Evidemment, il savait le risque qu’il prenait. En se précipitant à Beyrouth au lendemain de l’explosion dans le port de Beyrouth, Emmanuel Macron savait bien qu’il s’exposait lourdement. D’une part, nationalement, au feu croisé des critiques de ceux qui lui reprocheraient de se comporter en puissance coloniale, comme de ceux qui le trouveraient plus soucieux de régler les problèmes du Liban que ceux de la France, sans oublier qu’il se trouverait quelques écologistes pour dénoncer un voyage en avion inutile au détriment du climat…
Au niveau international, il devait savoir s’exposer aux réactions d’agacement des dirigeants d’autres puissances qui ne pouvaient que modérément apprécier son immixtion dans le dossier libanais. L’Iran bien sûr, qui considère le Liban comme son pré carré, l’Arabie saoudite également qui s’intéresse à tout ce qui motive les iraniens, mais aussi les Etats-Unis de Trump que le dialogue assumé du président français avec les “terroristes” du Hezbollah, allié de l’ennemi iranien, ne pouvait qu’irriter. Ce sont d’ailleurs bien les Etats-Unis qui ont tenté le plus ouvertement de mettre des bâtons dans les roues du Président français en annonçant des sanctions contre des élus libanais proches du Hezbollah au moment où Emmanuel Macron tentait de convaincre le mouvement chiite de jouer le jeu de la démocratie.
Un échec prévisible
Il s’exposait évidemment aussi tout simplement au risque d’échec. Mettre d’accord les forces politiques libanaises sur un autre sujet que leurs intérêts particuliers était une gageure. Il avait obtenu une promesse de chacun des partis de jouer le jeu et de permettre la formation d’un “gouvernement de mission” chargé de préparer les réformes jugées indispensables pour qu’arrive enfin l’aide internationale dont le Liban a besoin pour se redresser. Mais, tout particulièrement au Liban, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Le Hezbollah -comme il devait déposer les armes depuis la signature de l’accord de Taëf en 1989 et n’en a jamais rien fait- s’est sans grande surprise assis sur la promesse faite à Emmanuel Macron. En exigeant du nouveau premier ministre un droit de désignation des ministres chiites du gouvernement, et en particulier celui des finances, la milice a tué le plan Macron dans l’œuf.
“Une trahison collective!”, s’est insurgé le Président dimanche soir dans sa conférence de presse. Et il n’a pas mâché ses mots à l’égard de la classe politique libanaise dont il a stigmatisé la corruption, et l’irresponsabilité, renvoyant le Hezbollah à sa réalité “d’ armée en guerre contre Israël”… de “milice déchaînée contre les civils en Syrie” prétendant être traité comme “un parti respectable au Liban”. Emmanuel Macron est très en colère, et les responsables politiques libanais ne s’étaient jamais entendu dire leurs quatre vérités par un chef d’Etat étranger de cette façon. Une attitude évidemment risquée mais nécessaire pour éviter que le peuple libanais en colère lui-aussi, n’ait le sentiment d’avoir été trahi… par Emmanuel Macron.
La colère peut-elle être plus efficace que le dialogue? On peut évidemment en douter. Si la plupart des partis libanais continuent à jurer qu’ils sont d’accord pour une mise en œuvre de la feuille de route proposée par le président français, le Hezbollah a fait savoir de son côté que Macron en attaquant le mouvement chiite comme il l’a fait dimanche, avait perdu toute chance de jouer un rôle de médiateur au Liban. Il faut dire que la phrase du président français “le Hezbollah ne doit pas se croire plus fort qu’il n’est” a dû être prise comme une insulte par la milice, qui reste soupçonnée d’être responsable de l’attentat du Drakkar en 1983 à Beyrouth, ayant entraîné la mort de 58 parachutistes français en mission pour l’ONU au Liban. Le chef du Hezbollah a déjà prévu de répondre mardi soir au Président français.
Cette aide internationale dont le Liban a besoin
Après la conférence de presse d’Emmanuel Macron, la presse libanaise (d’après un article du quotidien l’Orient le Jour) semblait partagée. Sans surprise, le quotidien al Akhbar, proche du Hezbollah, reproche au président français d’avoir rejoint le camp des Etats-Unis, qui traitent le Hezbollah comme une organisation terroriste. Tout en se félicitant du discours de vérité du président français, d’autres journaux affichent leur scepticisme face à la situation. De fait, un dénouement positif, permettant à la communauté internationale de venir en aide de façon substantielle au Liban semble encore s’être éloigné. La France était le dernier pays occidental à accepter de dialoguer avec le Hezbollah. La rupture risque de conduire la milice chiite sur une voie d’intransigeance dont le seul débouché pourrait être à nouveau la guerre civile. De son côté, le président libanais Michel Aoun, dit toujours être attaché à l’initiative d’Emmanuel Macron. Mais dans le même temps, celui que le président français n’avait pas non plus épargné pendant sa conférence de presse, n’annonce aucune initiative immédiate pour sortir de la crise. Le sursaut de la classe politique libanaise espéré par le président français d’ici 4 à 6 semaines, semble vraiment très incertain.
Du coup, Macron n’en a-t-il pas trop fait? Fallait-il s’engager comme il l’a fait, puis se risquer à engueuler tout le monde, après l’échec, alors même que les moyens de pression de la France, en particulier sur le Hezbollah, sont très limités? On pourra répondre par une autre question: fallait-il abandonner le peuple libanais à son sort, laisser les partis politiques libanais détourner l’aide internationale à leur profit, tandis que leur pays s’enfonce dans la crise? Laisser venir sans réagir un retour à la guerre civile et les souffrances qui iraient avec pour les libanais? Quels que soient les présidents, la France n’a jamais affiché d’indifférence à l’égard du devenir du Liban. Chaque fois qu’il l’a fallu, la France a tenté de préserver la paix dans le pays. Lorsqu’il a fallu sauver Arafat assiégé dans Beyrouth, ou le président Aoun menacé par les forces syriennes, la France était là. Et Jacques Chirac n’a cessé de se battre pendant son mandat pour le départ des forces syriennes du Liban. Au point que la Syrie de Hafez el Assad reprocha longtemps à la France son “ingérence dans les affaires libanaises”. La France a payé cette attention au prix fort, avec l’attentat du Drakkar.
La France devra peut-être abandonner le Liban à son sort, dans 4 ou 6 semaines, pour le pire… Mais on ne pourra reprocher au Président Macron d’avoir tout essayé pour rester fidèle à cette histoire partagée.
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