Préparer l’après-covid

Bon, d’accord, on n’est pas encore tiré d’affaire. Le vaccin, il arrive, mais il faudra encore quelques mois pour qu’il nous protège tous du virus. Et encore, si ce dernier ne nous sort pas un tour pendable de son cytoplasme, genre mutation imprévue qui remet tous les compteurs immunitaires à zéro. Mais enfin, il faut rester optimiste! Alors essayons déjà d’imaginer l’après-Covid. C’est à dire plutôt, essayons déjà de lister quelques unes des leçons qu’on pourrait déjà en tirer.

Et pour commencer une évidence: cette pandémie ne sera pas la dernière. Notre société moderne hyper-mondialisée vient de vérifier qu’elle est à la merci d’un virus transfuge de chauve-souris, pangolin, ou autre créature du monde animal. Comme on savait déjà que notre planète était menacée par le réchauffement climatique, que l’évolution de nos modes de consommation et de production conduit à une réduction de la biodiversité, certains ont d’ailleurs eu tôt fait de raccrocher le wagon du Covid 19 au train de nos craintes environnementales. Sans que l’on sache vraiment si cette pandémie devait plus à la dégradation de l’environnement que la grippe espagnole de 1918, ou celle de Hong-Kong en 1968-69. Mais avec une certitude: la multiplication des échanges, la croissance exponentielle du trafic international (sur les 40 dernières années, le transport aérien enregistre une croissance de 600 millions de passagers par an à 4,3 milliards), expliquent au moins pour partie la vitesse et l’universalité de la propagation du virus. Pangolin ou pas, régression de la biodiversité ou pas, nous devons nous attendre à l’avenir à de nouvelles pandémies fulgurantes, qui frapperont tous les pays, toutes les populations, avec des différences, selon les cultures, les niveaux d’équipements sanitaires et de développement économique, mais aussi selon les âges.

S’interroger sur la place faite à la jeunesse dans le devenir de nos sociétés malades

C’est un enseignement important de cette crise. Elle a provoqué une rupture générationnelle. Les principales victimes du virus sont les plus âgés et les plus fragiles. Mais les principales victimes des mesures de lutte contre l’épidémie, en particulier dans les pays occidentaux, sont les plus jeunes. Les seuls remparts que l’on ait trouvé à la propagation du mal, se sont traduits par une restriction importante de l’activité économique, et donc plus particulièrement par une dégradation de la situation de ceux qui sont à la recherche d’un accès au marché du travail. Mais aussi par une restriction des libertés de déplacement, de loisirs, d’études, de rencontres, qui là aussi ont beaucoup impacté la jeunesse. Des moyens financiers ont été mobilisés pour compenser autant que faire se pouvait les difficultés induites par les mesures anti-pandémie, mais on ne fera pas l’économie d’un débat sur la place que notre société réserve à la jeunesse dans l’évolution d’un monde dominé par le réchauffement climatique, l’explosion des dettes, et un poids croissant de la vieillesse et de sa dépendance… Un débat indispensable pour tordre le cou au cynisme, voire aux idées eugénistes, que l’on a vu fleurir sur les réseaux sociaux pendant la crise -pas forcément d’ailleurs de la part des plus jeunes- et qui semblaient s’accommoder de l’idée qu’on pourrait laisser mourir les vieux et les malades, bref les plus faibles, pour améliorer les conditions de vie des plus jeunes. Un choix qui aurait précipité la nation dans une abime moral insondable.

A ce point, il faut parler du rôle des réseaux sociaux qui ont servi de caisse de résonance à toutes les polémiques, les plus justifiées comme les plus indignes, nées autour de la pandémie. Ils ont montré dans cette crise à la fois leur richesse et leur immense capacité de nuisance. Richesse, car ils ont permis à tous les points de vue de s’exprimer sans contraintes, à tous les débats, même les plus farfelus et les moins rationnels, d’avoir lieu, et ont fourni accessoirement aux chaines de télévision en continu un réservoir de commentateurs et intervenants sans limite. Ils ont donné un accès à la communication grand public à des scientifiques, ou supposés tels, qui en étaient éloignés. Aucun sujet, aucune hypothèse, même les plus improbables, n’ont été passés sous silence. Mais évidemment tout cela a eu un prix. Le prix de la polémique permanente, de la violence, de la mauvaise foi, des anathèmes et condamnations, de la propagation de fausses nouvelles, et donc au final pour tous le prix de l’anxiété.

