Emmanuel Macron assume! L’ensemble de son œuvre et celle de ses collaborateurs. Même les actes et paroles du Ministre de l’intérieur. Il est indispensable de “contrôler l’identité des migrants”, a-t-il tranché dans ses vœux, dimanche soir, soutenant ainsi clairement Gérard Collomb qui veut mettre en place un contrôle des identités dans les centres d’accueil au grand dam des associations humanitaires, qui rappellent que la tradition de l’urgence en France qu’elle soit médicale ou sociale, est la prise en charge des personnes en souffrance précisément sans tenir compte de leur identité.
Evidemment c’est un choix à risque. Pas pour l’Etat mais pour les migrants. A l’heure où le président dit ne plus vouloir de migrants sans abri, les contrôles policiers risquent de renvoyer à la clandestinité tous ceux qui craignent de ne pas obtenir l’asile. De chasser du système de solidarité ceux précisément qui en ont le plus besoin. Comme si “la rigueur” et “l’efficacité” revendiquées par le président, pouvaient être appliquées sans discernement à des gens qui ont déjà risqué cent fois leur vie pour échapper à un quotidien qu’ils jugeaient infernal. On comprend bien l’intention de départ: pour s’assurer que les dossiers de demandes d’asile soient traités rapidement et humainement, puis que les déboutés ne s’installent pas dans une clandestinité qui n’est une solution enviable pour personne, il faut les repérer, les recenser, les suivre, pour finalement… les mettre dans un avion sitôt la décision rendue lorsqu’elle est négative. C’est froid et rationnel et l’on explique que ce n’est pas inhumain, mais simplement raisonnable.
Mais c’est contradictoire et inapplicable.
Si l’on y regarde de près, en fait la politique française à l’égard des migrations de population est assez invariable. Quel que soit le gouvernement, depuis l’époque de François Mitterrand elle se résume à l’adage prêté (de façon inexacte, précise Libération) à Michel Rocard: “La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde mais elle doit en prendre sa part”. Ou encore dans une version un peu plus crue: on veut bien accueillir les réfugiés des guerres et des tyrannies, mais pas ceux que la faim ou la misère chassent de chez eux. Comme le rappelle Libération, dans l’article en lien ci-dessus, François Mitterrand déclarait lui-même en 1989 que “le seuil de tolérance”, vis à vis des étrangers, “a été atteint dans les années 70”, dans notre pays… Bref, la France aurait déjà largement “pris sa part” depuis longtemps des migrations économiques, rançon de la colonisation, aurait fait preuve autant que faire se pouvait de la solidarité du nanti envers le spolié, et n’aurait plus qu’un devoir: être fidèle à la tradition d’asile dont elle est si fière, en accueillant généreusement les réfugiés qui fuient guerres et persécutions.
Après tout, sur ce plan, gauche, droite, et “ni droite ni gauche” ne parlent pas différemment. Soucieux de ménager un électorat que l’on suppose excédé par un afflux passé de personnes venues d’ailleurs, “on n’est plus vraiment chez nous…”, chacun promet de limiter le nombre d’étrangers entrant sur le territoire. Et c’est à qui en expulsera le plus. Et tant pis si la politique du chiffre dans cette matière va évidemment à l’encontre des droits humains.
Bien sûr on ne veut pas renier publiquement pour autant la tradition d’accueil de la République française et de l’Europe. Alors, on s’enfonce dans la contradiction. Macron comme ses prédécesseurs. On met le paquet sur les envolées humanistes et généreuses, sur la solidarité et la fraternité, la nécessité d’accueillir à bras ouverts les victimes de la guerre et de l’oppression… mais dans un même temps on laisse le ministère de l’intérieur mener une politique “dissuasive” à l’égard des migrants. C’est à dire consistant à les harceler, à leur rendre la vie impossible, en imaginant que cela rendra l’exode moins “attractif” pour leurs compatriotes.
