Un succès Vert à moitié plein

C’est la fête à la nature! Dimanche, le “ras de marée” vert aux élections municipales. Lundi le Président qui donne quitus aux membres de la Convention sur le climat, sur à peu près toutes leurs propositions, à 3 “jokers près” a dit Emmanuel Macron. Décidément, l’après-covid (au moins provisoire) ne ressemble à rien et en tout cas pas à l’avant. Du moins en première lecture.

Evidemment, si l’on y regarde de plus près, il s’impose de nuancer un peu. D’abord, le “ras de marée” n’est tout de même pas un tsunami.

Il y a encore loin de la coupe au lèvres

Primo en raison du taux de participation. Plus faible que jamais, près de 60% d’abstention. Cela relativise évidemment les succès comme les défaites. Ainsi la nouvelle étoile de Bordeaux, l’écologiste Pierrre Hurmic, est en réalité élu par 17,5% des inscrits. On reste encore très en deçà de la supernova. Bien sûr cela n’enlève rien à sa légitimité démocratique, comme à celle de tous les autres élus. Mais cela peut conduire à limiter l’emphase dans l’analyse. Au total les écologistes vont diriger 10 villes de plus de 30000 habitants, contre deux auparavant, c’est encore beaucoup moins que les LR et divers droite (140), ou même que les divers mouvements centristes (23). Et comme dans le même temps la gauche en perd 6, de son côté, on peut se demander où sont passés les électeurs de gauche. D’ailleurs Olivier Faure qui n’est jamais en mal d’une déclaration précipitée, voire osera-t-on dire irréfléchie, s’est empressé d’annoncer qu’il était prêt -et donc on suppose aussi le parti dont il est le premier-secrétaire- à se ranger derrière un candidat écologiste à la prochaine présidentielle.

Mais il y a encore loin de la coupe au lèvres. L’élection présidentielle, c’est en 2022 et pour l’instant les sondages, qui il faut le reconnaître n’ont pas grand sens à deux ans de l’échéance, mettent plutôt Olivier Faure plus Yannick Jadot à un niveau très insuffisant pour s’emparer du pouvoir: 11% à eux deux. Et l’on peut craindre pour la gauche que l’annonce “surprise” de l’inévitable Ségolène Royal, proposant de prendre la tête d’un rassemblement avec les écologistes, soit vouée à faire long feu.

Si la perte d’influence du PS n’est pas une surprise, pas plus que le recul de LR qui perd des bastions comme Bordeaux ou Marseille, si évidemment la République en Marche est à la rue, comme on s’y attendait, il reste une énigme dans ce scrutin: où sont passés les dizaines de milliers de gens qui battent le pavé tous les samedis, et même plus, depuis deux ans pour protester contre la politique du gouvernement? Certes la peur du Covid en a peut-être dissuadés quelques uns, encore que les manifestations de rues soient rarement des modèles de distanciation, mais l’explication ne suffit pas. Les manifestants qui réclament sur l’air des lampions le départ de Macron et l’avènement de plus de démocratie, ne se retrouvent pas non plus dans celle des urnes. Ce pays que l’on nous dit à longueur de temps découragé, las de son président, de la classe politique nationale, et du pouvoir centralisé, ne semble pas non plus croire en la démocratie de proximité. Et là il y a un hic! Car voter reste encore la moins mauvaise façon de faire valoir son avis.

Une série d’électro-chocs?