Remettre la recherche de la vérité au centre de l’agora

En fait ce n’est pas tant la nature des réseaux sociaux qui pose problème -être un lieu d’expression libre, sans aucun contrôle ni contrainte, sans tabou ni modération, est leur raison d’être et leur principal intérêt- que la place qu’ils ont prise pendant la crise. Ils sont devenus le centre de gravité, l’axe de rotation du débat public. Parce que les intervenants traditionnels de la réflexion politique et sociale, hommes et femmes politiques, intellectuels, philosophes, journalistes, ont tous ou presque choisi de se retrouver sur ce champ clos pour en découdre. Les réseaux sociaux ont été à la fois porte-voix, tribunes, vitrines des uns et des autres, mais aussi, et c’est sans doute le plus inquiétant, sources d’informations et moyens de propagande. De producteurs d’informations bien des journalistes se sont transformés en simples commentateurs de “tweets” ou de messages Facebook. Les plateaux des télévisions en continu, s’en sont nourris, s’y sont informés, y ont mesuré leur audience, en ont fait l’aune de toute vérité, l’étalon de leur crédibilité. La vérification des faits n’ayant plus cours, ou si peu, on a vu circuler et être commentées, souvent par de vrais journalistes, de fausses informations, des jours durant. Même la vérité scientifique est devenue affaire d’audience et donc de buzz (“X% des français pensent que tel médicament est efficace, ou que le masque est inutile, ou que le confinement n’est pas efficace…”)

Et les hommes et femmes politiques n’ont pas été en reste, qui ont exploité à fond durant cette période la capacité infinie de “shoot and run” (tire et pars en courant!) offerte par les réseaux sociaux et les plateaux télé. L’insulte, l’injure, la contre-vérité voire le mensonge, proférés sur internet ou devant une caméra de BFMTV ou CNews, sont instantanément absorbés, répercutés, amplifiés à l’infini par la capacité de résonance de la toile, puis digérés dans le grouillement des propos sans lendemain, et donnent à ceux qui les profèrent la garantie d’un écho immédiat, d’une audience maximale, mais aussi d’un oubli rapide, justifiant toutes les outrances.

Après la crise il faudra bien s’interroger sur la façon de recréer les conditions d’un débat public plus serein et plus productif que celui qui résulte de la simple association réseaux sociaux/chaines de télévision… Comment remettre la question de la recherche de la vérité au milieu de l’agora?

Recréer de la confiance et donc de l’adhésion

Mais on ne sera pas quitte pour autant. Cette crise n’a pas seulement révélé les faiblesses de nos systèmes d’information, de communication… elle a éclairé crûment le désarroi de citoyens qui ont perdu la confiance. Confiance dans la science, on l’a vu avec l’essor des thèses complotistes les plus farfelues. Confiance dans le corps médical, qu’on a vu se déchirer sans fin sur les plateaux, chaque “spécialiste” tentant de tirer la couverture à lui en démontrant qu’il détient la science infuse. Confiance dans la démocratie, quand toute décision du pouvoir politique n’est plus vécue que comme un fait du prince, et est dénoncée inlassablement par tous sur l’air des lampions. Quand tout choix national est condamné par les élus locaux qui “sont les mieux placés pour savoir”, quand les élus locaux en question confondent politique sanitaire et électoralisme. Quand l’alpha et l’omega du journalisme devient le “micro-trottoir”, réceptacle de tous les mécontentements face à l’action publique sanitaire.

