Covid 19: la foire d’empoigne…

Le feuilleton de l’été continue! Avec la généralisation de l’obligation du port du masque à Paris, le gouvernement a remis une pièce dans la machine infernale. Et le feu aux réseaux sociaux. De tous les territoires, du plus profond des micro-processeurs, de chaque téléphone mobile, sur Facebook, twitter, Instagram, de chaque micro de chaque journaliste de chaîne d’information en continu, monte la clameur, puissante, incontrôlable, de ceux à qui on ne la fait pas: “on se fout de notre gueule, les gens qui décident sont des incompétents, des technocrates, qui ne connaissent rien à la vraie vie”! Avec une variante: “tout ça pour faire gagner le maximum d’argent aux laboratoires, à Bill Gates, à Rothschild”, rayez la ou les mentions inutiles!

Il est vrai que la communication du gouvernement, celui-ci comme d’autres, dans la première phase de l’épidémie, lorsque l’on croyait, comme l’OMS l’affirmait, que les gestes barrières étaient beaucoup plus efficaces que le port du masque, n’a pas été très habile. Dire “le masque ne sert à rien”, en s’accrochant aux recommandations internationales, quand tout le monde savait qu’on n’en avait pas en stock, n’était pas de très bonne politique. Surtout pour se retrouver ensuite en situation de l’imposer à tous en toutes circonstances ou presque. Plus de transparence aurait sans doute évité des malentendus.

Il est également vrai que la succession des décisions au fil de l’évolution de la contamination, a pu donner le sentiment d’une navigation à vue. Vrai aussi que de temps en temps, Ubu a semblé s’inviter à la table: lorsque par exemple on a présenté un plan de Paris, avec les rues à masque obligatoire et des rues sans masques, sans sembler se rendre compte que la mise en œuvre stricte d’une telle réglementation devrait conduire chaque Parisien… à rester chez lui, pour éviter, non pas le Covid, mais la migraine. L’ordre puis le contre-ordre du préfet de Paris concernant le port du masque par cyclistes et joggers, a fait aussi désordre. De même que l’exception de fréquentation accordée au Puy du Fou, ou l’affichage sans masque par certains ministres, quel qu’en ait été le prétexte, dans des manifestations officielles, comme au départ du tour de France à Nice.

Il reste que depuis le début de la crise, il a été impossible en France de créer un consensus minimal sur la politique sanitaire. Pire, depuis le premier jour, toutes les mesures rencontrent l’opposition de Diafoirus de service qui ont leur rond de serviette dans les chaînes d’informations en continu, et savent mieux que tout le monde ce qu’il faudrait faire et ne pas faire, ce qu’il aurait fallu faire ce qu’il adviendra demain et ce qui aurait pu advenir hier. Et l’on en découvre chaque jour de nouveaux, spécialistes en ceci ou en cela, mais surtout experts en jugements définitifs.

Maladresses, et experts en incompréhension

Pour y voir un peu plus clair, on peut tenter un classement des motivations des uns et des autres.

Il y a tout d’abord, c’est le plus simple et le plus banal, ceux à qui l’épidémie offrent une occasion inespérée de sortir de l’anonymat que le simple exercice de leur activité professionnelle habituelle ne leur aurait jamais offert. Ils sont chroniqueurs de télévision, médecins, ou simplement grandes gueules. Dans une catégorie voisine, on trouve les professionnels de la médiatisation, ceux qui sont déjà un peu connus mais ont pour souci d’entretenir une flamme de notoriété vacillante ou fragile, et que quelques jugements tranchés sur la crise sanitaire peuvent ranimer. On pense par exemple au docteur Patrice Pelloux que l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo et son amitié pour François Hollande avaient porté au devant de la scène, et qui a retrouvé grâce à quelques positions tranchées et caricaturales la lumière des projecteurs.

