Le gouvernement dos au mur

Le gouvernement peut-il, doit-il, céder? C’est évidemment la question du moment. Si l’on prend pour argent comptant les rodomontades des responsables syndicaux de la SNCF, eux ne sont pas disposés à céder. “Donc ce sera la guerre totale a annoncé Laurent Brun le secrétaire général de la CGT cheminots, jusqu’à la fin. La SNCF sera par terre mais l’appareil sera debout”. L’appareil, c’est celui du syndicat, qui est évidemment au centre des enjeux du jour. Au delà du maintien d’avantages acquis, plus que la défense du statut des cheminots, ce qui se joue c’est bien la capacité de l’appareil de la CGT a se revitaliser. Le syndicat est en perte de vitesse, le combat perdu de la loi travail lui a coûté sa place de premier syndicat de France, ravie par la CFDT. Le conflit des régimes spéciaux est donc pour la centrale la mère de toutes les batailles, l’heure du quitte ou double? Que le gouvernement renonce à réformer les régimes spéciaux et cela sera probablement le jackpot, au prochaines élections professionnelles. Que la CGT soit obligée de plier, voire, pire, que la CFDT obtienne seule des concessions, et Philippe Martinez aura définitivement raté son opération de redressement. Et il n’est pas sûr que les militants suivent leur direction sur la voie annoncée par Laurent Brun: “La seule sortie possible, c’est la révolution”

Drôle de stratégie. Les progrès de la CFDT dans les élections professionnelles semblaient pourtant plus résulter d’une attitude de modération de ses dirigeants, correspondant mieux aux attentes des salariés. Tenter de reconquérir le cœur des salariés par la surenchère extrémiste et le retour à un positionnement purement politique, en prônant “la révolution”, semble voué à l’échec. Quel que soit le niveau d’inquiétude, et le degré d’exaspération, qui se sont manifestés pendant la crise des gilets jaunes, les salariés dans leur majorité ne sont sans doute pas disposés à choisir la fuite en avant, et la politique du pire que prône aujourd’hui la centrale de Philippe Martinez. Chacun a compris depuis longtemps que casser l’activité économique ne peut être un objectif, et fait autant voire plus de mal aux salariés, qu’au gouvernement et au “grand patronat” honni.

Du côté de la CFDT, le pari du refus est beaucoup plus subtil. En refusant l’âge pivot prévu dans la réforme, tout en répétant son accord pour un régime universel de retraite, Laurent Berger a placé son pion de façon optimale sur l’échiquier social. Il manifeste son intransigeance sur un point largement symbolique. L’âge pivot de 64 ans n’est pas si éloigné de l’âge moyen de départ à la retraite actuel qui est de 63,4 ans pour le régime général. Quand à l’âge à partir duquel un salarié touche sa retraite à taux plein quelle que soit son nombre de trimestre, il est actuellement de 65 ou 67 ans selon la date de naissance. Simplement, introduire 64 ans comme référence, alors que l’âge légal de départ est aujourd’hui de 62 ans c’est évidemment pour les salariés agiter un chiffon rouge. Laurent Berger a compris le profit qu’il pouvait tirer d’une position souple sur les régimes spéciaux, mais intransigeante sur le chiffon rouge des 64 ans. Que le gouvernement lui cède sur ce point, et il apparaîtra comme le sauveur de la retraite à 62 ans. Et cela, même s’il sait, comme tout le monde, que ce n’est qu’un répit, et que de toutes façons la durée de cotisation ne peut que s’allonger à l’avenir. Qu’il finisse par négocier un compromis sur ce point, en obtenant une meilleure prise en compte de la pénibilité par exemple dans le calcul de cet âge pivot, et il aura conforté son image de syndicaliste modéré mais exigeant.

De l’autre côté de l’échiquier, le président et son gouvernement sont dans la nasse. Pour reprendre l’initiative -après une ouverture laborieuse, plombée par une mauvaise gestion du calendrier, ayant maximisé l’incertitude et donc les angoisses des salariés offrant ainsi aux grévistes un soutien public inespéré- il n’ont qu’une marge de manœuvre limitée.

Première option, comme aux échecs, le gambit, le sacrifice du premier-ministre. Le président désavoue Edouard Philippe, retire son projet de réforme, et se trouve un nouveau premier-ministre. C’est évidemment la pire des solutions pour Emmanuel Macron qui marquerait ainsi probablement la fin de ses ambitions réformatrices, et l’échec de son quinquennat. Il ne lui resterait plus alors qu’à expédier les affaires courantes, jusqu’à une présidentielle qui pourrait profiter à Marine Le Pen, à moins qu’un sauveur improbable ne se lève d’un côté ou l’autre d’une opposition exsangue.

Deuxième option, maintenir la réforme des régimes spéciaux, en faisant quelques compromis pour retarder et/ou compenser son application aux salariés actuels, et céder sur l’âge pivot, en renvoyant la question du financement aux calendes grecques. Sur le fond, la solution aurait l’avantage de rassurer les salariés du régime général qui craignent le glissement de 62 à 64 ans, tout en menant à bien, même si ce n’est qu’à terme, l’unification des régimes. Elle aurait trois inconvénients. Primo elle ne serait pas très honnête, puisqu’elle reviendrait à renvoyer à une réforme ultérieure les mesures nécessaires à l’équilibrage financier de notre système de retraite. Deuxio, elle pourrait rejoindre l’option précédente en ce qui concerne le devenir du premier ministre qui s’est fortement engagé sur cet âge pivot. Enfin elle dresserait de son vivant une statue à Laurent Berger, consacré dans un rôle de premier opposant, et de référent moral auprès de l’ensemble de la gauche, ce qui ne ferait pas forcément les affaires du pouvoir sur d’autres dossiers, notamment ceux de l’immigration où le leader syndical s’est déjà engagé, en particulier contre les quotas d’immigration proposés par le gouvernement.

Reste enfin l’option de la résistance. Maintenir le projet, malgré les grèves, les manifestations, et les attaques, qui près d’un mois après le début de la contestation ne faiblissent pas.

Hier, c’est sur la mesure ouvertement redistributive du projet, le maintien d’une cotisation de solidarité sans contrepartie au delà de 100000 euros de revenus, que se concentraient les attaques. Difficile de la contester dans son principe puisqu’elle conduira les plus aisés à financer pour partie la retraite des plus modestes. Alors on fait le procès des intentions perverses qui sont forcément dissimulées derrière l’affichage social. Cette mesure serait en fait destinée à satisfaire les compagnies d’assurance, et fonds de pension américains, en poussant les revenus supérieurs à 100000€ à souscrire des assurances complémentaires privées. CQFD! Une fois de plus Emmanuel Macron démontrerait ainsi sa filiation honteuse avec le “Grand Capital”.

Dans ce contexte, l’option “droit dans ses bottes”, assortie de quelques concessions, forcément insuffisantes toutefois pour les syndicats, reste sans doute la seule qui demeure pour un président qui a placé tout son crédit sur sa capacité à résister aux pressions, et dont l’avenir politique serait sans doute ruiné par une retraite en rase campagne. Mais c’est un choix qui n’est pas sans risque, à l’heure où la société française se fracture de plus en plus profondément, et où le sens de la mesure, et la recherche du consensus, ont largement cédé le terrain dans le débat public, à la violence verbale, et à toutes les dérives haineuses… La promesse présidentielle d’apaiser la société française sera sans doute plus difficile encore à tenir que… celle de réformer le système de retraites.

La guerre à outrance n’est pas pour me déplaire. La seule sortie possible, c’est la révolution.

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