Pour Emmanuel Macron et le gouvernement, c’est la rentrée de tous les dangers. Le moment de vérité aussi. On devrait savoir assez vite si le nouveau président est en mesure ou pas d’administrer au pays la transformation promise. La première épreuve se déroule ce mardi, avec la mobilisation syndicale contre les ordonnances sur la réforme du code du travail.
Il ne fait pas de doute que la CGT parvienne à mobiliser massivement ses troupes. Le syndicat a le savoir-faire. Même si le pari stratégique est très risqué pour lui, car les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets. La mobilisation sans faille contre la loi travail de 2016, animée par un Philippe Martinez intransigeant et souvent caricatural a conduit à un affaiblissement de son syndicat, dépassé pour la première fois dans le privé aux dernières élections professionnelles par la CFDT, dont l’attitude conciliante sur le dossier a apparemment été beaucoup plus payante, d’un point de vue électoral. En choisissant cet été la tactique de la chaise vide à la plupart des réunions de négociation; en annonçant sa volonté d’en découdre, avant même que les ordonnances aient été rendues publiques, Martinez a choisi une nouvelle épreuve de force, qui pourrait en cas d’échec, affaiblir encore son organisation.
Plus incertaine est la position des autres syndicats de salariés. Si la non-participation aux manifs de la CFDT n’est pas une surprise, la position de Force Ouvrière est plus étonnante. En 2016 Jean-Claude Mailly, le patron de FO, était en première ligne du combat. Cette fois-ci, il a décidé de ne pas y participer après avoir rendu un hommage appuyé à la qualité de la négociation proposée par le gouvernement. On imagine que la perte d’influence de la CGT aux dernières élections n’y est pas pour rien. Laisser la CFDT apparaître comme seul représentant d’un syndicalisme de progrès, serait risqué pour FO. La modération syndicale fait partie de son patrimoine génétique. Et se laisser enfermer dans un rôle de supplétif d’une CGT en perte de vitesse n’est évidemment pas une perspective d’avenir. Mais il n’est pas dit que Mailly soit suivi par l’ensemble de ses troupes. Certaines fédérations de FO ont annoncé qu’elles se joindraient au cortège de la CGT. L’ampleur de leur mobilisation, devrait permettre à la fois de mesurer l’ascendant réel de Jean-Claude Mailly sur son organisation, et de se faire une idée de la suite du processus. Si la CGT est seule, le gouvernement pourra rester sans trop de mal sur sa position de fermeté, en cas de mobilisation plus large ce sera sans doute plus compliqué.
Au delà des syndicats de salariés, l’inconnue de la mobilisation des jeunes devrait aussi peser. Comme en 2016, les opposants à la loi vont tenter de mobiliser la jeunesse. Mediapart a déjà prévenu: “les jeunes, premières victimes du macronisme”. Des collectifs lycéens appellent à bloquer les établissements le 12 septembre, des appels à la manifestation ont également été lancés dans les facs parisiennes. Si l’on peut reprocher à une organisation syndicale défendant ses acquis d’être rétrograde, il n’est jamais simple pour un gouvernement de faire face à la colère d’une jeunesse qui incarne forcément l’avenir.
D’autres acteurs pèseront sans doute sur la situation: les groupes violents spécialisés dans la transformation des manifestations en champs de bataille. Là aussi on surveillera les choix tactiques de la CGT. En 2016, le syndicat avait laissé les “casseurs” se placer en tête des cortèges et harceler les forces de l’ordre. Ce choix avait enclenché une spirale sans issue: affrontements violents puis dénonciation des violences policières, de manifestation en manifestation.
Cette problématique de tolérance à la violence se posera de façon encore plus cruciale pour la manifestation à venir de la France Insoumise. Mélenchon a dit et répété que “le peuple” s’exprimerait dans la rue, et serait plus légitime que le pouvoir issu du suffrage universel. Il a même fait miroiter à ses troupes l’hypothèse peu réaliste d’une “démission ou destitution” du président sous la poussée de la rue. Il a appelé, depuis la tribune de l’Assemblée nationale, les manifestants à mettre en échec dans la rue le recours aux ordonnances que venaient de valider ses collègues parlementaires. Presque un appel à l’insurrection! Ce n’est pas sans risque. Lorsqu’un élu de la nation, leader d’un parti politique, appelle à défaire dans la rue le résultat des urnes, le péril est réel. Même si les propos de Mélenchon tiennent plus du discours populiste, de l’outrance, et de la facilité de langage, que de la résolution politique, il a pris le risque d’être débordé par des militants, frustrés par sa défaite, et qui pourront confondre manifestation de rue et session de rattrapage électoral.
Difficile de prédire ce que pourrait donner une dérive violente des mobilisations contre la réforme du code du travail. Le pouvoir pourrait avoir la tentation, comme d’autres avant lui, de souffler sur les braises pour discréditer les oppositions. On entrerait alors dans un cycle violence-répression bien connu, mais dont l’issue est toujours incertaine.
Quoi qu’il advienne, cette réforme du code du travail reste pour Emmanuel Macron la mère de toutes les réformes. S’il ne mène pas celle-ci au bout, c’en sera vraisemblablement terminé de son programme de transformation de la France. Il a pris un coup d’avance en neutralisant deux des principaux syndicats sur trois, mais la bataille politique n’est pas encore gagnée!