Cela étant dit, ceux qui ont choisi d’aller voter ont souvent choisi les candidats écologistes, et ces derniers ont bien raison de s’en réjouir. Mais ils ne sont évidemment qu’aux premiers pas du gué, et le plus dur reste à venir. Car si les villes dont ils prennent les manettes ne sont pas toutes encore les enfers pour l’être humain que nous promettent les collapsologues, la mise en œuvre des convictions qu’ils ont affiché pendant leurs campagnes électorales devrait administrer aux électeurs une série d’electro-chocs. Au delà des traditionnelles pistes cyclables et aménagements d’espaces verts. Pour gagner dans ces grandes villes, les Verts ont dû prendre la tête d’alliance hétéroclites, allant souvent de la France Insoumise au Parti-socialiste. Pour “ratisser” plus large, il a fallu rassembler les pro-climat mais aussi les anti-nucléaire, anti vaccins, ennemis de la 5G, des compteurs électriques communicants ou de l’application Stop-Covid. Il a fallu agréger les demandes des adversaires des grandes surfaces, des anti-pesticides, des anti-carbone mais aussi des anti-taxe carbone De tous ceux qui estiment avoir droit au train sur la place de leur village, de ceux qui voudraient bien qu’on arrête de manger de la viande, qui mettraient bien tout le monde aux céréales… bio, qui fermeraient bien les Mc Donald, où encore les entrepôts d’Amazon… sauf pour la livraison des iPhone X… Evidemment, une fois aux commandes cela ne va pas être facile de répondre à toutes les attentes, les écologistes devront faire des choix, et sans doute mettre un peu d’eau dans leur vin. Ils auront ainsi l’occasion de montrer qu’ils peuvent faire d’excellents gestionnaires, mais ce sera forcément au prix d’une frustration de certains des électeurs amalgamés pendant la campagne, remplis de grandes ambitions généreuses mais rétifs au pragmatisme indispensable en politique.

Il est donc trop tôt pour savoir si cet engouement de l’électorat pour l’écologie peut conduire dans deux ans les électeurs à les mettre aux commandes du pays. Emmanuel Macron le sait bien qui avait déjà pris un coup d’avance sans attendre le résultat des municipales. Conscient d’une double fracture, issue pour partie de son action, mais aussi de l’action de ses prédécesseurs: la crise environnementale et la crise démocratique.

Le pari de Macron

Sur la question environnementale, Emmanuel Macron n’est pas parvenu à convaincre largement que son action était à la mesure des engagements pris au début de son mandat. Au contraire, plusieurs mesures prises ou plutôt différées sur les pesticides, ou encore sur les accords commerciaux internationaux, la tentative d’augmenter puis geler la taxe carbone nationale, qui mit les gilets jaunes dans la rue, ont pu donner le sentiment qu’il tergiversait sur ces sujets et peinait à tenir un cap qui soit dans la ligne de l’accord de Paris, et qui figurait dans ses engagements de campagne.

Sur la question de la rénovation démocratique l’échec est pour l’instant tout aussi patent. Les scandales liées aux abus commis par des hommes politiques n’ont pas cessé à son arrivée. Le non-cumul des mandats n’a pas été complètement mis en œuvre mais seulement ébauché. Au contraire les plus proches du président ont montré que même au gouvernement, ils s’accrochaient à leurs mandats locaux. L’introduction de la proportionnelle n’a pu pour l’instant être menée, faute de consensus. La promesse de gouverner avec la droite et la gauche, s’est perdue dans la constitution d’un parti politique de ralliés au président, venus il est vrai de gauche comme de droite, qui a permis à celui-ci de faire adopter ses projets de réforme grâce à une majorité absolue au parlement, mais n’a montré que peu de consistance politique et une absence de leadership, qui s’en sont trouvés sanctionnés lors du scrutin municipal. Alors que le pari macronien initial était de revaloriser la politique, de restaurer la confiance entre le peuple et ses élus… la défiance à l’égard du pouvoir et de ses représentants, Macron au premier chef, n’a fait que s’accroître, nourrie par des médias en quête d’audience, et des partis d’opposition frustrés d’avoir été privés du pouvoir.

Pour sortir par le haut de cette double impasse, Macron a mis la barre très haut, en mettant en place la convention citoyenne pour le climat, une assemblée de 150 personnes tirées au sort et chargées de faire des propositions pour réduire la production de gaz à effet de serre. Une façon de relancer une politique respectueuse de l’environnement, tout en apportant une réponse à la critique sur l’absence de démocratie directe manifestée entre autres par les gilets jaunes réclamant, à l’unisson avec l’extrême gauche… et l’extrême droite, un droit au Référendum d’Initiative Citoyenne. On peut estimer que ce choix du Président est contestable, et il est contesté, même parmi certains de ses soutiens. Au nom de quel principe démocratique, une assemblée de gens tirés au sort serait plus légitime qu’une assemblée résultant d’élections au suffrage universel? On rétorquera qu’il ne s’agissait pas d’une assemblée destinée à prendre des décisions, mais à faire des propositions. Et de ce point de vue on peut estimer que les “tirés au sort” ont gagné leur légitimité dans le sérieux de leur travail de réflexion. L’expérience a effectivement débouché sur un processus associant, même de façon très partielle et imparfaite, des membres de la société civile, guidés par quelques experts, à l’élaboration de la décision politique. Et leurs 149 propositions sont argumentées, on peut les juger pour certaines hors-sol, ou décalées par rapport à la vie réelle de leurs concitoyens… l’ensemble est en tout cas cohérent, et Emmanuel Macron a tenu à confirmer lui-même son soutien à 146 d’entre elles. Les trois “jokers” du Président, concernant la suprématie des droits humains sur ceux de l’environnement, inaliénable dans la constitution, le refus de taxer les dividendes pour l’environnement, attractivité économique oblige, et les 110 km/h sur autoroute, qui lui rappellent un peu trop la bataille des 80km/h sur routes nationales.

