Débattre de l’immigration? Oui, si…

La boite de Pandore est rouverte. Plus exactement elle ne fut jamais hermétiquement close, mais Emmanuel Macron vient de l’ouvrir en grand. “Il faut regarder le sujet de l’immigration en face” a-t-il déclaré devant les élus de la République en Marche. Avant de préciser qu’il ne fallait pas que LREM se comporte “comme un parti bourgeois” ignorant les préoccupations des “classe populaires”. Le Président évite les périphrase et les ellipses. Le propos est direct, assumé. Selon lui, “le droit d’asile est détourné… les demandes d’asile n’ont jamais été aussi hautes”… Et les habitants des quartiers les plus défavorisés en subissent les conséquences.

Evidemment, les réactions politiques n’ont pas tardé. Et pas surpris non plus par leur contenu. Pour la gauche, le jugement est sans nuances: Macron choisit d’oublier les principes républicains pour braconner sur les terres de Marine Le Pen… “A reprendre les angles du RN , le président Macron qui se posait en rempart est devenu une passerelle” commente sans attendre le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Pour l’intéressée, la patronne du Rassemblement National, les prises de position d’Emmanuel Macron sont “purement électoralistes”, et visent à piller son fonds de commerce.

Le creuset des migrations successives

Les arguments sont connus, et rodés depuis des années, ils resservent à l’identique à chaque fois qu’un politique rouvre la boite. Lorsque Michel Rocard explique que la France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde, mais doit en prendre sa part… Lorsque Sarkozy tente de lancer son débat national sur “l’identité nationale”, ou encore lorsque François Hollande refuse son soutien à Angela Merkel qui ouvre en grand les frontières de son pays aux réfugiés, laissant son premier ministre Manuel Valls, condamner la politique d’ouverture allemande…

Premier élément de langage: l’immigration n’est pas un “problème”, c’est une “chance” pour notre pays, qui s’est constitué dans le creuset de vagues d’immigration successives. Au delà de la posture, facile, c’est évidemment vrai. Nul ne peut contester que la France ne serait pas ce qu’elle est sans les immigrations russes, sans les migrants des pays de l’Est, d’Italie ou d’Espagne. Jamais notre industrie automobile n’aurait pu se développer sans l’apport des travailleurs immigrés du Maghreb. C’est bien sûr sa grandeur d’avoir accueilli les juifs venus de l’Est fuyant le nazisme, ou les espagnols tentant d’échapper au sud à la dictature franquiste. On pourrait aussi parler de l’accueil des boat-people fuyant le communisme. Tout cela est vrai, mais le rappeler sert le plus souvent à empêcher le débat. Cela installe en quelque sorte un tabou. Un interdit absolu: poser la question de l’immigration, c’est nier l’héritage des lumières, de la déclaration universelle des droits de l’homme, de la tradition humaniste de la France…

Pire, ouvrir un débat sur l’immigration, c’est ouvrir la porte au racisme et à la xénophobie. Et il est bien vrai que le malaise provoqué par la présence d’immigrés en nombre, et partagé avec ou sans raisons, par les deux tiers des français nous disent les sondages (étude annuelle “Fractures françaises” Ipsos Sopra-Steria pour Le Monde), ce “malaise” affiché de plus en plus ouvertement, n’a pas rien à voir avec le rejet de l’autre. La gêne ressentie face à une famille affirmant par sa tenue vestimentaire sa différence culturelle, et son appartenance religieuse, ne peut être exonérée d’une forme de xénophobie. Là encore, on trouve des éléments de langage protecteurs. Le rejet du voile devrait tout au féminisme, et rien au rejet de la différence. C’est pour les défendre qu’on voudrait interdire le voile aux femmes musulmanes, nous disent les plus humanistes… Mais la volonté d’uniformiser les comportements, jusque dans la tenue vestimentaire, a du mal à passer pour du progressisme.

Le poids des images dramatiques

Ensuite, il y a le poids du drame, et des images. La première image qui vient à l’esprit quand l’on commence à parler des migrations, c’est celle de ces corps repêchés en Méditerranée. De ces exilés de la peur subissant viols et tortures dans des camps Lybiens. De ces hommes, femmes et enfants s’entassant sur des radeaux percés pour échapper à la misère et aux violences, et tenter de gagner l’Eldorado européen. Ouvrir le débat sur l’immigration c’est donc d’abord répondre du déni d’humanité que constitue le sort fait à ces migrants. Répondre de l’indifférence des pays riches face à la situation des migrants fuyant aujourd’hui des guerres qu’ils ont déclenchées ou tolérées, demain les conséquences d’un réchauffement climatique qu’ils ont provoqué.

Et puis il y a les statistiques. Celles que met en avant Emmanuel Macron: celle des demandes d’asile en France, 122 743 en 2018 en hausse de près de 22 % par rapport à 2017, et cela alors que les entrées en Europe diminuent. Ou encore, le nombre toujours croissant de mineurs isolés. Et puis il y a les autres: avec 2,4% d’européens et 4,6% de non-européens, la France se trouve en dessous de la moyenne de l’OCDE pour la générosité de son accueil (Chiffres 2017 – Eurostat). Et malgré la croissance des demandes d’asile, celles-ci restent inférieures à celles qu’enregistrait l’Allemagne l’an dernier. Pour reprendre la citation de Michel Rocard, nous n’avons apparemment pas tout à fait pris notre part.

