutes les fois où il a voté à l’assemblée contre la majorité socialiste, et de son abstention sur la loi Taubira… Et il travaillait chez Areva… En cherchant bien on trouverait sans doute d’autres preuves de son appartenance à l’autre camp …

En fait, les uns comme les autres n’y avaient pas vraiment cru. A droite on pensait que la vague macroniste ne dépasserait pas les rives du Modem. A gauche, on se disait que les promesses de recomposition de la vie politique resteraient une généreuse idée. Que le nouveau président prendrait son temps, qu’il ne braquerait pas dès le premier jour son électorat venu majoritairement de la gauche. Et pourtant, il suffisait de lire son programme, son livre, ses interviews dans la presse, de l’écouter dans ses meetings ou les médias, pour savoir qu’il voulait porter un coup brutal au clivage gauche-droite. Quel meilleur moyen d’entamer cette recomposition de la vie politique que de prendre un ministre de droite, et qui le revendique?

Si Macron avait choisi un ministre de gauche, du centre, ou de ses proches, c’est l’ensemble de son projet qui en aurait été décrédibilisé. Il fallait cette nomination pour que prenne corps sa rénovation de la vie politique. Comme il faudra que le gouvernement annoncé, démontre lui-aussi cette volonté de transgresser les clivages politiques habituels.

C’est bien sûr une question d’image et de crédibilité pour le nouveau président réformateur. Mais pas seulement. En associant des hommes de qualité issus de la gauche comme de la droite, rassemblés autour d’un projet pour la France, le président coupe l’alimentation en oxygène des deux partis qui se sont partagé le pouvoir depuis près de 40 ans. Pour perdurer l’un comme l’autre devaient incarner à chaque opportunité d’alternance le changement, et la rupture. Le message politique était toujours binaire: pour que le pays aille mieux, il fallait faire exactement le contraire de ce qu’avaient fait les autres, défaire tout ce qui avait été construit précédemment. En associant les progressistes des deux camps, Macron brouille les repères.

Il va falloir reprendre les choses à zéro. A quatre semaines du premier tour des législatives, il faut reconstruire un discours de campagne. Un casse-tête pour la droite. Il va falloir trouver un autre positionnement que celui de la campagne de Fillon. L’anti-hollandisme ne sera plus un argument suffisant. Se poser comme opposition principale à une politique menée par un premier ministre venu de la droite, demandera un peu plus de gymnastique sémantique, que l’habituelle dénonciation de la gauche. Ce sera d’autant plus difficile que les responsables de droite auront été nombreux à accepter la main tendue par Macron. Déjà hier soir, ils étaient une vingtaine à franchir le pas, parmi lesquels Nathalie Kosciusko Morizet, Christian Estrosi, ou Jean-Louis Borloo…

Pour le parti socialiste qui a déjà été atomisé par Macron, l’arrivée d’Edouard Philippe à Matignon serait en revanche plutôt une bonne chose. Alors qu’il était difficile de simplement traiter Macron comme un ennemi, il sera plus facile de dénoncer un gouvernement de droite, et donc de se retrouver en terrain connu. Mais il est déjà trop tard, la dénonciation du premier ministre de droite ne fera pas revenir les électeurs qui ont rejoint Macron ou Mélenchon à la présidentielle.

Restent les extrêmes, Le Pen et Mélenchon, qui sauront exploiter la situation, en dénonçant une alliance des forces du “système”, et tenteront de se se disputer le rôle de premier opposant au nouveau pouvoir. Marine Le Pen exhume son slogan sur l’UMPS qui fit les beaux jours du FN, et dont la nomination d’Edouard Philippe lui semble la démonstration absolue, mais son échec à la présidentielle semble avoir laissé son parti groggy. Le leader du Front de Gauche, de plus en plus agressif et insultant pour ses adversaires, s’autoproclamme seule opposition crédible au “bric à brac” politique d’ Emmanuel Macron, et appelle ses électeurs à “les dégager tous”. Avec pour les uns comme les autres, une crainte: que cette recomposition politique corresponde précisément aux attentes des électeurs qui ont envoyé Macron à l’Elysée.

 

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