Nantes, référendum et démocratie participative

La question de l’aéroport de Notre Dame des Landes est tranchée. Et comme prévu, Macron et son premier-ministre ont droit à une pluie de critiques.

Passons très vite sur le bien fondé technique, économique et environnemental de la décision. Assez d’experts, souvent inattendus, de ces sujets se sont exprimés ces derniers jours pour qu’il soit vain d’en ajouter une couche. Chacun a plus d’arguments et contre-arguments qu’il n’en faut à disposition pour se faire une opinion.

Attardons nous plutôt sur la dimension politique de la décision. Sur ce plan on entend trois types de critiques.

Primo, cette décision serait un encouragement à la délinquance zadiste, un genre de prime à la violence, un signal d’encouragement pour tous eux qui tentent dans un coin de France de bloquer un projet jugé d’intérêt public par les élus… C’est effectivement un risque, en donnant de fait raison aux zadistes, le gouvernement leur prouve que le combat d’une poignée d’activistes contre l’Etat peut être victorieux. Pour éviter l’effet tâche d’huile, le gouvernement devra très vite se projeter sur un terrain plus propice, et y démontrer que la volonté de l’Etat, l’intérêt public, et la légalité ont le dernier mot.

Deuxième reproche: le renoncement, la trahison des promesses. Pendant sa campagne Emmanuel Macron avait effectivement annoncé son intention de mener le projet à terme, il aurait donc trompé ses électeurs. C’est factuellement vrai, même si l’on peut supposer que les électeurs ayant voté pour lui uniquement à cause de son engagement en faveur du projet sont une infime minorité. Il est également vrai qu’il avait promis une mission de médiation, et qu’il est difficile de lui reprocher d’avoir changé d’avis pour tenir compte des résultats de l’expertise qu’il avait sollicitée.

Reste enfin la dernière accusation: le déni de démocratie. La démocratie serait “foulée aux pieds” par le pouvoir. C’est évidemment la critique la plus embarrassante. L’Etat avait voulu une consultation populaire avant de trancher sur le sujet. En prenant une décision contraire aux résultats du référendum local, l’Etat envoie aux électeurs un message extrêmement négatif du genre: “votez, votez, de toute façon, votre avis on s’en fout”. C’est évidemment grave! Macron, qui s’était fait pendant sa campagne le champion de la revitalisation de notre démocratie, est ici pris en flagrant délit d’aggravation du discrédit démocratique des élites, qui a conduit à sa propre élection. On ne peut jouer ainsi avec le vote des électeurs, et se plaindre ensuite de l’incivisme des Français. C’est une pierre de plus apportée à l’édifice des populistes de tout crin.

Tout au plus, le nouveau gouvernement pourra dire qu’il a été piégé dans cette affaire. Et ce n’est pas faux non plus. L’attitude du précédent pouvoir a été dans ce domaine irresponsable. Au delà de l’incapacité à prendre une décision, François Hollande et Manuel Valls ont commis une faute grave en organisant un référendum sur le sujet pour ensuite se défausser du problème sur leurs successeurs. Lorsque l’Etat consulte le peuple, il doit se plier à son avis. Et celui qui a choisi d’organiser un référendum a le devoir de mettre en œuvre le choix des électeurs dans la foulée. Le résultat du vote populaire ne se négocie pas. Il n’y a pas de pire discrédit porté à notre système démocratique que le refus de prendre en compte le résultat d’un vote.

Il faut dire qu’il y eut un précédent d’une autre envergure avec le scrutin sur la ratification de la constitution européenne en 2005. Référendum voulu par Jacques Chirac et que Giscard d’Estaing, sous la houlette duquel avait été élaboré le texte, qualifiait de “bonne idée, à condition que la réponse soit oui”… La réponse fut non, et il fallut ensuite des contorsions sarkoziennes pour faire adopter par le parlement réuni en Congrès, le traité de Lisbonne, qui reprenait tous les éléments du traité constitutionnel rejeté par le peuple. Le vote populaire était bafoué, et l’affaire a nourri depuis les argumentaires de tous les euro-sceptiques et adeptes d’un Brexit à la française.