Evidemment, il reste maintenant à transformer tout cela en actes. Cela passera par des décrets, des projets de loi, un ou des référendums… Cela prendra du temps, ce qui permet aux écologistes de répondre qu’il ne s’agit pour l’instant que de vœux pieux et que, comme le dit Pierre Hurmic, le nouveau maire de Bordeaux: “on ne devient pas écologiste car les écologistes ont gagné une élection”! Mais évidemment tout le monde sent bien que le scrutin de 2022 pourrait se jouer en partie ici. Sur la capacité du Président à traduire son discours de lundi en actions gouvernementales – on dit le Premier-ministre peu enthousiaste, mais il était présent au premier rang pendant la conférence – et donc à contrarier la montée d’une vague verte, qui profitant de l’inaction du pouvoir, pourrait finir par se rapprocher du Graal.

Vive le « journalisme d’intuition »?

Ce dimanche matin un titre en ouverture du site du journal Le Monde: “Le combat des Traoré est magnifique”: des milliers de manifestants en France contre les violences. Il ne s’agit pas d’une tribune mais d’un “reportage”, donc du travail de plusieurs journalistes du quotidien. Ce titre appelle évidemment plusieurs commentaires.

Constatons d’abord que les journalistes, et leur responsable éditorial, qui ont estimé que ce titre est publiable, ont quand-même pris soin d’entourer de guillemets la phrase “le combat des Traoré est magnifique”… Une façon de laisser penser qu’il s’agit d’une citation entendue dans la manifestation plutôt que du point de vue du journal. La méthode est vieille comme le journalisme, mais il y a belle lurette que l’on apprend dans les écoles de journalisme que les guillemets n’exonèrent jamais les journalistes du contenu de leurs écrits. Encore moins dans un titre, lorsque l’auteur de la supposée phrase entendue n’est pas immédiatement précisé, mais cité au fin fond de l’article: il s’agit en l’occurrence de Karim Belkhadra, acteur ayant joué en particulier dans le film “La Haine”.

La seule façon de comprendre ce titre est de penser, comme le confirme le contenu même de l’article, que c’est bien le journal Le Monde qui juge le combat des Traoré “magnifique”. Et là, il y a plus qu’un malaise. Primo parce que le choix du Monde de s’engager dans un combat militant, aussi clivant que celui des Traoré, l’écarte d’une histoire faite d’indépendance et d’efforts d’impartialité, d’une approche raisonnée de la question du racisme dans la société française. Deuxio parce que le journal à travers son titre n’apporte pas son soutien militant à un combat contre le racisme, ou pour un usage plus modéré de la force par la police, ce qui après tout serait tout à fait honorable, mais bien à la famille d’Adama Traoré. C’est à dire à un clan qui défraye la chronique judiciaire, et se défie des règles démocratiques. C’est ainsi la cheffe de clan, Assa Traoré qui explique: “En Afrique, on renverse les présidents. Le peuple se lève, va au palais, renverse le président et prend le pouvoir. Ensuite, c’est le peuple qui va décider qui sera le président dans une démocratie effective. Donc oui, pourquoi ne pas faire comme en Afrique ?” 

