Une fois de plus l’émotion générée par les images prend le pas sur le décryptage de l’actualité. Evidemment, il est choquant de voir, dans un pays européen, comme ailleurs, la police matraquer, bousculer, frapper des manifestants désarmés. Bien sûr c’est d’autant plus choquant que l’on sait que les manifestants en question voulaient simplement voter. Mettre un bulletin dans une urne que la police espagnole tentait par ailleurs de voler ou de détruire. Alors on s’indigne! Passons sur la déclaration surréaliste de Jean-Luc Mélenchon qui regrette que “la Catalogne ne soit pas au Vénézuela” (???), chacun y va de son communiqué de soutien aux indépendantistes Catalans en butte à un gouvernement violent, voire à ce que certains se plaisent à décrire, démontrant par là une connaissance de l’histoire bien approximative, un “retour du franquisme”.
Non, Rajoy n’est pas Franco. Il vient par contre de se discréditer gravement, comme chef d’un état démocratique. Primo, il a déclenché une épreuve de force qu’il ne pouvait pas gagner. La violence ne vient jamais à bout des idées dans une démocratie. Pire, dans nos sociétés, la violence de l’Etat finit par crédibiliser les causes les plus incertaines. Comment en effet ne pas se sentir solidaire des indépendantistes catalans lorsqu’on voit des policiers bardés de leurs casques et boucliers jeter une dame âgée à terre sans ménagement. Objectivement, les images ne sont pas pires que ce que l’on voit dans tous les pays, lorsque la police affronte des manifestants. Mais là, en tentant d’empêcher par la force des citoyens de voter, le pouvoir espagnol fournit une arme décisive aux indépendantistes: l’image d’une atteinte brutale et violente à la démocratie elle-même. Evidemment, les catalans vont en faire le meilleur usage.
Mais la principale faute de Rajoy n’est pas d’avoir envoyé sa police contre les électeurs catalans. Sa principale faute, et la plus grave, est d’avoir en temps que premier ministre, conduit son pays dans cette impasse. Car le pouvoir aura beau répéter sur tous les tons que toute la responsabilité de la crise revient aux indépendantistes qui ont violé la loi constitutionnelle… par son refus de prendre en compte le problème, il n’aura fait que renforcer la position des séparatistes catalans, et donc précipité son pays contre un mur.
C’est une impasse parce qu’évidemment, qu’on la juge légitime ou pas, l’ambition catalane parait peu réalisable. Du moins pas dans ces termes, c’est à dire par une séparation unilatérale. Or le gouvernement a sciemment choisi la politique du pire. En laissant les séparatistes s’enfoncer dans une logique sans issue, il a misé sur leur discrédit. Voire sur leur prochaine défaite électorale. Là où il aurait sans doute été possible et logique d’ouvrir des négociations, en prenant le risque de rediscuter de l’autonomie des régions espagnoles, Mariano Rajoy a préféré la tactique politicienne, il a misé sur le pourrissement de la situation, qui inévitablement devait démontrer la vanité de l’ambition catalane. Mais au final c’est bien son autorité qui est atteinte par l’exacerbation de la tension. Et cela alors même que son pouvoir est faible. Rajoy, il faut s’en souvenir, ne gouverne que parce que ses opposants de gauche, d’extrême-gauche et du centre, n’ont pu s’entendre pour le faire au lendemain des législatives. La situation de son gouvernement était fragile, et l’est sans doute encore plus au lendemain de l’opération coup de poing de Barcelone.
La revendication indépendantiste ne sera pas morte hier sous les coups de la Guardia civil. Au contraire, on peut imaginer que les catalans vont poursuivre sur la voie d’une très improbable sécession. Mais leur combat pour l’indépendance n’en sera pas rendu plus crédible non plus. La revendication d’indépendance catalane reste une impasse pour l’Espagne, pour qui la Catalogne est un poumon économique, mais aussi pour l’Europe qui ne saurait comment en gérer les conséquences. De part et d’autre, à Madrid comme à Barcelone, l’obstination et le refus de négocier conduisent forcément au pire.