Le jour d’après…

Certains l’auront trouvé lyrique. Ou trop long. Ou trop ampoulé. D’autres auront aimé la précision, l’humilité, le volontarisme… Certains regretteront l’emploi d’un mot, l’absence d’un autre… L’exégèse de discours présidentiel est une discipline très largement pratiquée dans notre pays.

Oublions en la forme et concentrons-nous sur le contenu. La première annonce concerne bien sûr la date de fin de confinement total. Ce sera le 11 mai, date à partir de laquelle, si tout se passe d’ici là pour le mieux, le pays pourrait peu à peu se remettre en marche normale.Tout le monde réclamait une date, elle est là! La plupart des experts préconisaient une reprise progressive, elle le sera. Progressive pour éviter un retour de flamme de l’épidémie, progressive aussi pour tenir compte des priorités. Les crèches, écoles et lycées, redémarreront donc, progressivement, avant les bars et les restaurants. Si les enseignants acceptent de jouer le jeu. Et ce n’est pas gagné! Depuis hier soir, les plus syndiqués hurlent déjà: “on nous prend pour de la chair à canon” (sic), ou encore “en quoi est-il moins dangereux de rassembler 30 enfants dans une classe que 20 personnes dans un bistrot”? Apparemment entre une partie des enseignants et les gouvernants l’incompréhension devrait s’avérer, si ces premières réactions sont confirmées, une fois encore, totale.

Et pourtant qui mieux que ceux-là devrait être sensible à l’argument de priorité. N’est-il pas urgent de permettre aux enfants, particulièrement les plus défavorisés, de retrouver l’école? Ces enfants qui sont confinés depuis un mois dans des appartements de cités déshéritées, où personne n’est en mesure de les aider à s’instruire à distance, où l’ordinateur, lorsqu’il y en a un, ne sert qu’aux jeux vidéo, où l’ambiance familiale est vite rendue irrespirable par le confinement, et la menace d’un chômage prochain… Y-a-t-il un enseignant pour estimer que cela n’est pas plus prioritaire que le pot du samedi soir avec les collègues à la terrasse d’un bar branché? Chacun sait que l’enseignement à distance profite surtout aux élèves issus de milieux favorisés.

“Chair à canon?” “Sacrifiés sur l’autel de l’économie!” (SNUIPP-FSU) Les syndicats d’enseignants dénoncent déjà une mise en danger de leurs adhérents, face au risque de contamination par les élèves… Et l’on sent pointer la menace du droit de retrait, voire de la grève, le 11 mai prochain. Et pourtant, parions que de nombreux enseignants sont sur leurs balcons tous les soirs pour applaudir les soignants qui partent depuis un mois tous les jours au contact du virus pour sauver des vies. S’il y a “chair à canon” dans cette guerre, c’est bien celle de tous les soignants qui ont été frappés par le virus. S’il y a des professions qui peuvent se sentir sacrifiées sur l’autel de l’intérêt commun, ce sont les éboueurs qui ramassent nos ordures, et les chauffeurs qui nous livrent, et les épiciers qui nous permettent de nous nourrir, et les caissières qui nous encaissent… Pas les enseignants. Qui retourneront progressivement dans les classes à partir du 11 mai, dans des conditions de sécurité qui auront été mises au point d’ici là, promet le gouvernement. Gageons que les quatre semaines qui restent avant la date fatidique permettront au gouvernement et aux syndicats d’enseignants d’organiser d’un commun accord une reprise profitable et sans danger pour tous.

Voilà pour la reprise des écoles, qui s’annonce donc difficile. Mais il y a d’autres annonces qui sonnent aussi déjà comme de véritables défis. Ne parlons pas du défi de disposer de la quantité nécessaires de tests ou de masques d’ici le déconfinement, tout et son contraire a déjà été dit sur le sujet. Ou de la nécessité de reprendre le contrôle national de certaines productions stratégiques, c’était attendu. Arrêtons-nous sur quelques annonces qui donnent un sens particulier à un discours du président qui avait été axé sur la nécessaire “solidarité” invoquée à 7 reprises. Il y a aura des aides nouvelles pour les plus défavorisés, familles nombreuses ou étudiants en difficultés, pour les secteurs économiques particulièrement sinistrés, le tourisme, la culture en particulier. Et surtout, Emmanuel Macron propose “d’annuler les dettes des pays africains”! Il n’est pas le premier, le pape François l’avait aussi réclamé dans son homélie pascale. Mais c’est évidemment une annonce qui peut s’avérer capitale, si elle est suivie d’effets.

Tous les économistes le disent et le répètent, la récession mondiale qui suivra l’épidémie sera gravissime. Et quand le monde développé entre en récession, le monde le moins développé s’effondre. L’Afrique va vers le gouffre, une fois encore, plus que jamais. Les restrictions de fins de mois au nord se traduiront par de la famine au sud. Les égoïsmes occidentaux l’emportant, particulièrement à un moment où l’Amérique peut même envisager de supprimer ses subventions à l’Organisation Mondiale de la Santé, l’aide au développement risque de devenir anecdotique. Les cours des matières premières qui font survivre les pays du continent africain vont s’effondrer avec la crise, et de plus en plus d’être humains seront contraints de choisir entre l’exode et la mort, le premier choix impliquant souvent la même issue que le second.

Alors oui, il faut une action massive en faveur de l’Afrique. Bien sûr il ne sera pas facile de convaincre tous les créanciers de renoncer, bien sûr il faudra s’assurer que l’annulation de la dette ne se traduit pas simplement par l’enrichissement des plus corrompus dans ces pays. C’est un immense défi qu’a lancé Emmanuel Macron lundi soir. Et c’est celui-là qu’on a envie de retenir, au delà de l’espoir de vaincre enfin cette épidémie et de se doter collectivement des moyens de mieux résister à la prochaine. Pour qu’effectivement le monde d’après ne soit plus tout à fait celui d’hier!

2 réflexions sur « Le jour d’après… »

  1. Les enseignants ont fait preuve d’une très grande bonne volonté pour assurer la “continuité pédagogique” et pour ne laisser aucun élève sur le bord de la route de la connaissance …
    Par rapport à leur activité dans les établissements scolaires, le travail a été multiplié par deux voire trois. La réalité du travail des enseignant(e)s ne semble pas connue du grand public …
    Quand le confinement cessera, la reprise devra évidemment se faire dans des conditions optimales de sécurité sanitaire, il y a un mois pour la mettre au mieux en place : pour que les petits et les grands étudient bien.
    Alors, il me semble caricatural de parler de “chair à canon”, de même qu’il est surprenant de lire que, “pour les professeurs, le pot du samedi soir avec des collègues à la terrasse d’un bar branché est très prioritaire”. Pourquoi veut-on faire passer cette image égocentrée des enseignant(e)s ? Là aussi, nous sommes très loin de la réalité de ce que j’ai vécu pendant 40 ans !
    J’espère beaucoup de ce monde d’après … avec tant de convictions à revoir (au-delà de toute idéologie qui enferme trop souvent), tant d’humanité à offrir. L’espoir fera-t-il mieux vivre ? Je l’espère ardemment.

    • Je n’ai pas souhaité généraliser une “image égocentrée” des enseignants, mais pointer les limites de réactions syndicales pas très dignes.

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