Il y a ensuite ceux pour qui le Covid 19 est simplement un terrain de jeu politique. Qu’ils soient de droite ou de gauche, extrémistes ou modérés, c’est une formidable opportunité d’attaquer le gouvernement jour après jour depuis plusieurs semaines. Au delà des leaders politiques, qui sont par essence de parti-pris, et donc, pourrait-on considérer, dans leur rôle, il y a les contradicteurs masqués. Médecins et militants à la fois, ils avancent le plus souvent dissimulés, retranchés derrière leurs titres universitaires, pour asséner leurs vérités politiques sur les chaînes de télévision. Champion incontestable de cette catégorie, le docteur Philippe Juvin, médecin anesthésiste-réanimateur, et à ce titre expert télévisé, également maire LR de La Garenne Colombes, ancien député européen, et président de la fédération Les Républicains des Hauts de Seine. Naturellement, c’est en qualité de médecin spécialiste, qu’il critique depuis le mois de mars toutes les décisions ou non-décisions du gouvernement, en se contredisant lui-même régulièrement pour les besoins de la cause, sans qu’on comprenne bien à quel moment il lui reste du temps pour son exercice professionnel médical. Et les journalistes qui l’interrogent oublient en général de préciser qu’il porte une double casquette.

Plus subtile, et diversifiée, on trouve la catégorie des anti-jacobins. Ceux qui ne supportent pas les décisions venues de Paris, alors que “c’est localement qu’on sait le mieux ce qu’il faut faire”, mais qui se défaussent régulièrement lorsque l’Etat transfère sur les collectivités la charge de la décision impopulaire. Ceux-là savent qu’il faudrait imposer le masque quand l’Etat ne fait que le conseiller -le maire de Nice par exemple- mais s’insurgent lorsque le préfet demande la fermeture des bars à 23 heures, alors qu’on “est pas plus contagieux à minuit qu’à 23 heures…” à l’instar de la maire écologiste de Marseille, qui ne craint pas de s’estimer plus à même de décider que l’Etat, d’autant qu’elle s’appuie sur son expert local… le professeur Raoult. L’anti-jacobino-technocratisme est en vogue dans ce pays ou l’Etat a toujours tendance à vouloir tout réglementer depuis ses officines parisiennes.

Atteinte aux libertés et crise économique

Il y a enfin la catégorie des rebelles. Ceux qui ont du mal à accepter que toute la population se plie à des décisions aussi contraignantes que le port du masque obligatoire pour tous. Ceux qui n’ont pas supporté de devoir remplir une autorisation pour sortir de chez eux pendant le confinement. Qui parlent maintenant de dérive de notre démocratie, voire de “dictature”… Ceux qui pensent que finalement le nombre de morts engendrés par l’épidémie ne justifie ni le coût économique exorbitant ni la restriction des libertés inédite qu’ont occasionnés les plans de lutte contre le virus.

Ceux-là évoquent l’âge moyen de ceux qui décèdent du Covid: seules les personnes âgées mourraient et ce ne serait donc qu’une légère accélération d’une tendance inévitable. On parle même de plus de 90% de comorbidité, c’est à dire de présence d’une autre pathologie chez les personnes décédées. Ou encore ils s’insurgent contre la disproportion entre les moyens déployés pour lutter contre le Covid 19, et ceux consacrés à la lutte contre d’autres maladies, comme par exemple le paludisme qui tue environ 400 000 personnes par an dans les pays pauvres, la moitié du bilan Covid à ce jour (820 000). Et ils rappellent que lors d’épidémies précédentes, la grippe de Hong-Kong par exemple qui a fait un million de morts en 1969 dont 31000 en France, on avait laissé les gens mourir sans en faire des tonnes. Et il est vrai que certains médecins ayant eu à faire face à l’épidémie à l’époque, racontent aujourd’hui les “cadavres entassés dans les ascenseurs”…

On pourra leur objecter que nous vivons aujourd’hui dans une société qui ne supporterait pas de voir les couloirs de ses hôpitaux envahis par les cadavres de ses vieux. Qu’à la première vidéo amateur diffusée sur les réseaux sociaux l’indignation aurait gagné le pays tout entier. Qu’il n’était donc pas possible de fermer les yeux pudiquement, comme en 1969. D’autant que personne, à part les experts en tout des plateaux télé, ne pouvait au démarrage de l’épidémie prévoir où elle s’arrêterait, et on ne peut savoir où elle nous aurait conduits sans mesures sanitaires de prévention.

