Des partielles bien sombres

Il est toujours hasardeux d’extrapoler les résultats des élections législatives partielles. Surtout lorsqu’elles ont lieu à 18 mois des élections générales. On a pourtant envie de s’attarder quelques minutes sur celles qui ont eu lieu ce dimanche. 6 circonscriptions étaient concernées, soit à la suite de la démission du titulaire, élu maire entre temps, et préférant le mandat local, soit à la suite du remaniement gouvernemental de l’été, ayant conduit la nouvelle ministre déléguée à la Ville, Nadia Hai, à démissionner de son siège de député pour éviter que le suppléant qu’elle s’était choisi lors des législatives, et qui depuis est poursuivi pour trafic de stupéfiants, puisse prendre sa place à l’Assemblée.

Une exception -si l’on peut dire- parmi les six, la première circonscription du Haut-Rhin où la participation atteint 21%. Dans les cinq autres l’abstention dépasse les 80%, jusqu’à 87% dans le Val de Marne ! Certes, il est habituel que les électeurs boudent les élections partielles, mais à ce niveau, on peut parler de véritable crise démocratique. Comment demander aux citoyens de continuer à croire dans un système de représentation démocratique où les élus finiraient par ne représenter, dans le meilleur des cas, qu’entre 5 et 10% des électeurs de leur circonscription? Evidemment leur légitimité resterait entière, puisque les électeurs restent entièrement libres de leurs choix. Mais à ces niveaux de participation, l’engagement militant, et donc l’efficacité du lobbying, finiraient par compter plus que l’adhésion populaire aux projets.

Le vote obligatoire avec décompte des nuls et des blancs serait-il une solution? Outre le fait qu’il correspondrait peu à la culture française, dans l’état actuel de défiance vis à vis du système démocratique il risquerait simplement de transformer la liberté de ne pas voter en obligation de voter blanc, ce qui conduirait sans doute à un résultat voisin. Non, à ce stade de désaffection des urnes, il faut bien admettre qu’au delà des tentatives de rationalisation ponctuelles (c’est la faute à la peur du Covid! et il faisait trop beau! Et l’enjeu n’était pas suffisant…) l’abstention traduit tout simplement l’immense défiance des citoyens vis à vis de leur système de représentation. Les partis politiques ont perdu l’essentiel de leur crédibilité. Le Parti socialiste et les Républicains bien sûr qui ont montré leur incapacité à se reconstruire après leur échec de 2017, le Front National et les Insoumis qui ne parviennent pas malgré tous leurs efforts à capitaliser sur le mécontentement ambiant, mais également la République en Marche, comme on l’a vu dans les résultats de ce dimanche.

Pour LREM, c’est en effet une véritable déculottée. Dans les 6 élections partielles, aucun candidat du parti macroniste ne parvient à se hisser au second tour. Pas même dans la circonscription des Yvelines qu’avait emportée la ministre déléguée à la Ville Nadia Hai. L’échec est cuisant, et permet sans doute de mesurer la déception des citoyens. La soif de changement qu’avait su incarner Emmanuel Macron en 2017 ne trouve pas à s’étancher dans la création d’un nouveau parti politique dont la seule identité reste jusqu’ici, son soutien inconditionnel au Président de la République. LREM n’incarne rien, ne propose rien, ne questionne rien, ne parvient pas à se faire entendre. LREM est un produit direct d’un système électoral de la Cinquième République, revu et corrigé par Jacques Chirac et Lionel Jospin, à l’époque Président et Premier Ministre, qui avaient pour l’un réduit le mandat présidentiel à 5 ans et pour l’autre inversé le calendrier pour que le scrutin législatif intervienne après la présidentielle, et se transforme en véritable fabrique de “godillots”, une machine à soutenir aveuglément le président élu.

Si Lionel Jospin a raté le coche, et n’a donc pas pu en profiter, cela a marché au delà de toute espérance pour Emmanuel Macron. Elu sans parti politique, il a obtenu dans la foulée de son élection, un ras de marée de députés dévoués venus à la fois de nulle part et de partout, c’est à dire souvent de partis de droite et de gauche naufragés. Cela lui a permis de mettre en œuvre son programme comme il l’entendait, sans jamais chercher vraiment les inévitables compromis et négociations de nature à créer et amplifier l’adhésion du public aux réformes. Les trois années qui viennent de s’écouler auront donc encore aggravé le désamour des citoyens pour la vie politique, dégradé le niveau d’adhésion aux politiques publiques, comme on l’a vu à travers la crise des gilets jaunes, ou celle du Covid qui a montré la difficulté à obtenir un consensus citoyen face aux menaces de l’épidémie.

Vers où ce processus nous conduit-il? Sans doute vers le maintien d’un taux de participation électorale des plus bas. On pourra sans doute le vérifier lors des régionales, mais aussi lors des prochaines élections générales, si d’ici là l’offre politique n’a pas changé. Et l’on a du mal à imaginer un bouleversement du paysage politique d’ici deux ans. Même la percée du parti écologiste qui semblait le fait majeur des derniers scrutins, semble tourner court, tant EELV rassemble d’intérêts militants divergents -des anti-vaccins aux anti-nucléaires en passant par les ennemis de la 5G, du sapin sur la place du village, et des terrains de foot dans la cour de récré- et démontre au moment où il dirige plusieurs villes importantes son incapacité à dégager un programme de gouvernement global et cohérent. Les Ecologistes qui rêvent d’une prise du pouvoir lors des prochaines échéances nationales, ont pu d’ailleurs mesurer qu’il y a encore loin pour eux de la coupe aux lèvres avec leurs résultats décevants de dimanche.

Alors même si une élection partielle ne permet pas de tirer de plans sur la comète, n’est-il pas temps de revoir le système de fond en comble? De limiter ce cumul des mandats dans le temps qui permet à des hommes et femmes politiques de s’accrocher à leurs postes comme moule à son rocher? D’établir un véritable système électoral proportionnel qui rende aux électeurs la conviction que voter pour un candidat minoritaire ne revient pas à pisser dans un violon, et qui contraigne les gouvernants à négocier avec tous pour mettre en œuvre les politiques qu’ils ont choisies? Qui mette fin à cet insupportable spectacle de députés godillots votant systématiquement les projets du président dans la foulée duquel ils ont obtenu leur mandat? De donner un rôle plus important dans l’élaboration des politiques à la société civile, en s’appuyant sur un tissu associatif dont notre pays est riche? Bref de revivifier notre démocratie.

Emmanuel Macron a-t-il encore la volonté et le temps de faire ces réformes, que promettait son projet présidentiel? Ni l’un ni l’autre diront les plus pessimistes. Alors, il pourrait au lieu de cela se contenter d’essayer d’insuffler un peu de son énergie débordante à son parti pour le ranimer le temps d’une campagne, de lui donner, faute de colonne vertébrale, un peu plus de consistance politique, et consolider sa majorité parlementaire par quelques débauchages ici ou là, en misant une fois de plus sur le coup de génie de Chirac et Jospin, pour obtenir en 2022 une nouvelle vague de soutien législative, après une éventuelle victoire sur le fil contre un ou une candidate extrémiste… Tout en laissant les commentateurs épiloguer sur le taux d’abstention…

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