Un “nouveau monde”, soit… mais avec qui?

Les dossiers s’empilent, les manifestations se multiplient, et le gouvernement continue à annoncer de nouvelles réformes. Normal, dira-t-on du côté d'”En Marche”, c’est pour cela que Macron a été élu. N’entrons pas dans la polémique inutile et bien peu républicaine, sur la représentativité du Président élu. Evitons les calculs oiseux sur la part de son électorat qui aurait voté à la présidentielle pour lui et pas pour son programme, et qui aurait récidivé aux législatives en votant pour les candidats qui le soutenaient sans vraiment choisir que sa politique soit appliquée… Président élu, Macron applique son programme, c’est légitime et correspond sans doute à une attente d’une majorité d’électeurs.

Inutile aussi de chercher à évaluer si Macron n’aurait pas trompé ses électeurs avec son “ni de droite ni de gauche” qui serait devenu un “de droite et de droite”… une peu à la façon dont la gauche reprochait à François Hollande de s’être rallié à ce “monde de la Finance” dont il avait juré être “l’adversaire” pendant sa campagne. Non la question posée aujourd’hui n’est pas celle d’un abus de pouvoir d’un Emmanuel Macron mal élu, ni celle d’une éventuelle “trahison” par lui de ses électeurs qui venaient de la gauche… La démocratie est ainsi faite, quand le peuple délègue son pouvoir, c’est en toute logique pour que celui qui en bénéficie agisse, pas seulement pour qu’il affiche et illustre les idées supposées de ses électeurs.

Non la vraie question posée au terme de la première année de mandat du président,  c’est: “vers quel type de société nous conduit-il?” On a compris qu’il fallait réformer pour relancer l’initiative économique et donc indirectement la création d’emplois, sans lesquels tous les combats pour la justice sociale sont vains. On peut entendre que le réalisme politique implique certains choix qui semblent aller nettement dans le sens d’une aggravation au moins temporaire des inégalités. On veut bien croire que les allègements fiscaux dont bénéficient quelques privilégiés cotisant hier à l’impôt sur la fortune pèsent peu face à l’opportunité de donner un emploi au plus grand nombre. On peut même admettre que quelques erreurs de parcours -du genre de l’ajustement à la baisse des aides au logement- soient compensées par d’autres mesures généreuses en faveur des plus défavorisés… Mais quel est le sens de tout cela? Il ne suffit pas de parler de “nouveau monde” opposé à “l’ancien”, de plaider “l’action” contre la “fainéantise”, le “progressisme” contre “l’immobilisme”… Il faut dire quel est exactement le monde que nous préparons à nos enfants. Et pour répondre à cette question, il ne suffira pas de brandir sa foi réformatrice, ou de plaider le changement, voire de couper à toute critique en invoquant “le programme”.

Car c’est une question de forme autant que de fond. Quelle que soit la légitimité des mesures figurant au programme du président, la façon dont elles seront élaborées et adoptées façonnera la société française demain, autant que leur contenu. Evidemment, supprimer le statut du cheminot, transformer la SNCF en société anonyme, évacuer une poignées d’extrémistes d’une Zad auto-proclamée, ou empêcher une centaines de militants d’empêcher la majorité des étudiants de passer leurs examens, ne disloquera pas les liens qui font la cohésion de la nation. On peut comprendre que tout cela soit nécessaire mais ne puisse se faire sans un minimum d’opposition. Il y a bien sûr des réformes impopulaires mais indispensables. Mais lorsque le temps des oppositions sera passé, que les réformes auront été réalisées aux forceps, que la succession des défilés aura épuisé les plus vindicatifs, que la France aura été transformée dans le sens où le jeune président le souhaite, sur quel consensus social se fondera ce supposé “monde nouveau”.

Pour continuera à construire l’avenir, on aura besoin de forces vives, et pas seulement d’une majorité parlementaire. Il faudra pouvoir miser sur un tissu associatif actif et enthousiaste, sur des syndicats porteurs d’une exigence de progrès social, mais impliqués dans la modernisation du pays, sur une fonction publique soucieuse de l’intérêt commun, sur des élus locaux dévoués… et pas seulement sur une poignée de chefs d’entreprises et de hauts fonctionnaires, partageant une même analyse des besoins de la société. Il n’est pas certain que l’on soit sur cette voie.