L’examen des stratégies alternatives est à cet égard instructif. La Suède, qui a choisi de ne pas confiner pour éviter l’impact économique de la crise, s’en sort finalement avec un bilan assez négatif. Plus de mort que la plupart des pays européens en pourcentage de la population (seuls la Belgique, l’Espagne et le Royaume Uni font pire), et une situation économique plus dégradée qu’en Finlande ou au Danemark, ses voisins qui avaient eux choisi le confinement. Bien sûr, il en serait allé différemment si aucun pays européen n’avait confiné. Mais dans le contexte réel, celui d’un confinement dans la plupart des pays, ne pas le faire aurait été sans doute pour la France très meurtrier et économiquement aussi pénalisant. Evidemment personne ne peut trancher de façon définitive et scientifique sur les conséquences qu’aurait eu un non-confinement européen. Tout au plus peut-on citer l’étude publiée par la revue médicale Nature, qui estime à 3 millions le nombre de vies sauvées en Europe par le confinement.

Age et comorbidité

L’argument économique ne manque pas de sens. La perte de plusieurs points de croissance par l’ensemble des pays développés aura des conséquences dramatiques sur les pays les plus pauvres, qui se traduiront par un grand nombre de morts, de misère, peut-être comparable ou supérieur aux décès évités grâce au confinement. Les plans de relance des pays riches passeront évidemment avant l’aide au développement et la lutte contre les maladies qui massacrent dans les pays du Sud, risque de perdre encore en priorité. En France, l’accroissement sans précédent du chômage auquel on peut s’attendre, aura des conséquences dramatiques pour ceux qui en seront victimes. Il se traduira forcément -malgré les mesures exceptionnelles prises pour soutenir l’activité, en particulier le recours au chômage technique- par une augmentation de la pauvreté dans notre pays.

Sauver des vies “quoi qu’il en coûte?”

Faut-il pour autant considérer qu’on a sacrifié la jeunesse pour prolonger la vie d’une poignée de personnes âgées, comme le laissent entendre certains des adversaires de la politique sanitaire menée depuis le printemps? Il n’est pas contestable que les mesures de confinement, la suspension de la vie culturelle et sportive, la crise économique qui se développe, sont autant d’éléments qui pénalisent en premier lieu les actifs, donc les plus jeunes. Mais ne peut-on voir la bouteille à moitié pleine et reconnaître qu’à la différence de 1969, et de façon inattendue, cette société que l’on dit ultra-libérale a choisi de faire passer la santé des citoyens avant les exigences du développement économique? De tenter de sauver le maximum de vies… “quoi qu’il en coûte”, selon les mots du Président Macron?

Bien sûr on pourra rêver d’un monde merveilleux dans lequel, chacun aurait pris la mesure des exigences sanitaires sans que l’Etat ait à imposer quoi que ce soit. Où la solidarité inter-générationnelle aurait joué à plein sans qu’il y ait besoin d’interdire aux gens de sortir de chez eux, ni de leur imposer le port d’un masque. Où les personnes âgées auraient pu être protégées sans qu’on interdise à leurs proches de leur rendre visite… Où l’économie aurait continué à fonctionner malgré un nombre de décès qui aurait été limité par les comportements vertueux de citoyens responsables…

Dans le monde réel, l’Etat a considéré que la seule façon de réduire l’impact de la crise sanitaire et donc de sauver des milliers de vies, était de limiter les libertés, d’interdire les comportements à risque, d’imposer les protections sanitaires… Avec tous les excès dont il est capable lorsqu’il se pique de réglementer le comportement des individus…

Il y a évidemment matière à discussion sur telle ou telle mesure, chaque limite imposée a par nature un caractère arbitraire: pourquoi 5000 spectateurs maximum et pas 10000? pourquoi le port du masque à 11 ans et pas à 6? pourquoi dans les espaces publics ouverts et pas les restaurants? pourquoi deux mètres de distanciation et pas trois? Tout est contestable, tout est, et sera, contesté, sans retenue sur les plateaux télé et les réseaux sociaux. Mais dans cette ambiance de foire d’empoigne, il serait désastreux que la jeunesse retire au final de cette crise l’impression qu’elle a été sacrifiée pour permettre à ses ainés de grappiller quelques mois de vie supplémentaire, comme elle peut avoir le sentiment de faire les frais de l’incapacité des générations précédentes à gérer le système de retraite sur le long terme, ou encore d’avoir à éponger les dettes inconsidérées qu’ont accumulées leurs prédécesseurs, sans même parler de la facture climatique, qui retombera fatalement sur eux et leurs descendants.

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