Et surtout, il y a les conditions d’intégration des immigrés en France. Pas vraiment dignes, pour le coup, du pays des Lumières. Et c’est là que le débat mérite de s’installer. Comment faire pour garantir des conditions de vie décentes à tous les migrants, et en commençant par les demandeurs d’asile? Ceux-ci doivent être pris en charge du premier jour de leur arrivée au jour de la décision concernant leur asile. Comment éviter la multiplication des situations de clandestinité lorsqu’il y a refus de l’asile? Si la reconduite à la frontière des déboutés est nécessaire, comment éviter d’interminables séjours dans ces prisons qui n’osent pas dire leur nom que sont les centres de rétention? Comment respecter le droit à l’éducation des enfants de demandeurs d’asile sans créer des situations dramatiques et traumatisantes lorsque leurs parents sont déboutés, et qu’il faut les expulser?

Une immigration choisie ?

Mais évidemment les questions sont tout aussi cruciales pour les autres, les migrants économiques. Eux -aussi ont droit à des conditions de vie décentes. Comment décider qui a le droit de chercher un asile économique en France, et qui n’y a pas droit? Comment choisir? Uniquement de façon intéressée, c’est à dire en accueillant ceux qui peuvent être le plus utile au pays? C’est comme cela qu’on accueille à bras ouvert les médecins, qui viennent remédier à notre impéritie, en suppléant au manque de médecins français. Mais c’est comme cela aussi que l’on se livre à un véritable pillage dans les pays moins développés que le nôtre, qui forment des médecins pour nous, et n’en ont plus pour se soigner eux-mêmes. Ne devons nous pas accueillir aussi, au moins pour compenser ce que nous leur prenons, des gens qui ont plus besoin de nous que nous d’eux, et qui seraient sans doute prêts à rester dans leur pays s’ils y voyaient la moindre chance de vivre dignement?

Qu’avons nous fait jusqu’ici pour aider les pays qu’ils fuient à leur proposer une véritable alternative? Là encore les statistiques, celles de l’aide au développement, sont cruelles pour nous, comme pour les autres pays développés. Où sont passés les milliards promis? Combien d’instituts technologiques avons nous créé, ou contribué à créer, en Afrique pour permettre aux jeunes d’étudier chez eux, plutôt que de venir chez nous, où les entreprises européennes récupèrent les meilleurs, une fois formés, spoliant de fait leurs pays d’origine. Où en sont les engagements pris et repris par les pays développés pour aider au développement? Selon le rapport de l’ONU sur le développement durable 2018, un milliard de personnes n’ont pas encore l’électricité… Et le nombre de personnes sous alimentées dans le monde, après avoir régressé, s’est remis à augmenter de 777 millions en 2015 à 815 millions en 2016.

Toutes ces questions méritent d’être débattues sans tabou. D’accord pour réfléchir sur des quotas d’immigration dans notre pays, si dans le même temps nous faisons réellement ce que nous pouvons pour aider ceux que nous refusons à trouver un avenir digne chez eux. Si dans le même temps nous sommes capables d’accueillir dignement tous ceux qui sont sur notre territoire, et de leur donner une place à part entière au sein de la Nation. Si nous savons revenir sur la politique de ghettoïsation qui a été menée de fait pendant des décennies. Depuis cette époque où l’on trouvait normal que des cités soient réservées à la population d’origine étrangère, où les autobus ne circulaient plus après 21 heures, où l’on ne trouvait parfois pas un bistrot, où les équipements collectifs dépérissaient… Où, curieusement, le taux de chômage était le double de la moyenne. Où, sans surprise, se sont développés communautarisme et délinquance qui provoquent aujourd’hui le “malaise” qu’Emmanuel Macron voudrait prendre en compte. Enfin si nous savons parler de toutes ces questions sans stigmatisation, sans flatter les plus bas sentiments qui se trouvent on le sait au fond de la boite de Pandore et ne demandent hélas qu’à en sortir. Car cela, Marine Le Pen le fait très bien.

1 réflexion sur « Débattre de l’immigration? Oui, si… »

  1. Accepter des migrants dans notre pays me semble une vraie nécessité humanitaire.
    La défiance d’une partie (croissante ?) de la population vis à vis de ces migrants vient, je pense, d’une observation de nos concitoyens.
    Je crois qu’un quart seulement des dossiers de demande d’asile reçoivent une réponse favorable. Cela veut dire que les trois quarts des migrants ne sont pas acceptés dans notre pays et ils devraient donc repartir vers leurs pays. Ce n’est pas le cas et ils errent dans le pays dans des conditions souvent lamentables (au niveau du périphérique nord à Paris, par exemple). Cela m’est tout à fait intolérable.
    “La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle doit savoir
    prendre sa part”.
    L’Etat n’est pas capable de faire respecter les règles qu’il énonce. C’est ça qui
    “coince” d’où, d’après moi, la défiance des citoyens car ils pensent que c’est
    l’invasion (les acceptés et les non raccompagnés dans leurs pays d’origine).
    Tous nos gouvernants ne font pas de l’aide au développement une priorité, hélas,
    trois fois hélas. Ce serait, bien sûr, la meilleure façon “d’assécher” tous ces flux
    migratoires.

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