L’impuissance du président et de son gouvernement à associer les syndicats dits “réformistes” à leur grande réforme de la SNCF est à cet égard très signifiante. Lancé comme il l’a été, le projet, avec recours aux ordonnances avant négociations, et rodomontades à gogo -“on ne cédera jamais, vous allez voir ce que vous allez voir”- ne recherchait pas le compromis nécessaire à un consensus minimal, il ne peut plus générer maintenant que de la frustration et de l’aigreur. Tout cela pour un projet dont on aura du mal à démontrer l’importance cardinale, même si l’on peut concevoir qu’il était un préalable à l’ouverture des transports ferroviaires à la concurrence, et, surtout, un prélude utile, une mise en condition en quelque sorte, avant l’incontournable unification des régimes de retraite. Chaque jour qui passe sans qu’une porte s’ouvre pour permettre à une partie au moins de ceux qui se battent contre le projet de sortir du conflit la tête haute, conduit le mouvement social à Canossa, c’est à dire au point ou ne restera plus d’alternative à la simple humiliation. Bien sûr la loi sera adoptée, le gouvernement aura démontré qu’un conflit long ne le fait pas reculer, la grève finira par s’arrêter faute de combattants… Mais chaque point de baisse dans la statistique quotidienne de grévistes de la SNCF, cristallise la frustration et l’aigreur, et compromet durablement le dialogue social sans lequel il n’y a pas de vie démocratique.

Et l’on pourrait dire la même chose, ou presque, à propos du tissu associatif. Qu’il s’agisse de l’environnement, de la vie dans les banlieues, de l’aide aux migrants, voire de la place de la religion dans la société, le gouvernement a réussi à fédérer la frustration et l’indignation des associations. Non pas que sur tous ces points les choix qu’il effectue soient particulièrement contestés, mais il a pêché aux yeux de tous ou presque par son incapacité à associer et fédérer les énergies de ceux qui pourtant se dévouent quotidiennement au bien commun, ou du moins à l’idée qu’ils s’en font. Par un manque d’écoute, ou d’attention. Et cela est vrai dans la plupart des domaines, hors de la sphère de l’innovation économique, qui semble son seul terrain de jeux, le seul où il soit vraiment à son aise.

C’est une peu court! Et il ne suffira pas, pour y remédier, de transformer le Conseil économique et social, pour en faire un lieu de “consultation et d’expertise”, le point de passage obligatoire de l’élaboration des projets d’avenir… Un changement institutionnel ne fera pas le printemps démocratique. Ce sentiment de coupure entre la société réelle et ses représentants politiques, qui a fait le lit de Macron, il y a un an, ne s’effacera pas d’un coup de baguette institutionnelle. Si l’on veut montrer aux citoyens qu’ils sont réellement les acteurs du changement, il va falloir apprendre à les consulter, réinventer une vie démocratique plus directe, s’appuyer sur les corps intermédiaires, travailler avec tous ceux qui donnent de leur temps à la vie associative. Paradoxalement, il n’y a que sur la question européenne que ce pas ait été franchi avec les consultations citoyennes dont il est encore trop tôt pour mesurer le réel impact. Pour le reste, le terrain du renouveau démocratique reste en friche depuis l’élection, si l’on excepte la loi sur la transparence et les réformes institutionnelles annoncées.

C’est bien pourtant le rôle premier qu’auraient pu ou dû jouer les militants d'”En marche” le parti présidentiel, en faisant exister sur tout le territoire des lieux de concertation, de discussion et de débats politiques, au lieu de consacrer leur temps à la défense et illustration de l’action du président. C’est aussi le rôle qu’aurait pu jouer le parti majoritaire en établissant les passerelles nécessaires avec les autres partis politiques, pour tenter de créer du consensus autour de projets, en écoutant les autres, en acceptant des amendements venus d’ailleurs, au lieu de cadenasser la forteresse. Là encore la réforme promise du fonctionnement du parlement, la généralisation de la procédure d’urgence, la limitation du droit d’amendement, loin de faciliter le fonctionnement de notre démocratie, renforceront l’image d’un pouvoir enfermé, comme ses prédécesseurs, dans une forteresse imprenable, le temps d’un mandat.

La “bienveillance” revendiquée par le candidat à la présidentielle est bien loin. Les clivages se multiplient, s’aggravent. La violence règne sur les réseaux sociaux. Le dialogue est de plus en plus difficile. Les médias n’en finissent plus d’amplifier et faire durer les polémiques. Les “grandes marées” succèdent aux “Fête à Macron”… Et quelle que soit sa justification, l’usage renforcé de la police contre la jeunesse en révolte ne peut qu’accentuer les ruptures. On ne pourra tenir chaque année les examens universitaires sous protection de la police. Et ce serait compromettre l’avenir que finir par convaincre la jeunesse que l’on veut changer le pays, soi-disant pour elle, mais sans elle! 

Certes ce mandat présidentiel n’a qu’un an, et il reste du temps pour retrouver le sens du dialogue, de la négociation, de la recherche du consensus, du compromis politique… Pour apprendre à créer des dynamiques collectives, au delà des processus électoraux, pour fabriquer de l’espérance, de la confiance en l’avenir, et faire reculer le sentiment collectif d’impuissance et de gâchis. A condition que cette première année ne conduise pas Emmanuel Macron à conclure, qu’à l’inverse de ce qu’il prêchait pendant sa campagne, une majorité parlementaire solide suffit à légitimer l’action d’un gouvernement en toute circonstance. Parce que ça, c’est vraiment “monde ancien”…

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