On le sait l’affaire Traoré a déjà été tranchée par une grande partie des journalistes. Parmi les multiples expertises et contre-expertises, chacun a pu choisir sa vérité. Pour le Monde, mais bien d’autres encore, c’est celle des Traoré. Peut-être les journalistes qui en jugent ainsi ont finalement raison… Peut-être leur intuition – en l’absence de décision de justice définitive personne ne peut prétendre aujourd’hui disposer de faits incontestables, démontrant que Adama Traoré a été, ou pas, victime de la violence policière – est exacte. Peut-être la suite de l’interminable procédure contradictoire, 4 ans que cela dure, leur donnera raison.

Mais on se gardera le droit de trouver désespérant, et extrêmement dangereux pour la démocratie, de voir le “journalisme d’intuition” se substituer à la recherche besogneuse et souvent ingrate de la réalité des faits, l’engagement militant prendre le pas sur le travail de vérification et d’enquête. Travail pourtant indispensable dans ces domaines, celui des inégalités raciales qui sont encore bien présentes dans notre pays, et des comportements racistes d’où qu’ils viennent, comme dans celui des violences policières, chaque fois qu’il y en a.

Racisme et violences, cocktail explosif!

Comment sortir de la crise qu’on pourrait appeler “Floyd/Traoré”? D’abord, sans doute, en tentant de démêler les choses. Les deux affaires n’ont sans doute rien à voir, sauf que dans les deux il y a mort d’homme. George Floyd a été littéralement assassiné devant une caméra par un policier qui était connu pour sa violence. Jusqu’à preuve du contraire, non apportée jusqu’ici, Adama Traoré n’a pas été assassiné, mais est décédé à la suite de son interpellation il y a quatre ans. Dans les deux cas le contexte invoqué est double: d’une part une violence chronique et un sentiment d’impunité, d’autre part un racisme supposé, ponctuel ou structurel.

Parlons d’abord de la question du racisme qui semble justifier le rapprochement entre les deux situations, et en particulier du racisme institutionnel. Peut-on comparer la situation des Etats-Unis, où la ségrégation raciale a été abolie en 1964, ou les suprémacistes blanc ont pignon sur rue, avec celle d’un pays, le nôtre où un petit-fils d’esclave Gaston Monnerville fut Président du Conseil de République entre 1947 et 1958, puis Président du Sénat pendant 10 ans? Et où depuis plusieurs gouvernements ont compté des ministres et secrétaires d’Etat non-blancs. Prétendre aujourd’hui que la société française est structurellement, institutionnellement raciste, est une ânerie. Nous partageons avec d’autres pays l’héritage du colonialisme, pas celui de la discrimination raciale, sur le territoire national, si l’on excepte la honteuse période antisémite vichyste.

Le racisme existe en France, comme ailleurs, il se double en plus d’un vieux fond d’antisémitisme que l’on retrouve sans doute plus qu’ailleurs. Il existe, comme la bêtise, dans toutes les professions, et peut-être, cela reste toutefois à prouver, particulièrement dans la police, qui est en première ligne sur la ligne de front raciale et sociale que nous avons établie en un demi-siècle dans les banlieues en créant des ghettos dédiés à des migrants venus pour certains en renfort de l’expansion économique lorsqu’elle était là, pour d’autres à la recherche d’un eldorado illusoire. Les uns et les autres se retrouvant en grand nombre confinés dans des quartiers où le chomage peut atteindre 25% de la population en âge d’être active.

Suppression de la police de proximité

A cet égard, la faute cardinale commise par Nicolas Sarkozy lorsqu’il décida en 2003 de supprimer la police de proximité, au prétexte qu’un policier n’est pas fait pour jouer au foot avec les enfants, mais pour réprimer, a sans doute pesé très lourd -autant sans doute que l’insuffisance des équipements collectifs et de transport- dans cette ghettoïsation, et dans l’apparition de ce que certains qualifient aujourd’hui de territoires de non-droit. La présence permanente de policiers au contact des habitants, mi-surveillants mi-animateurs -une initiative du gouvernement Jospin en 1998- facilitait sans doute beaucoup la vie sociale dans ces quartiers, et leur sécurisation. Le pouvoir de nuisance pris dans certaines cités par les trafiquants de drogue est sans doute une conséquence de leur suppression.

