Dés le départ, avant même son élection, Emmanuel Macron se voulait “maître des horloges”, comme il l’expliquait sur France 2 en avril 2017 pour illustrer son refus de répondre à toutes les initiatives de Marine Le Pen. Et c’est légitime. Tout gouvernant tente de rester maître du calendrier qui concerne son action et de ne pas se laisser avaler par les exigences médiatiques, ou les urgences syndicales. Mais c’est pourtant sans doute un terrain sur lequel il n’a pas vraiment brillé.
Dès le début, il y a eu une première embardée: la réduction des APL de 5€. La démarche conduisant à cette réduction – le constat que les APL profitent d’abord aux propriétaires, qui justifient ainsi le montant parfois exorbitant des loyers qu’ils réclament aux étudiants – était fondée. La mesure prise en conséquence totalement incompréhensible, et surtout en décalage total avec le temps de l’opinion. Il était évidemment indéfendable de baisser les APL au moment où se mettait en place une mesure, la transformation de l’ISF, qui, de fait, permettait aux plus riches de payer moins d’impôts. Contre-temps absolu. Et il y en a eu d’autres.
Tout aussi spectaculaire a été l’annonce de la hausse de la fiscalité sur le gasoil à un moment où le pétrole flambait. Erreur de timing là encore qui n’est pas pour rien dans les déclenchement du mouvement des gilets jaunes. Et ce déphasage de la politique de réformes est tout aussi sensible aujourd’hui avec la réforme des retraites.
Certes, le gouvernement se tient à son credo: Emmanuel Macron l’a promis, on le fait! Mais là encore le “maître des horloges” s’est pris les pieds dans le tapis. Car on en arrive à une situation ubuesque, où le pays entier est en grève contre une réforme dont on ne connaît pas encore le contenu exact, puisque le premier-ministre ne devrait rendre ses conclusions que dans quelques jours.
Comment analyser ce décalage de phase, entre l’action et la réaction? Cette anticipation qui mouvement social sur la politique? Il y a plusieurs raisons et elles ne doivent pas tout au gouvernement. Du côté des syndicats, et en particulier ceux de la RATP qui ont donné le timing, la date du 5 décembre n’était pas neutre. C’est le 5 décembre 1995 qu’une mobilisation d’un millions de personnes était venu à bout du projet de réforme d’Alain Juppé. A l’époque le régime spécial de la RATP était déjà en cause. Et, ajoute-t-on du côté des grévistes, le premier ministre d’aujourd’hui, Edouard Philippe, se dit lui-même émule de celui de l’époque, Alain Juppé.
La deuxième raison tient aussi sans doute pour partie au précédent de 1995. Alors qu’Alain Juppé avait annoncé sa réforme sans avoir vraiment négocié au préalable, le gouvernement s’est appliqué à conduire les négociations avec les syndicats, du moins ceux qui acceptaient la discussion, avant d’annoncer le contenu définitif de la réforme. C’est donc au nom de la poursuite de cette consultation, que le gouvernement a refusé de détailler son plan avant la date du 5 décembre. Position défendable, mais totalement contre-productive. Alors que la négociation doit permettre de réduire la mobilisation contre le projet, pour peu que certains amendements proposés par les syndicats soient retenus, l’opacité totale du projet à la date de la mobilisation ne peut que renforcer celle-ci. Comme personne ne sait précisément ce qu’il adviendra de sa future retraite, chacun peut craindre le pire. Et l’on voit fleurir les simulateurs bidons, et les prédictions les plus catastrophistes, qui ne peuvent qu’accroître l’angoisse des salariés, en particulier ceux du secteur public.
Si la CGT, qui refusait de participer aux négociations, ne pouvait évidemment en respecter le calendrier, pour le gouvernement, anticiper sur les réunions en cours pour annoncer le projet avant le 5 septembre aurait eu deux inconvénients: d’une part donner le sentiment à ceux qui ont accepté de négocier que leur avis compte moins qu’une menace de grève, et puis surtout, laisser penser que ce sont la CGT et l’opposition qui déterminent le rythme du travail gouvernemental. Retour du syndrome du “Maître des horloges”.
Reste une troisième raison possible pour ce choix de calendrier: le gouvernement aurait choisi d’attendre de constater l’état de la mobilisation avant de mettre le point final à son projet, afin de pouvoir lâcher du lest au dernier moment en cas de mobilisation massive. Tactique possible mais perdante. Agir ainsi serait une façon de préparer déjà une reddition en rase campagne.
Il est trop tôt pour savoir si la pression de la rue conduira ou pas le gouvernement à changer son calendrier. Mais on est forcé de constater que l’affaire est assez mal engagée, et qu’il y a urgence. L’horloge tourne, que le gouvernement le veuille ou pas, et faute de savoir faire très vite la transparence sur son projet, et rassurer -ou pas- ceux qui se sentent menacés en fournissant un outil de simulation précis et fiable à chacun, le pouvoir se met en danger et risque de démontrer une fois de plus qu’il est impossible de réformer en profondeur le système de retraite français.