Un élan brisé?

Transformer un élan, même gagnant, en mouvement sur la durée n’est pas chose simple. Indubitablement, Emmanuel Macron est en échec sur ce point. Il n’a pas réussi pour l’instant à consolider son élan de 2017. Le mouvement “En Marche” l’a porté à la présidence de la République, mais n’est pas devenu pour autant un grand parti politique, capable de porter durablement un message fort et clair d’une échéance électorale à l’autre, de proposer aux Français sur la durée un message politique plus élaboré que son attachement à la réalisation du programme électoral du Président.

Certes, on pourrait répondre que l’état dans lequel se trouvent les autres partis politiques n’est guère brillant et que donc LREM n’a rien à leur envier. Pas faux! On cherche encore le renouveau programmatique du Parti socialiste ou des Républicains. Mais les évènements qui se sont succédés dans le camp du Président de la République à l’occasion de cette campagne des municipales sonnent comme un échec personnel pour lui.

Il y a d’abord eu la pantalonnade de la campagne de Paris. La rivalité entre Benjamin Griveaux et Cédric Villani dont personne n’a compris en quoi elle impliquait un désaccord sur le fond, et était donc autre chose qu’un combat de coqs. Puis, après l’abandon forcé du premier, on a vu arriver Agnès Buzyn, qu’une interview de journaliste a suffi à faire exploser en plein vol au lendemain d’un premier tour lourdement perdu, avant qu’elle reprenne du poil de la bête et confirme sa présence au second tour. Dans l’intervalle le mathématicien Cedric Villani avait proposé de reprendre le flambeau de La République en Marche, dont il a été exclu… tout en prenant langue avec Anne Hidalgo pour négocier un éventuel ralliement. Pour compléter ce tableau surréaliste, on apprenait qu’une maire d’arrondissement sortante de Paris, après avoir rallié la liste LREM serait en négociation avec Rachida Dati, pour conserver son arrondissement… On en saura plus dans quelques jours…

Mais le véritable coup (tordu) d’éclat est venu de Lyon. De l’ex plus proche du Président de la République, Gérard Collomb, actuel maire de Lyon, brièvement ministre de l’Intérieur, qu’on avait vu pleurer en public le jour de l’investiture d’Emmanuel Macron, et qui aujourd’hui se rallie à Laurent Wauquiez, le président de la région Rhône-Alpes Auvergne, -et ennemi notoire du sujet de son émotion larmoyante d’il y a quelques mois- avec qui il signe un accord de maquignon: je cède la direction de l’agglomération à ton cheval, et tu laisses la mairie de Lyon à mon poulain… Pathétique! Déshonorant, serait-on tenté de dire si Gérard Collomb n’avait déjà montré quelques faiblesses sur le plan de la dignité politique. Déjà son départ du gouvernement avait des allures de désertion. On avait alors bien compris que son principal souci était de ménager la suite de sa carrière lyonnaise. Une carrière commencée en 1977 comme conseiller municipal, il y a 43 ans, et qui lui avait déjà permis de demeurer le maire de sa ville pendant 16 ans. Sans succès, puisqu’au premier tour de mars dernier sa liste se retrouvait en troisième position au coude à coude avec… le président de l’agglomération à qui il avait cédé sa place pour devenir ministre de l’intérieur, et qui se présentait contre lui, en dissident de LREM.

Bien sûr la direction de LREM a immédiatement dénoncé cet accord politique. Mais c’est bien l’échec d’Emmanuel Macron sur la modernisation de la vie politique qui est ici consommé. Et cet échec pourrait devenir un véritable boulet pour lui.

Lors de la campagne de 2017, la lassitude des électeurs pour une vie politique dégradée, minée par le clientélisme, les privilèges, et un cumul insolent des mandats, par une classe politique professionnalisée, ayant privatisé à son profit l’ensemble des fonctions représentatives, avait pesé très lourd dans le succès d’Emmanuel Macron. L’assainissement de la vie politique était l’une de ses principales promesses, et une part significative de l’électorat y avait cru. Comme au refus des clivages partisans gauche-droite. Une part au moins des Français avait espéré un véritable renouveau politique, un nouvel élan qui allait nous éloigner enfin d’une politique d’appareils, se partageant les postes et alternant au pouvoir, autant pour détruire que construire.

Trois ans après que reste-t-il de cet élan?

Primo, le président n’a pas réussi à débarrasser la vie politique française des affaires. Obligé de construire un appareil d’Etat au pas de charge avec soit des transfuges des appareils anciens, soit des nouveaux venus sans expérience, il a dû aussi composer avec les scandales. Une malversation par ci, un oubli de déclaration par là… Bref, comme avant, ou à peu près.

Ensuite, sous la pression des institutions de la 5ème République, qui poussent le président élu à se constituer une majorité à sa main pour pouvoir gouverner à sa guise, il a constitué son parti politique, de bric et de broc, forcément, c’est la contrepartie de la nouveauté. D’anciens élus de gauche, d’autres de droite, et des nouveaux venus, dont la seule véritable unité idéologique et programmatique était sa personne. Donc un parti faible. Qui plus est dirigé, tant pour le parti que le groupe parlementaire, par des gens manquant de charisme. Un parti peu rodé aux arcanes de la politique, qui s’est montré souvent inexistant dans sa défense de la politique du gouvernement et le combat politique qui va avec, et qui a du coup multiplié déclarations contradictoires, décisions incompréhensibles, comportements individuels aberrants, et depuis peu dissidences… Bref, loin de l’ambition initiale d’un président qui disait vouloir réconcilier les Français avec la politique. Face à la faiblesse de son parti et au refus de l’opposition de coopérer, la volonté de gouverner avec toutes les bonnes volontés de droite comme de gauche, se résumait finalement à un débauchage à droite comme à gauche.

Enfin, et c’est ce qui éclate avec l’affaire Collomb, il n’a pas pu imposer un véritable changement des règles du jeu politique, en mettant fin au cumul dans le temps des mandats. Qu’un de ses proches, ayant soutenu son programme de moralisation de la vie politique, puisse aujourd’hui continuer à tenter de tirer les ficelles, dans la deuxième métropole de France, après dix-sept ans de pouvoir absolu, au prix d’une trahison, est d’une symbolique pesante. Comme étaient symbolique la volonté de son premier ministre ou de son ministre des comptes publics, de se faire réélire dès maintenant dans leur ville respective, pour s’assurer de préserver leur point de chute de professionnel de la politique en cas de sort contraire.

“Je ne suis pas un professionnel de la politique”, lançait en 2017 Emmanuel Macron, en guise d’argument de vente. Ceux qui en auraient conclu qu’un des enjeux de son quinquennat serait une déprofessionnalisation de la politique en sont, pour l’instant, pour leurs frais.

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