Le péril turc

La guerre de Syrie est relancée. L’armée turque a franchi sa frontière pour une opération baptisée cyniquement “source de paix”. L’objectif du président turc Erdogan: prendre possession d’une zone tampon de 30 km sur 200 environ, en territoire kurde syrien, pour en chasser les Kurdes de Syrie, qui sont alliés aux PKK, le parti des Kurdes de Turquie, et y installer des camps pour y parquer les syriens chassés de leur pays et réfugiés en Turquie. C’était attendu depuis que Donald Trump avait – d’un tweet, comme d’habitude – bouleversé la donne dans la région en lâchant ouvertement ses alliés d’hier.

Une trahison indigne! Pendant des mois les Kurdes ont été seuls ou presque à se battre sur le terrain contre Daesh. C’est à ces combattants et combattantes que l’occident doit en grande partie la chute du califat autoproclamé d'”Etat Islamique”. Les armes à la main, les combattants kurdes ont défendu leur région autonome autoproclamée depuis 2016. Mais ils ont aussi défendu l’Occident, en reprenant village après village le territoire conquis par le soi-disant califat. Et lorsque les derniers bastions de Daesh sont tombés c’est encore à eux que l’on a confié, de fait, la prise en charge d’une grande part des prisonniers islamistes dont nous ne voulions pas encombrer nos tribunaux et nos prisons.

Deux messages sur twitter et un communiqué

Bien sûr, c’est d’abord la faute à Trump et à sa politique étrangère à courte-vue et coups de tête. Les forces américaines étaient là pour garantir la paix dans cette zone du nord de la Syrie, s’en retirer c’était ouvrir grand la porte à Erdogan. On peut supposer qu’en annonçant le retrait américain, le président des USA espérait faire oublier quelques heures la procédure d’empêchement à laquelle il fait face. Mais les occidentaux n’en sont pas quitte pour autant. Et la France en particulier. En recevant les combattants kurdes à deux reprises depuis deux ans, pour leur apporter le soutien de la France dans leur combat contre Daesh, en réitérant ce soutien lundi dernier alors que les moteurs des chars turcs chauffaient déjà, Emmanuel Macron s’est mis en première ligne. Sur le plan diplomatique. Il a fait connaître sa réprobation et demandé une réunion exceptionnelle du Conseil de Sécurité. Mais on voit mal comment il pourrait aller au delà des mots. Il n’est évidemment pas question d’intervenir militairement contre les forces turques. On devra se cantonner probablement à une condamnation de principe de l’ONU et à la fourniture d’assistance humanitaire aux populations civiles qui seront les premières victimes de la sale guerre d’Erdogan.

C’est que Erdogan est un allié encombrant, mais un allié tout de même. Malgré la tyrannie qu’il exerce dans son pays, la persécution des opposants politiques, des journalistes, de magistrats et policiers qui osent s’opposer à lui… D’abord son pays fait partie de l’Otan. Ensuite, la Turquie sert de zone tampon pour éviter l’afflux de migrants venus de Syrie vers le territoire européen. Plus de 3,5 millions de syriens se sont réfugiés dans le pays depuis le début de la guerre. Les européens payent pour que les Turcs gardent les réfugiés. 1,5 milliards d’euros au printemps dernier.

Aujourd’hui entre les deux alliés le cœur européen balance. D’un côté un pays qui sert de frontière extérieure à l’Europe pour enrayer l’afflux de réfugiés. De l’autre un peuple qui a payé un lourd tribut dans la guerre contre Daesh, et qui détient des centaines de djihadistes, souvent originaires d’Europe, et dont on craint qu’ils reviennent semer la terreur dans nos pays. Un sacré dilemme, pour les occidentaux. Que Donald Trump a tranché à sa façon, en deux messages sur twitter et un communiqué publié sous la pression des sénateurs de son parti. Le premier message annonçait le retrait des troupes américaines de la zone ouvrant la porte à Erdogan, le second promettait à la Turquie de l’anéantir économiquement si elle dépasse les limites acceptables… par lui! Le communiqué, en réaction au déclenchement de l’opération, précise que les Etats-Unis ont fait savoir à la Turquie que l’attaque n’est finalement “pas une bonne idée”.

Le retour des djihadistes?

En attendant d’hypothétiques sanctions américaines, on a donc l’invasion. Et les protestations de principe… Poutine allié lui aussi de fraiche date de la Turquie, contrats d’énergie et d’armement oblige, aurait conseillé à Erdogan de “bien réfléchir avant l’intervention”… Bref, personne ne semble ni vouloir ni savoir arrêter Erdogan. A nos risques et périls.

Car au delà des souffrances des populations civiles, du caractère illégal de cette intervention turque, du côté immoral de la trahison d’un allié, les risques que fait courir cette intervention sont considérables. D’abord, les Kurdes ont déjà annoncé qu’ils ne pourraient pas continuer à surveiller les djihadistes qu’ils détiennent, tout en se défendant contre l’agression turque. Il faudra donc que les occidentaux récupèrent rapidement leurs ressortissants actuellement détenus par les Kurdes, avant qu’ils ne s’évanouissent dans le paysage syrien. Ensuite, on peut supposer que le désordre qui va s’installer dans la région va fournir une opportunité aux factions djihadistes pour se reconstituer et reprendre leurs activités terroristes. Certes la Turquie, promet de rétablir la sécurité, mais on voit mal comment l’armée d’Erdogan pourrait parvenir à rétablir l’ordre dans le chaos syrien, alors qu’on peut supposer que les Kurdes, et sans doute ce qu’il reste de l’armée de Bachar Al Assad vont tout faire pour l’en chasser…

En quelques heures Donald Trump vient peut-être de réussir un coup de maître diplomatique: relancer la guerre en Syrie et offrir un second souffle à Daesh… Chapeau bas!

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