Faut-il privatiser Aéroports de Paris? Chacun va forcément devoir se faire un avis sur le sujet puisque l’opposition, droite et gauche réunies, a décidé d’en faire un nouveau référendum anti-Macron. Le précédent, les élections européennes, n’ayant pas vraiment été une réussite, en dépit du succès du parti de Marine Le Pen.
A vrai dire, il n’est pas simple de se faire un point de vue catégorique sur le sujet. Un point de vue qui permette de répondre par oui ou par non à la question posée.
En premier lieu se pose un problème de principes. Selon qu’on est plutôt pour ou plutôt contre, on pourra opposer deux principes, contradictoires. Le premier, c’est la nécessité pour l’Etat de contrôler tout ce qui ressemble de près ou de loin à un service public. C’est le point de vue de la gauche. Seul l’Etat du fait de sa neutralité financière serait à même d’assurer une égalité d’accès des citoyens aux services essentiels, celui du transport par exemple. A ce principe, qui évidemment a du sens, mais a déjà largement été battu en brèche au fil des privatisations successives, on peut en opposer un autre: le rôle de l’Etat ne serait pas de gérer des entreprises fussent-elles en charge de services publics, mais simplement de réglementer et contrôler ces activités essentielles pour les citoyens. Un principe qui est en général plutôt défendu par la droite, à part dans le cas d’Aéroports De Paris, où visiblement l’envie de faire subir un échec à Macron, à travers le projet de Référendum d’Initiative Partagée l’a emporté pour les amis de Laurent Wauquiez sur les convictions habituelles.
Aucun de ces deux principes opposés n’a pleinement été appliqué jusqu’ici, ni par la gauche, qui n’a pas lésiné depuis quelques dizaines d’années sur les privatisations (30 milliards d’euros pour le seul Lionel Jospin, qui est en outre à l’origine du désengagement partiel de l’Etat d’Air France ou de France Télécom), ni par la droite qui a laissé l’Etat continuer à gérer plusieurs entreprises, dont l’intérêt public n’est pas tout à fait évident, comme lorsqu’il s’agit par exemple des jeux d’argent. S’agissant d’Aéroports de Paris, la dimension de service public est claire puisqu’on peut penser que sont en jeu plusieurs thèmes essentiels: l’accès de chacun aux moyens de transport, la sécurité du transport aérien, la sécurité des frontières ou encore le rayonnement de la France dans le monde… Mais on pourra constater aussi que gérer ADP c’est aussi et surtout gérer d’immenses galeries marchandes dont l’enjeu public n’est pas très évident.
Des aéroports plutôt rentables
Or seule l’activité commerciale serait concernée par le projet de privatisation, tout ce qui concerne la sécurité restant sous la responsabilité de l’Etat. S’il en était ainsi, les principes auxquels la gauche est attachée ne seraient donc pas particulièrement violentés. Reste à s’interroger sur l’opportunité du projet.
Car les galeries marchandes des aéroports sont aujourd’hui plutôt bien gérées, sous la houlette de l’Etat, puisque ADP réalise des profits importants.La question est donc: l’Etat doit-il renoncer à sa participation dans une entreprise rentable, qui contribue à alimenter ses caisses, au profit d’une société privée qui devrait, espère-t-on, investir pour développer les aéroports parisiens et les mettre au niveau de leurs grands rivaux internationaux, mais qui distribuera ses revenus à ses actionnaires et risque de n’agir que dans leur intérêt. N’est-on pas sur le point de brader une partie du patrimoine de la Nation, au profit d’intérêts privés?
Sur cette question de l’opportunité, on doit noter que le produit de la vente d’ADP, et de la Française des Jeux, qui est aussi concernée, est supposé alimenter un fonds d’investissement pour l’innovation. La question de l’opportunité peut donc être posée en ces termes: l’Etat doit-il privilégier une gestion de père de famille en utilisant au fil de l’eau dans son budget les ressources, bien utiles, générées par les titres d’ADP ou la Française des Jeux, ou plutôt renoncer à ces dividendes réguliers pour privilégier l’alimentation immédiate et massive d’un fonds qui permette à la France d’investir vite et fort dans les nouvelles technologies pour préparer l’avenir. Chacun peut avoir un avis, ou pas, sur le sujet. On peut remarquer toutefois que ceux qui protestent contre le fait que l’on “brade les bijoux de famille”, sont souvent les mêmes qui réclament un investissement massif de l’Etat dans l’innovation en particulier dans le domaine énergétique.