Il va falloir recréer du consensus, retrouver de l’adhésion, rendre aux électeurs un peu de confiance et de fierté dans leurs capacités de choix. Chasser le fantasme qu’une partie de la classe politique déçue de ses propres échecs a elle-même a tenté d’instiller, et qui voudrait que nos dirigeants aient été choisis par d’autres que nous-mêmes.

Pour cela il faudra réformer, fortement. Aller au bout de ces changements qu’on promet, qu’on annonce, qu’on entame, et qu’on ne mène jamais à terme: la dé-professionnalisation de la vie politique, et donc la fin du cumul des mandats dans le temps, la mise au rancard d’un système majoritaire écrasant où seuls les gagnants ont leur mot à dire… l’association plus étroite de la société civile à la mise en œuvre de la politique -en évitant sans doute quelques fausses bonnes idées du genre tirage au sort des représentants du peuple et autres référendums d’initiative citoyenne.

Mais au delà de la confiance dans leur système politique, il faudra rendre aux Français confiance en eux. On a vu tout au long de cette crise la propension française à croire que tout est toujours mieux ailleurs, qu’on vaccine mieux en Israël ou Grande-Bretagne, qu’on protège mieux en Chine, qu’on fait mieux la fête à Madrid, que notre industrie pharmaceutique est nulle, que nos hôpitaux sont sinistrés…

Des projets pour construire à nouveau l’avenir, “quoi qu’il en coûte!

Restaurer un peu de fierté nationale ne sera pas le plus simple. Car à côté d’une frustration chronique typiquement française, d’une propension déraisonnable à la critique systématique et à l’auto-flagellation nationale -accompagnée toutefois, il faut le reconnaître d’un zeste d’arrogance tout aussi français- la crise a mis en évidence des lacunes importantes de notre modèle économique et social. Et d’abord sur ce que nous imaginions être notre point fort: notre système de santé. 125 ans après le décès de Pasteur, l’incapacité de la France à fournir au monde un vaccin efficace contre le Covid est évidemment un drame national. On aura beau s’en consoler en se disant que les enjeux scientifiques sont maintenant à l’échelle européenne et que Allemands ou Anglais ont relevé le gant… le coup est rude. Et doit conduire à sonner le tocsin. La recherche française est à la traîne, et l’Europe ne peut servir plus longtemps de paravent à cette faiblesse. Les politiques publiques menées depuis plusieurs décennies, sont très loin d’avoir renforcé notre potentiel d’innovation scientifique, et donc de construction de l’avenir. Il faut revenir à l’essentiel.

On ne peut à la fois laisser partir pour cause de non-rentabilité les industries traditionnelles de notre territoire au fil des délocalisations, et limiter nos investissements dans les domaines d’excellence. Certes il est trop tard pour disputer à la Chine la suprématie industrielle, mais il est urgent de conserver ou reprendre le leadership dans les technologies les plus avancées. Pour cela il faut lancer, avec nos partenaires européens, un véritable plan de développement scientifique et technologique. Dans le domaine médical, bien sûr, pour être mieux préparés à la prochaine crise sanitaire, mais aussi dans le domaine environnemental, pour répondre aux défis du changement climatique, dans les transports, les télécommunications, mais aussi l’énergie. Qu’avons nous inventé depuis le nucléaire, le TGV et Airbus? Nos laboratoires de recherche, qu’ils soient publics ou privés, doivent redevenir les creusets du monde de demain. L’Union européenne nous offre la taille critique pour peser sur le devenir de la planète, saisissons cette chance! Le plan de relance européen post-covid devra être d’abord scientifique et technologique. Relocaliser les industries d’hier, à l’exception de celles qui sont stratégiques, la pharmacie par exemple, ne peut pas être une finalité. L’enjeu, c’est de localiser chez nous, en Europe, les activités de demain, les projets qui permettront à la planète de ne pas rater le rendez-vous du siècle prochain, et comme on dit en ces temps de dette, il faudra le faire “quoi qu’il en coûte”!

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