Allons au bout du raisonnement. Convenons que la priorité donnée pour l’accueil sur le territoire français aux ressortissants étrangers victimes de guerres ou de répression, est le bon choix… Imaginons un instant que la France soit aussi généreuse que l’Allemagne ou la Suède -on en est bien loin- pour l’accueil de ceux qui fuient les guerres et/ou les extrémistes en Irak en Syrie ou en Afghanistan. Le “tri” revendiqué par le pouvoir entre réfugiés politiques et migrants économiques, les seconds étant systématiquement destinés au charter de retour, n’est pour autant qu’une ligne Maginot intenable de plus. D’abord parce que les motivations politiques et économiques sont étroitement lié. C’est souvent parce que des dictateurs les ont réduits à la misère, que les migrants “économiques” prennent le large. C’est vrai aujourd’hui, ce le sera plus encore demain. Avec le réchauffement climatique qui rendra la vie impossible dans les lieux déjà les plus défavorisés de la planète, il sera de plus en plus difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. La famine en Ethiopie, c’est la faute au changement climatique ou à la dictature? Les migrants éthiopiens sont-ils des réfugiés ou des affamés? Evidemment les deux. Et demain, lorsque le désert aura avalé Tombouctou et que des terroristes menaceront à nouveau Bamako, dans quelle catégorie entreront les maliens qui tenteront la folle traversée.
N’en doutons pas nous entrons dans l’ère des migrations massives. A cause du changement climatique, autant que du refus réitéré de la part des pays industrialisés de mener une véritable politique d’aide au développement. Après des décennies de pillage méthodique des ressources du tiers-monde, l’aide au développement n’a toujours pas atteint son âge adulte. Les pays les plus riches s’étaient engagés dans les années 70 à consacrer 0,7% de leur PIB au développement. Promesse renouvelée en 2000 avec les engagements pris dans le cadre de la “déclaration du millénaire”. Mais les pays qui ont respecté cet engagement, sont peu nombreux, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne par exemple. 17 ans après, Emmanuel Macron promet, dans un grand élan de “fraternité” français avec les pays pauvres, d’y consacrer… 0,55% du PIB (contre 0,38% aujourd’hui) et cela… d’ici 2022!
Le péril climatique s’avance, et la réponse de l’occident reste loin du compte. Aucun plan massif pour transférer les technologies et les savoir-faire vers les pays en développement, pour accélérer leur émergence. Si l’on excepte quelques usines pilotes, l’Afrique continue a acheter ses capteurs solaires à l’extérieur, principalement à la Chine. C’est la loi du libre échange, ton cacao ou tes crevettes contre mes technologies d’avenir. La formation des élites du tiers-monde se fait dans les universités européennes ou américaines, qui capturent les plus brillants, dans un véritable pillage de matière grise. Et le saupoudrage des subventions occidentales souvent aggrave les difficultés en mettant en péril les modèles économiques locaux. Et en même temps, Emmanuel Macron prend des airs de père fouettard, sincérité oblige, pour expliquer à des migrants africains qu’ils doivent rester travailler chez eux.
Mais ils n’y resteront pas. Avec la crise qu’ils connaissent et qu’aggravera inéluctablement le dérèglement climatique, les pays d’Afrique vont continuer de plus belle à laisser partir leur jeunes, qui continueront à risquer leurs vies pour rejoindre le supposé eldorado européen. Et il ne suffira pas de quelques subventions accordées sous conditions aux dirigeants locaux, souvent corrompus, pour enrayer le mouvement. Sans une plan massif d’aide au développement de l’Afrique, sans un transfert rapide de technologies et savoir-faire, sans un effort sans précédent de formation, sur place, dans les pays, là où sont les besoins, la question des migrations empoisonnera la vie des pays occidentaux pendant des décennies.
Et il sera de plus en plus difficile de faire croire que derrière les vexations et humiliations quotidiennes subie par les migrants, que l’on tente ainsi de dissuader de s’installer chez nous, se cache un grand dessein humaniste!