Le fantasme de l’appel d’air

La loi « Asile et immigration » a donc été adoptée par l’assemblée nationale. Sous l’hostilité des députés de gauche, mais aussi de quelques députés de La République en Marche. La loi pose principalement deux questions. La première est celle de son utilité. La seconde celle de l’impasse abyssale qu’elle fait sur l’essentiel: l’accueil.

Côté utilité du texte on peut s’interroger sur plusieurs points. Primo, le doublement du délai maximal de rétention administrative, porté de 45 à 90 jours, est incompréhensible. Une personne qui est incarcérée dans un centre de rétention y passe actuellement en moyenne 12,7 jours, (selon les associations qui s’occupent des migrants) très loin des 45 jours maximum antérieurs à la loi. Et si cette durée est inégale d’un centre à l’autre, seuls 3,7% des 46000 étrangers enfermés chaque année sortent de centre de rétention pour cause d’expiration du délai légal. Le gouvernement a donc beau arguer de la difficulté, parfois, à obtenir les documents internationaux nécessaires à l’expulsion, ce doublement de la durée maximale ne servira à rien ou presque, pour la bonne exécution des décisions. Et donc ne raccourcira pas de façon sensible le délai qui précède l’expulsion d’un demandeur d’asile débouté, délai qui, on peut en convenir avec le Président et son Ministre de l’intérieur, mériterait d’être raccourci, sans pour autant porter atteinte aux droits des personnes concernées.

Cette mesure a une utilité et une seule: envoyer un message de fermeté. Aux électeurs contaminés par l’ambiance délétère qui règne autour du fantasmé péril migratoire, et auprès desquels on continue à marteler un message macronien unique: « le gouvernement agit ». A l’opposition de droite qui reproche au gouvernement son laxisme en matière d’immigration. Aux opposants de gauche sur le thème maintenant bien rodé du « on ne cède rien! ». Aux candidats à l’immigration enfin, à qui il est essentiel de faire passer un message et un seul: tenter d’entrer en France c’est embarquer dans une galère.

C’est le fantasme de l’appel d’air. Toute mesure prise en faveur des migrants pourrait inciter les candidats à l’exode à choisir la destination-France. A l’inverse, toutes les mesures punitives et annonces menaçantes auraient un effet dissuasif. Si nous donnions l’impression de baisser la garde, nous serions littéralement envahis… C’est une théorie évidemment fumeuse. On peut imaginer sans peine que des individus ou des familles ayant bravé dix fois la mort pour quitter leur pays, n’en sont pas lorsqu’ils (ou elles) arrivent enfin, exténué(e)s, aux portes de l’Europe, à faire une étude comparative des délais de rétention selon les différents pays, ou du montant des aides publiques ! Laisser entendre le contraire est un déni insupportable du drame que représente pour chaque migrant l’expatriation et l’exode.

Une autre mesure de la loi s’inscrit dans le même registre: le raccourcissement du délai de recours à la commission nationale du droit d’asile de un mois à 15 jours. Là, la seule utilité visible est de prendre de vitesse les candidats à l’asile pour limiter les recours contre les décisions administratives… Pour le coup cela peut sans doute raccourcir les délais avant reconduite à la frontière, mais ce n’est pas très glorieux.

Mais le sujet qui a fait le plus polémique; a gauche -et plus largement dans les milieux associatifs qui se battent pour le respect des droits des migrants- c’est un article qui ne figure pas dans le texte, et que le gouvernement s’est refusé à y introduire : l’interdiction de la rétention des mineurs. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France à plusieurs reprises pour cette détention de fait d’enfants dans des conditions jugées dégradantes pour eux. Mais la majorité a refusé d’introduire cette interdiction dans la loi.

