L’homme seul

On le sentait déjà depuis un certain temps. C’est plus que jamais une certitude. Avec le départ de Nicolas Hulot, qui avait investi son image de défenseur intransigeant de l’environnement dans le projet du nouveau président, Emmanuel Macron reste seul. Plus seul que jamais, et c’est sans doute là qu’est son premier échec.

Pour que Macron parvienne à l’Elysée, il avait fallu une conjonction planétaire exceptionnelle, la guerre intra-PS, le manque d’autorité d’un président, la multiplication des affaires mettant au jour un très choquant manque de moralité d’une partie de la classe politique, sans minimiser pour autant bien sûr le talent personnel du candidat. Et la force de son pari: remettre le monde politique sur ses pieds, recréer au sein de ces élites sclérosées par des décennies d’exercice sans partage du pouvoir, des dynamiques nouvelles. Rendre aux Français le goût du progrès en rassemblant toutes les bonnes volontés autour de quelques grands projets de réformes nécessaires pour le pays. Et donnant toute sa place au débat public, aux initiatives populaires. C’était bien là le sens du “ni droite ni gauche” ou “de gauche et de droite” selon les versions: faire le pari que l’énergie créatrice, la volonté réformatrice, l’ambition pour notre pays, sont de tous les bords. Que dans tous les partis, mais aussi et surtout dans toutes les associations, les syndicats, peuvent se rassembler les forces nécessaires pour impulser ce changement, dont une légende prétend que notre peuple en serait incapable.

On allait démontrer que dans l’opposition il n’y avait pas que des opposants, pas plus que dans la majorité on ne trouvait que des godillots. Que dans les syndicats de nombreux militants étaient disposés à faire passer l’intérêt général avant les acquis corporatistes. Que les enseignants, loin des caricatures dont on les avaient si longtemps affublés, pouvaient être les véritables moteurs du progrès éducatif, et pas des forces d’inertie. C’est cette promesse qui déchaîna dans une majorité, relative, l’enthousiasme de 2017. Cette promesse d’une remise en mouvement du pays, à laquelle tous, jeunes, moins jeunes, femmes, hommes, aisés comme plus modestes, pourraient être associés, quel que soit leur bord politique, quelles que soient leurs origines sociales…

Et puis le temps a passé. Glissons sur les affaires qui ont occupé l’essentiel de l’activité médiatique, souvent bien au delà de leur importance réelle. Constatons plutôt l’échec à obtenir le soutien de certains syndicats au moins, pour réformer le pays. L’impuissance à créer autour d’En marche le grand rassemblement progressiste dont la France avait besoin. La coupure croissante entre le gouvernement et le monde associatif, le sentiment d’abandon de ceux qui se battent dans ce pays, pour aider les plus démunis… Pour en arriver aujourd’hui à cette rupture avec Nicolas Hulot.

Oh bien sûr, comme le disait dès hier une autre Nicolas, Sarkozy, Hulot pèse peu. Le devenir de la planète de ne se joue pas dans sa présence ou nom au sein du gouvernement français. Et si l’ensemble des écologistes de tous bords se félicitent depuis hier de son courage, les mêmes n’avaient de cesse de dénoncer sa lâcheté les semaines précédentes… et les médias jouent ici encore sans surprise leur rôle d’amplificateurs à polémiques, sans que cela influe vraiment sur le réel.

La réalité du jour, celle à laquelle le président est renvoyé, c’est sa solitude. Il avait tout misé sur sa capacité à fédérer les forces progressistes du pays, les plus institutionnelles comme les plus enfouies au cœur de la société civile. Mais aussi, au delà, il avait pensé pouvoir rassembler autour de lui tout ce que l’Europe compte d’européens progressistes, d’ennemis de tous les populismes, de défenseurs de l’environnement contre les excès du libéralisme, d’humanistes sincères dont il espérait sans doute prendre le leadership. A l’heure d’aujourd’hui il n’a rassemblé ni les uns ni les autres, ni en Europe, ni dans son pays. Il reste seul, plus seul que jamais.

La faute à qui? A l’opposition qui s’oppose de façon systématique à tout ? Sans doute. A la gauche qui pense pouvoir se reconstruire sur l’échec du macronisme? Peut-être. A la presse avec qui le président n’a jamais su trouver la bonne distance? Pourquoi pas! Mais d’abord et surtout à lui-même, qui n’a pas su jusqu’à présent franchir le fossé qui sépare un catalogue de projets de lois d’une véritable dynamique de changement. Le programme d’un candidat à la présidentielle d’un grand élan réformateur partagé par un pays. Un élan réformateur au cœur duquel se trouve évidemment la sauvegarde de la planète dont Nicolas Hulot restait auprès de lui une forme de garant.

1 réflexion sur « L’homme seul »

  1. Excellente analyse qui sous-tend que cet élan ne peut exister devant les blocages de notre société, ses corporatismes, son incapacité à changer …

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