Quel enjeu pour le peuple souverain?
Reste la question du référendum d’initiative partagée et donc de la légitimité démocratique de la décision du parlement de privatiser ces entreprises. Sur ce plan, le Conseil Constitutionnel a tranché: bien que la loi interdise de remettre en question par cette procédure une loi promulguée depuis moins d’un an, la procédure ayant été engagée avant que la loi ait été promulguée a été jugée conforme. C’est évidemment un artifice juridique auquel le Conseil Constitutionnel s’est complaisamment rallié. L’esprit de la loi était d’empêcher que démocratie directe et démocratie représentative puissent entrer en conflit, en permettant à la minorité au parlement de bloquer par cette voie un texte adopté par la majorité. C’est bien ce qui se produit aujourd’hui, puisque, compte-tenu des délais de mise en œuvre, il s’écoulera au moins un an avant que le texte puisse être mis en œuvre, référendum ou pas.
Au delà de la polémique juridique, on peut enfin se demander quelle est la signification politique de ce projet de référendum. Dans la mesure où l’on admettra que le principe fondamental de défense des services publics n’est pas fondamentalement remis en cause par la commercialisation des activités commerciales d’ADP, est-il raisonnable de demander aux électeurs de décider de l’opportunité économique que représente cette privatisation? Y a-t-il un enjeu tel qu’il soit légitime d’en appeler au peuple souverain? Evidemment non. L’enjeu réel -qui fait que droite et gauche, malgré leurs positions opposées sur la question des privatisations, ont pu se retrouver dans cette affaire- c’est de porter un coup au chef de l’Etat.
De la part de la gauche on comprend que le coup tenté est à portée fortement symbolique. Attaquer Emmanuel Macron sur ce projet, c’est nourrir le procès en ultra-libéralisme qui lui est fait. C’est mettre en évidence sa volonté supposée de brader les intérêts de la France au profit d’intérêts privés. Bref, c’est poursuivre la campagne ininterrompue que mène la gauche depuis 2017 contre ce “président des riches élu par effraction”.
De la part de la droite, l’argumentaire est beaucoup plus réduit. D’autant que la reprise des privatisations figurait au programme présidentiel de François Fillon. Là il s’agit manifestement d’une démarche strictement politicienne visant à affaiblir le Président avant les prochaines échéances électorales, et sans doute d’une manifestation d’auto-défense des sénateurs, majoritairement de droite, qui se sentent menacés par les projets présidentiels de réforme constitutionnelle.
Du coup, avant même un éventuel référendum sur le sujet des privatisations, qui n’interviendra que si les oppositions parviennent à rassembler 4,7 millions de signatures sur leur projet, la campagne qui s’ouvre et qui va durer neuf mois pendant lesquels les promoteurs du projet vont tenter de convaincre le maximum de Français de signer, va focaliser une fois de plus les oppositions, gauche et droite confondues, sur un seul sujet: Emmanuel Macron. Et elles continueront sans doute dans le même temps à se plaindre de la présidentialisation du régime et de la polarisation de la vie politique sur le couple LREM-FN. Quel que soit le résultat, il n’est pas certain qu’à la fin PS, LR ou Insoumis en sortent gagnants.
Un grand bravo pour avoir souligné la nature politicarde de ce référendum qui n’a en fait rien à voir avec la privatisation d’ADP mais plutôt à la détestation partagée par les vieux partis par lui décimés, du Président Macron. Mais ce n’est pas comme cela que l’on génère un projet. Le fou furieux qu’est parfois Ruffin a beau faire des effets de tribune en éructant référendum x fois, ça n’apporte rien.
Vous avez raison aussi de différencier ce qui devrait être les vraies raison de la droite ou de la gauche d’engager un débat fécond sur le sujet.