Engagés dans une véritable guerre de territoire avec les délinquants des banlieues qu’ils sont sensés contrôler, les policier de la Brigade Anti Criminalité, sont aujourd’hui aspirés dans la violence au même rythme que leurs adversaires, plus ou moins délinquants, mais tous focalisés dans leur combat contre le flic-ennemi. Et on peut comprendre que lorsqu’on vit dans une de ces banlieues, on ait parfois la trouille en croisant des policiers, de la même façon que les policiers doivent eux-aussi vivre dans la crainte de l’affrontement de trop. On peut d’ailleurs reconnaître au film “Les Misérables” d’avoir dressé, avec plus ou moins de caricature, le tableau apocalyptique de cette guerre civile au quotidien.

C’est d’ailleurs le plus souvent ces policiers de la BAC habitués à un véritable combat de rue sans fin, qui se retrouvent mis en cause dans les violences excessives lors des manifestations de gilets-jaunes ou de syndicalistes. Et c’est l’autre grande question posée à la police française, ou du moins à ceux qui les dirigent: comment concilier maintien de l’ordre efficace et usage raisonné de la force?

Plateaux télés complaisants

Constatons tout d’abord que les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre ont été soumis à un régime depuis plus d’un an, que n’ont connu aucun de leurs collègues des pays voisins. A peine sortis de la période des attentats terroristes les plus dramatiques, ils ont connu plus de 50 manifestations du samedi, débouchant systématiquement sur de la casse urbaine, vitrines, mobilier, véhicules… dans la plupart des grandes villes de France. Manifestations auxquelles se sont ajoutées ou superposées les mobilisations syndicales contre la réforme des retraites. Ces samedis de violences les policiers les ont vécu, c’est une nouveauté, sous l’oeil implacable de centaines de téléphones portables à l’affut du moindre dérapage violent, pour diffuser les images, souvent décontextualisées, sur les réseaux sociaux. Chaque semaine, les manifestants du samedi bénéficiaient, outre une présence quasi-permanente et complaisante sur les plateaux-télé, de la bienveillance des commentateurs de la classe politique, remontée en bloc contre le gouvernement et donc sa police. Quoi qu’on pense de leurs modes d’action, on doit reconnaître que les nerfs des représentants des forces de l’orde ont été soumis à rude épreuve, et que malgré le nombre élevé de blessés chez les manifestants -il y eut aussi des blessés dans leurs rangs- le sang-froid de la plupart des policiers a sans doute permis d’éviter le pire.

Mais le problème demeure. Et il faut maintenant le traiter de façon sérieuse, et si possible pérenne. Et la solution appartient entièrement au pouvoir.

4 ans d’expertises contradictoires et toujours pas de décision définitive

Constatons tout d’abord que certains des travers ayant conduit à la situation extrême de tension actuelle, tiennent au fonctionnement même de nos institutions. Lorsque l’on constate que 4 ans après, la justice n’est toujours pas à même de trancher sur ce qui s’est produit lors de l’arrestation d’Adama Traoré, on a envie de hurler. Quoi qu’on pense de l’action politique et militante du comité de soutien dirigé par la sœur de la victime, il est inadmissible que les parents n’aient pu obtenir une réponse claire et définitive des juges à leurs interrogations. Et l’on pourrait ajouter que chaque rebondissement judiciaire est l’occasion pour eux d’une nouvelle humiliation, celle de voir étaler en public les différentes exactions dont certains de leurs enfants se sont rendus coupables dans le passé. Que nos procédures judiciaires permettent d’empiler pendant quatre ans des expertises venant se contredire les unes les autres, sans qu’un ou des juges aient le courage de trancher, en estimant que le cirque judiciaire a assez duré, est indigne d’une démocratie comme la nôtre. Ajoutons que l’institution judiciaire ne se grandit pas lorsque la Ministre de la Justice propose elle-même de rencontrer le comité de soutien concerné, en son ministère, en violation avec toutes les règles concernant la séparation des pouvoirs. Elle aurait, dit-on, comme excuse d’avoir obéi à une injonction présidentielle… ce qui rend la chose encore plus affligeante. D’autant que les militants en question se sont empressés de répondre qu’ils ne rencontreraient évidemment pas la ministre tant que les policiers, qu’ils jugent coupables, ne seraient pas mis en examen, et ont appelé à une nouvelle manifestation.

