Le virage dangereux de Macron

Macron parle lui-même de son “aggiornamento”. Une mise à jour, littéralement, de sa pensée sur le conflit syrien. Et c’est un virage majeur, il est vrai. Jusqu’ici, le nouveau président était resté campé sur la ligne diplomatique française mise en musique par François Hollande: il ne peut y avoir de solution en Syrie sans un départ préalable du tyran Bachar Al Assad. Dans une entretien à plusieurs journaux européens, il change son fusil d’épaule: « je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar Al-Assad était un préalable à tout, car personne ne m’a présenté son successeur légitime ».

Evidemment ce virage diplomatique à 180° n’est pas sans conséquence. En premier lieu, on peut s’interroger sur la formule employée par le président elle-même. Si la destitution du tyran n’est plus un préalable, selon Emmanuel Macron, c’est parce qu’il n’a pas d’opposant crédible qui puisse reprendre les rênes du pays. Evidemment, on a envie de lui répondre que si le « successeur légitime » existe, ou plus précisément, s’il n’a pas encore été tué sous les bombes, il est probablement dans une prison du régime. En avançant cet argument, Macron se range à l’argumentation de Moscou: il n’y a pas aujourd’hui d’alternative à Bachar Al Assad, puisque celui-ci a fait en sorte de détruire toute possibilité de changement.

Evidemment c’est tout à fait cynique. Ou plutôt, comme on dit, c’est de la “realpolitik”! L’articulation de ce raisonnement est la suivante: l’ennemi principal c’est Daesh, c’est lui qu’il faut combattre en priorité, si Assad s’en va, il y a un risque de faillite d’un état qui est déjà fantomatique, Daesh pourrait en profiter pour reprendre du terrain, il faut donc préserver ce qu’il reste de l’Etat Syrien… et donc maintenir Bachar Al Assad. En essayant d’organiser au plus vite une cessation des hostilités qui ont déjà fait 350000 morts et 6 millions de réfugiés. Et tant pis si cela passe pour une absolution du tyran de Damas. Et Macron de faire référence à la Libye, où l’on a défait un tyran pour laisse à la place une situation totalement chaotique, propice au renforcement des mouvements terroristes.

 

Dire qu’il s’agit de réalisme politique, c’est poser le postulat qu’aucune voie alternative n’est praticable.

Première question: est-il possible de défaire militairement Assad pour permettre la victoire de ses opposants, si tant est qu’on la souhaite? Le créneau pour une intervention militaire anti-Assad est en fait refermé depuis 2013 et la dérobade d’Obama. A l’époque, la menace de Daesh semblait bien moins importante qu’aujourd’hui et il existait une opposition interne et laïque au dictateur syrien regroupée autour de l’Armée Syrienne Libre. Le président américain avait posé une “ligne rouge”, disait-il: l’utilisation d’armes chimiques par le régime devait déclencher une réaction militaire immédiate. Et puis il y eut l’attaque chimique de la Ghouta faisant des centaines de morts en majorité des civils. Hollande proposa à Obama une action militaire immédiate, mais le président américain tergiversa, avant finalement d’accepter la proposition russe d’organiser le démantèlement des armes chimiques syriennes. Depuis, les islamistes de Daesh et d’autres mouvements extrémistes ont pris le pas sur l’opposition laïque. La Russie est présente sur le terrain où elle soutient militairement le régime syrien. Une action militaire n’est plus de l’ordre du possible, même si Macron continue  à promettre une intervention militaire de la France en cas de nouvelle utilisation d’armes chimiques.

Deuxième question: est-il possible de convaincre Poutine de renoncer à soutenir Assad? Tant que la Russie soutient le tyran, celui-ci est inexpugnable. Ses opposants ne viendront pas à bout de lui sur le plan militaire, et la communauté internationale ne pourra pas imposer son retrait. Pour convaincre Poutine de changer son fusil d’épaule, il faudrait avoir du grain à moudre. Quelques arguments de poids à avancer. Or ce n’est pas le seul terrain de discorde avec Moscou. La crise ukrainienne n’est toujours pas réglée, et ne pourra l’être sans la collaboration du président russe. Sauf à abandonner définitivement l’Ukraine à la domination russe, et donc créer un précédent dangereux pour d’autres pays de l’ex-bloc soviétique, on voit mal quel argument les occidentaux pourraient mettre dans la balance pour obtenir un recul russe en Syrie. Quant à d’éventuelles sanctions contre Moscou dans le cadre du dossier syrien, on voit mal comment et pourquoi elles seraient plus efficaces que celles, déjà en vigueur, qui sont supposées le ramener à la raison sur le dossier ukrainien.

Du coup l’alternative pour la diplomatie occidentale, et donc la France, est assez basique. Première possibilité: on poursuit le bras de fer avec Moscou en exigeant le départ d’Assad comme préalable à toute solution en Syrie. Dans ce cas on reste bien fidèle à nos valeurs, et à l’opposition syrienne, mais l’on choisit de fait le statu-quo. Un statu quo qui se traduit par la poursuite de la guerre, des massacres, et de l’exode des réfugiés. Deuxième solution: on se dit que la priorité est l’arrêt des massacres en Syrie, la mise hors d’état de nuire des troupes de Daesh, et donc la recherche d’une solution politique au conflit. Et l’on tente de relancer, en partenariat avec Moscou, un processus de paix qui n’a pour l’instant pas débouché sur grand chose. Cela suppose de renoncer à tout préalable, et en particulier celui du départ du président syrien. Evidemment, dans ce cas on se heurte à l’incompréhension des opposants syriens qui depuis 6 ans donnent leur sang en espérant obtenir un soutien international dans leur combat. On prend le risque de ne pouvoir par la suite pousser au départ du tyran une fois la paix revenue. On dégrade un peu plus, auprès des peuples opprimés par des tyrans de tous bois, l’image d’une France championne de la défense intransigeante des droits de l’homme partout dans le monde. On choisit en outre d’entériner le nouveau leadership russe sur la scène moyen-orientale… Mais on permet à la France, qui en était écartée, de revenir dans le processus de négociation…

L’enjeu en vaut-il la chandelle? Le peuple syrien peut-il y gagner in fine un peu moins de malheur? C’est l’issue des négociations qui le dira. On saura alors si “l’aggiornamento” était du ressort du réalisme politique, ou du simple renoncement moral.

 

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