Vers un “tremblement de terre”?

Nous sommes à une semaine de l’échéance. Et déjà, si l’on en croit les instituts de sondages, la messe serait dite, du moins pour la France. Le parti de Marine Le Pen emporterait l’élection européenne, comme il l’avait emporté lors du dernier scrutin. Avec un score proche de celui de 2014 (24,86%). Rien de nouveau, donc? Si, bien sûr.

D’abord la situation politique dans les autres pays européens a changé. Les “amis” de Marine Le Pen sont au pouvoir en Hongrie, en Italie ou en Autriche, et ont le vent en poupe dans d’autres pays européens, l’Espagne par exemple. On peut donc penser que ces pays vont eux aussi envoyer des contingents importants de députés européens d’extrême-droite. Les élus du Rassemblement National seront bien entourés à Strasbourg. Certes les partis d’extrême-droite ne peuvent rêver d’une majorité au parlement, surtout qu’ils se font la guerre entre eux, le Hongrois Viktor Orban qui est tout aussi extrémiste et intolérant que Marine Le Pen, ayant déjà fait savoir par exemple qu’il se sentait plus proche de Laurent Wauquiez que de celle-ci, et veut siéger dans le groupe de droite démocrate chrétien européen PPE, dont il a été suspendu provisoirement en raison de ses dérives autoritaires. On peut en tout cas penser que l’élection débouchera sur la constitution au sein du parlement d’une forte minorité de populistes-nationalistes, capable de peser plus que par le passé sur le fonctionnement de l’assemblée et donc sur l’évolution de l’Union Européenne.

Bannon à Paris

“L’élection européenne sera un tremblement de terre…”. C’est Steve Bannon qui le dit dans une interview au quotidien Le Parisien. L’homme, ancien conseiller de Trump, dont on dit qu’il a fait la victoire de ce dernier, s’est installé dans un hôtel de luxe parisien pour apporter son aide à Marine Le Pen pendant la dernière semaine de campagne. Et c’est la deuxième nouveauté de ce scrutin: l’instrumentalisation des mouvements populistes-nationalistes européens, au profit d’intérêts extérieurs à l’union européenne. Bannon le dit tout net, dans son interview au Parisien, il est là pour favoriser la victoire des partis nationalistes en Europe, pour affaiblir l’Union européenne, et donc favoriser les ambitions économiques américaines. Il considère que “l’élan” donné par le Brexit a permis à Trump de l’emporter. Il veut maintenant transformer l’essai: “si les populistes font plus de 30 % aux européennes, cela donnera cet élan qui aidera Trump pour la campagne de 2020”.

Et Bannon et l’Amérique ne sont pas les seuls à s’intéresser de près au scrutin. La Russie de Poutine a aussi des yeux de Chimène pour les populistes européens. En Italie, Matteo Salvini le ministre de l’intérieur d’extrême droite italien est soupçonné d’avoir bénéficié de financements illégaux russes pour sa campagne des européennes. C’est également en Russie que le Front National a trouvé une part de ses financements, Marine Le Pen l’explique par l’ostracisme des banques françaises à son égard. Et c’est parce qu’il croyait avoir affaire à une émissaire russe, que le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache, leader de l’extrême-droite, s’est fait piéger alors qu’il tentait d’échanger des marchés publics autrichiens contre un financement.

Gilets jaunes et robots russes

Mais l’intervention de la Russie dans la campagne européenne ne se limite pas à des questions de financement. Selon le journal New-York Times et l’agence de sécurité Safeguard Cyber un électeur européen sur deux a été exposé à de fausses nouvelles, ou des articles de propagandes sensés favorisés les partis européens extrémistes. Or ces contenus émanaient pour l’essentiel de comptes russes. Safeguard Cyber dit avoir identifié 6700 comptes russes souvent automatisés qui diffusent et rediffusent des fausses informations concernant l’immigration, le Brexit, des contenus antisémites… Selon le journal britannique Times, des comptes internet russes auraient diffusé et rediffusé des centaines de messages par jour sur la crise des gilets-jaunes, diffusant des photos de violences étrangères aux manifestations françaises. C’est une véritable équipe de désinformation sur internet qui aurait été mise en place à Moscou pour influer sur les élections européennes aujourd’hui, comme il y a trois ans sur les élections américaines. L’enjeu pour le pouvoir russe est clair. Le seul véritable obstacle aux tentatives poutiniennes de “récupération” dans le giron russe des populations russophones périphériques (en Georgie ou Ukraine hier, demain peut-être dans les Pays-Baltes) c’est une Union Européenne solide. L’affaiblissement de celle-ci est donc stratégique. Et les partis populistes en profitent.

Perte de consentement

Troisième nouveauté par rapport à l’élection européenne de 2014, c’est la situation intérieure française. La crise des gilets jaunes a démontré que le consensus national est extrêmement fragilisé. Amplifiée par la volonté de revanche des partis politiques de gouvernement traditionnels qui ont subi de plein fouet le “dégagisme” d’un électorat lassé par la succession des affaires impliquant les hommes politiques et une forme d’inconséquence et d’inaction des gouvernements. Cette perte apparente de consentement du pouvoir politique, qui se traduit déjà depuis longtemps de façon passive dans l’abstention aux différents scrutins, a pris avec les gilets jaunes une forme violente et exacerbée, dont profite clairement le mouvement de Marine Le Pen au détriment de toutes les autres organisations politiques. Jusqu’à conduire à cet affrontement direct entre Emmanuel Macron et son parti dont toutes les oppositions, de l’extrême-droite à l’extrême gauche, souhaitent la défaite dimanche prochain, et Marine Le Pen dont une victoire, finalement, gênerait moins qu’un renforcement du président. Une victoire de l’extrême-droite que Macron s’est juré de faire reculer porterait inévitablement un coup puissant à la crédibilité de ce dernier.

On peut évidemment comprendre que chez les Républicains de Laurent Wauquiez, ou les socialistes d’Olivier Faure, voire chez les amis de Jean-Luc Mélenchon, où chacun rêve bien sûr de reconquête du pouvoir, un renforcement électoral d’Emmanuel Macron serait une nouvelle désillusion, et donc un très mauvais signal. D’un point de vue strictement tactique un résultat favorable à Emmanuel Macron serait pire qu’un succès de Marine Le Pen.

Mais ce n’est pas un scrutin national. C’est un scrutin européen qui intervient à un moment où les citoyens du continent sont désorientés, plus vraiment convaincus d’être sur la meilleure route possible. A un moment où il est nécessaire de revitaliser le projet commun, de réformer les institutions, de redonner un grand dessein à l’Union Européenne. A une époque où empêcher un retour de la guerre n’est plus une ambition suffisante pour les peuples. Où l’Union Européenne, pour retrouver du consentement citoyen, doit démontrer qu’elle peut œuvrer à la réduction des inégalités, au développement des solidarités, à la préservation de la planète, et pas seulement à la multiplication des échanges marchands. Qui peut penser qu’à ce moment de notre histoire on peut prendre le risque de donner plus de pouvoir à ceux qui rêvent d’une Europe des nationalismes?

2 réflexions sur « Vers un “tremblement de terre”? »

  1. C’est de la gauche de gouvernement que doit venir le geste attendu permettant de ne pas voir le RN arriver en tête. De ceux qui considèrent qu’un renforcement de Macron n’est pas pire qu’une victoire de Bécassine. Après avoir pris connaissance ce matin des écrits et déclarations de Juan Branco et des réponses de la presse à toutes ses accusations, je ne suis pas très optimiste.

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