Clairement, l’affaire Traoré n’est pas l’affaire Floyd. Mais la question de l’usage de la violence par la police est posée aussi de ce côté-ci de l’Atlantique, et demande une prise en compte politique forte. Et sans doute sans précipitation. Le maintien de l’ordre est une question très complexe, qui doit s’adapter aux différentes situations, et à l’époque. La provocation permanente des policiers, parfois en nez à nez, par des manifestants vindicatifs à la recherche de l’incident sous l’oeil des téléphones portables, change évidemment les conditions du maintien de l’ordre. La présence systématique de manifestants décidés à casser ce qui leur tombe sous la main, pour se faire entendre et voir, impose sans doute aussi des révisions stratégiques. Et en évitant les complaintes de tous les yakafakons. Ceux qui préconisent tout simplement de désarmer la police voire de la supprimer. Ceux qui savent que tout est la faute au placage ventral qui est interdit dans certains pays… Ou qui préconisent l’interdiction du lanceur de balles de défense, qui aurait fait selon une étude de la revue Lancet -fondée sur les communications des hôpitaux français- 43 blessés aux yeux sur la période 2018-fin aout 2019, dont 9 énucléations. Un bilan évidemment inacceptable, mais qui ne suffit pas à résumer le sujet.

Une nécessaire remise à plat

Le gouvernement prendra-t-il le temps de la réflexion? Ce n’est pas forcément gagné! On l’a vu avec l’intempestive invitation du clan Traoré au ministère de la justice… Mais la décision improvisée par le Ministre de l’Intérieur d’interdire la pratique de “l’étranglement”, n’est guère plus habile, au point de paraître une provocation, même si l’intention affichée de suspendre les fonctionnaires coupables de propos racistes parait de pure logique.

Si la question est complexe, c’est précisément parce qu’elle ne se limite pas au traitement d’une affaire de site Facebook raciste dont les policiers seraient les auteurs, ou au fait de s’asseoir sur un homme couché à plat-ventre au risque de l’étouffer. C’est notre façon de penser les relations entre la police et les citoyens, dans les quartiers des grandes agglomérations, mais aussi ailleurs, qui est à revoir. C’est de notre capacité à mettre fin à la guerre civile qui se déroule dans certains quartiers, en ramenant à la vie démocratique chaque pouce de terrain qu’il est question. Sans se faire trop d’illusions sur la possibilité de réintroduire, dans le climat actuel, des agents de proximité dans les banlieues. Mais c’est aussi notre capacité à lutter contre toute prétention d’introduire dans notre pays un climat de lutte de races, qu’il s’agisse des discours racistes primaires d’abrutis, policiers ou non, ou des tentatives de certains intellectuels communautaristes de faire de la couleur de la peau un critère de discrimination du droit à la parole (le seul discours antiraciste recevable devant émaner de “racisés”). Qu’il s’agisse de maltraitance quotidienne de migrants, ou de dénonciation par des militants soi-disant antiracistes des “nègres de maison” et autres “Bounty”.

Oui notre pays a mené par le passé une politique d’extension coloniale. Oui, ce fut largement au détriment des populations autochtones concernées. Oui, on pourrait considérer que le colonialisme fut un crime contre l’humanité. Non, nous ne vivons pas aujourd’hui dans un état post colonial, où une police et une justice racistes traiteraient différemment les justiciables selon la couleur de leur peau. Bien sûr l’égalité de tous reste un combat. Nous devons composer avec des problèmes complexes de violence et de répression de la violence, de racisme et d’inégalités sociales, de défiance générale vis à vis de tout ce qui vient de l’Etat, et cela sous les feux d’un système de communication en roue libre, où toutes les paroles jusqu’aux plus haineuses pèsent le même poids… Il est temps de s’y atteler.

Au lieu de mettre en place trois commissions d’enquête différentes plus une enquête judiciaire pour savoir si l’Etat a bien géré la crise du Covid 19, on serait mieux inspiré de mettre quelques personnes intègres et disposant de la hauteur de vue nécessaire autour d’une table pour repenser les relations entre la justice et la police -bref l’Etat- et les citoyens. Mais c’est vrai qu’il y a aussi un système de santé à remettre sur ses pieds, et un développement durable à inventer, et une Europe qui menace d’exploser… Bref, l’après de l’avant devrait décoiffer!