Evidemment, la détention d’enfants en bas âge derrière les murs de centres qui ressemblent furieusement à des prisons n’est pas acceptable. Mais aussitôt après s’en être indigné on doit répondre à la question corollaire: on fait comment? Lorsqu’une famille demandant le droit d’asile n’a pas été exaucée dans ses vœux et doit donc être expulsée, doit-on: 1) expulser les parents sans les enfants; 2) laisser tout le monde en liberté en priant pour que la famille au complet se présente à l’aéroport de son plein gré pour son expulsion. 3) retirer les enfants aux parents et les confier à l’Assistance Publique pendant que les parents sont en centre de rétention, dans l’attente de l’expulsion… Bien sûr les vrais défenseurs des droits des enfants répondront « bah, il suffit de n’expulser personne…» Et donc d’offrir un titre de séjour à tous ceux qui en font la demande? C’est le même débat qui agita la France sous François Hollande au moment de l’affaire Leonarda, du prénom de cette jeune fille, scolarisée en France et expulsée avec sa famille au Kosovo. Au nom de principes dont nous pouvons être fiers, et qui conduisent la République à donner accès à l’école à tous les enfants se trouvant sur le territoire, qu’ils y soient de façon légale ou non, des militants faisaient valoir à l’époque qu’on devait s’interdire d’arracher un enfant à son école pour l’expulser… Et donc, de fait, à conserver sur le territoire toute famille dont un enfant est à l’école obligatoire…

Légiférer dans ce domaine est donc ardu, on doit le reconnaître. Ce satané principe de réalité, qui nuit si souvent à la bonne conscience, transforme l’exercice en casse-tête, et brise-cœur. La seule issue honorable est donc d’accepter la complexité de la situation, et de faire du Macron, c’est à dire d’adopter, en même temps que des mesures forcément coercitives pour les migrants déboutés du droit d’asile, dont l’intérêt de chacun est qu’ils soient reconduits au plus tôt dans leur pays d’origine, un véritable plan d’accueil sur la durée pour tous ceux qui fuient les guerres, la barbarie, les dictatures, le dérèglement climatique dont nous sommes, en tant que pays développés, parmi les principaux responsables, ou simplement la misère, et dont nous avons depuis Michel Rocard, convenu que nous devions en prendre notre part.

Et là, le bât blesse douloureusement. Car, en même temps… on ne voit rien venir ou presque. Soyons juste, la loi prévoit quelques aménagements positifs. Pour la protection des homosexuels victimes de persécutions dans leurs pays d’origine, et des personnes victimes de violences conjugales, pour les migrants actifs dans une association… Ou encore pour favoriser l’accès à un emploi des plus qualifiés… C’est peu! On attend encore un grand plan d’hébergement de tous ceux qui vivent actuellement sur les trottoirs ou les quais des canaux. Il y a des immeubles à réquisitionner, des investissements à faire. Bien sûr on ne peut pas accueillir tout le monde, mais on en est tellement loin, nous faisons tellement peu en la matière! En attendant une décision concernant sa demande d’asile, ou de titre de séjour, chaque migrant doit pouvoir être reçu chez nous dans des conditions  humaines. Avoir accès à des conditions décentes d’hébergement, de nourriture, d’éducation pour les enfants, d’apprentissage de la langue… Et cela n’empêchera pas l’Etat d’accélérer le traitement des dossiers.

C’est ce grand plan d’accueil correspondant dans les faits, aux principes énoncés mainte fois par le président Macron, dans ses discours, que l’on était en droit d’attendre à l’occasion du vote de cette loi. Un plan généreux, ambitieux, brandi par le gouvernement avec volontarisme, comme un antidote à la tentation de l’égoïsme et du repli sur soi, comme une arme contre la montée des populismes en Europe. Comme une réponse au défi  des grandes migrations climatiques qui restent à venir. Mais une fois de plus le vieux fantasme de l’appel d’air l’a emporté: surtout ne pas laisser les candidats à l’exode imaginer une seule seconde… qu’ils puissent être bien accueillis en France!

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