Sans parler de déni de démocratie, l’affaire de Nantes pose donc une vraie question, celle du recours au référendum. L’appel aux électeurs par l’Etat ou les collectivités locales pour trancher directement sur des sujets d’intérêt général, et plus encore le référendum d’initiative citoyenne, sont souvent présentés comme l’alpha et l’omega de la démocratie. Soit comme un garde-fou des délires aménageurs des élus locaux, soit au niveau national comme un moyen de faire passer en force des réformes que le pouvoir se sent incapable d’imposer aux syndicats et lobbies divers. Ainsi, dans le programme présidentiel de François Fillon, l’unification des régimes de retraite, ou la mise en place de quotas d’immigration, auraient résulté d’un référendum. Lequel référendum pourrait aussi servir à réduire le nombre de parlementaires sans en passer par leur vote en congrès… Dans les programmes de Mélenchon ou d’Hamon, le référendum d’initiative populaire devait devenir un véritable moyen de contrôle des décisions de l’exécutif. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’Emmanuel Macron recoure lui-même au référendum pour faire passer des réformes institutionnelles et contourner ainsi les sénateurs chez lesquels il n’a pas de majorité. Dans ces cas, la première utilité du référendum serait de permettre à l’exécutif, qui tire lui-même sa légitimité du peuple, de faire passer des décisions qu’il juge utile, mais qu’il est incapable d’imposer aux représentants de ce même peuple, aux syndicats, à l’opposition ou encore tout simplement comme dans le cas de Nantes, à ceux qui ont fait de la lutte contre l’Etat le sens de leur existence.

Avec le risque à chaque fois de voir d’autres considérations que l’intérêt général l’emporter lors du scrutin. On se souvient du précédent de la démission de De Gaulle après son échec à réformer le sénat par référendum. La difficulté du référendum, comme le montre l’exemple du vote pour le Brexit, c’est qu’il est démocratique, et donc on ne peut prévoir à coup sur son résultat. On peut toujours le pré-qualifier de référendum “consultatif”, comme celui de Notre Dame des Landes, pour pouvoir ensuite en bafouer le résultat… Mais pour l’image et la légitimité d’un exécutif, ne pas prendre en compte le résultat d’un vote démocratique reste toujours catastrophique.

Il n’empêche que la participation directe des citoyens à la décision politique est sans doute une condition nécessaire pour un regain de citoyenneté dans notre pays. Mais le recours au référendum n’est pas la seule voie, et peut toujours apparaître comme un aveu d’impuissance de l’exécutif -lorsqu’il est utilisé par un gouvernement- qui a été mandaté pour prendre des décisions, en s’appuyant sur la représentation nationale élue, pas pour s’en remettre aux urnes à chaque situation trop complexe à gérer. La consultation des citoyens dans l’élaboration des projets doit être possible et fructueuse sans en passer par le référendum. A cet égard, le processus mis en marche ces jours-ci pour la préparation d’une future loi bioéthique qui trancherait des questions aussi sensibles que la PMA pour tous, la GPA, la fin de vie, ou la génétique, parait exemplaire. Une vaste concertation, pilotée par le Comité consultatif national d’éthique, et qui doit s’adresser à tous : médecins, experts, associations, simples citoyens, jeunes, lycéens et étudiants. A l’issue des débats, organisés dans toutes les régions, le comité consultatif publiera une synthèse et rendra un avis. Un “comité citoyen représentatif” devrait veiller au bon déroulement de ces états généraux de la bio-éthique. La préparation et l’adoption d’une nouvelle loi reviendra ensuite à l’exécutif et au parlement. Sous réserve d’inventaire final, la procédure doit permettre à tous de faire valoir les points de vue les plus différents, en vue de la recherche d’un consensus sur lequel l’exécutif puisse s’appuyer pour mieux adapter la loi à l’évolution de la société.

Dans le même ordre d’idée, Emmanuel Macron a annoncé son projet de consultations citoyennes sur l’avenir de l’Europe. Avec un succès mitigé pour l’instant auprès des autres pays européens. C’est pourtant une nécessité absolue. Si les citoyens ne se réapproprient pas l’idée européenne, si on ne leur donne pas la possibilité de dire quelle Europe ils veulent, le populisme fera de plus en plus de ravages sur le continent. La consultation citoyenne est le véritable antidote à la montée de l’euroscepticisme, et donc demain, à deux, trois ou dix référendums de rupture.

Revenons à Nantes, et parions qu’une meilleure association des citoyens à l’élaboration du projet dès le départ, une prise de décision plus rapide, et une mise en œuvre sans atermoiements par les exécutifs concernés, plutôt qu’un référendum à l’utilité incertaine, auraient évité d’en arriver à cette issue forcément déplorable.

 

 

 

 

 

 

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