Tambouille politicienne ou dépassement de clivages politiques périmés? Piège tendu à la droite ou Front Républicain? Il y a évidemment de tout cela dans le choix fait par le Premier Ministre, et donc Emmanuel Macron, de retirer la liste LREM aux élections régionales en PACA pour soutenir le président LR de région sortant, Renaud Muselier.
C’est d’abord un coup politique destructeur! Au lendemain de l’annonce, les Républicains se trouvent divisés comme jamais. Contraints bien sûr de retirer l’investiture de leur parti à la majorité sortante de la région, ce qu’à fait Christian Jacob, président des Républicains dès dimanche soir, et donc de perdre une des six régions qu’ils dirigent (en comptant la région Ile de France présidée par la “dissidente” Valérie Pécresse). Obligés d’envisager, comme le fait Eric Ciotti -qui cache de moins en moins sa proximité avec le RN de Marine Le Pen- l’exclusion du “traitre”. Mais un “traitre” qui n’est pas tout seul. Avec lui, toute son équipe, qui gère la région PACA, et les maires de Toulon et Nice. Mais aussi le maire LR de Toulouse Jean-Luc Moudenc qui soutient l’initiative du président de PACA… Ça risque de faire beaucoup de monde à virer! Mais l’application de la discipline n’est pas le seul problème auquel va être confronté le parti de Christian Jacob et Eric Ciotti. Dans l’immédiat, le problème qui va se poser est celui de la présence au scrutin. C’est assez simple d’excommunier la liste sortante, mais cela pose la question de la constitution d’une nouvelle liste LR. Les Républicains parviendront-ils avant le 20 juin, date du premier tour, à constituer une liste alternative? Pas sûr, d’autant que les candidats pour partir à l’assaut de la forteresse Muselier ne se bousculent pas. Eric Ciotti a autre chose à faire, et David Lisnard, qui était pressenti, se trouve très bien dans sa ville de Cannes, en attendant éventuellement la présidentielle. Parce qu’évidemment, affronter d’une part la majorité sortante, soutenue par LREM, d’autre part le FN, c’est le casse-pipe assuré.
Une alliance en bonne et due forme
A un an de la présidentielle, Emmanuel Macron a donc choisi d’ébranler les plaques tectoniques de la politique française. Face à un risque de rapprochement tendanciel entre la droite et l’extrême-droite, incarné entre autres par Eric Ciotti, qui affirmait la semaine dernière “ce qui nous sépare du Rassemblement National, c’est la capacité de gouverner”, le parti du président précipite une clarification à droite. Alors qu’en région Bourgogne-Franche-Comté, la liste de droite a annoncé son alliance avec Debout La France, le parti de Nicolas Dupont Aignan, ex-allié de Marine Le Pen, sans susciter de réaction de l’état-major de LR, l’initiative de Renaud Muselier va contraindre les ténors des Républicains et leurs alliés du centre à se prononcer plus clairement sur leurs relations avec l’extrême-droite. Déchirements, voire explosion prévisibles, et affaiblissement certain de la droite dans la perspective des échéances nationales de l’an prochain.
Au delà de la “cuisine” visant à affaiblir l’opposition de droite pour préparer l’élection présidentielle, la question de principe posée est celle du Front Républicain. C’est au nom de la lutte contre l’extrême-droite que LREM justifie son coup de Trafalgar. Le parti présidentiel pointe le risque, réel, de voir le RN l’emporter en PACA et s’étonne de voir les LR et Xavier Bertrand dénoncer un Front Républicain qu’ils ont accepté en 2015 lorsque le PS avait retiré ses listes pour permettre leur victoire.
Mais les choses sont un peu plus subtiles. Le Front Républicain, tel qu’il se pratique habituellement, consiste pour un candidat ou une liste à se retirer entre deux tours -alors qu’il ou elle peut se maintenir- pour empêcher une victoire du parti de Marine Le Pen en favorisant un concurrent plus républicain. Cela n’implique pas une adhésion à une autre politique que la sienne. C’est ce qui s’était passé en 2015 au profit de Xavier Bertrand dans le Nord et Christian Estrosi alors tête de liste en PACA. Ici, on est dans un autre cas de figure. Il s’agit d’une véritable alliance de premier tour qui conduira la République en Marche à cogérer la région aux côtés de Renaud Muselier. C’est donc bien une recomposition du paysage politique, plus qu’un simple réflexe républicain. Après quatre ans de mandat présidentiel marqués par le conflit permanent entre LR et parti présidentiel, la brèche parait immense. On comprend évidemment la colère des dirigeants LR pour qui c’est un véritable coup au cœur de l’identité même de leur parti. Indépendamment des questions de proximité idéologique ou pas, l’alliance en PACA est beaucoup plus déstabilisante pour LR qu’un accord local avec le parti de Nicolas Dupont Aignan.
Un Rubicon pour les électeurs de Macron?
Est-ce que cette alliance surprise sera gagnante pour les intéressés? Ce n’est pas certain. Le pari recèle une part de risque pour les deux partenaires. Pour Renaud Muselier d’abord qui risque de voir une partie de son électorat, troublée par ce ralliement du parti présidentiel, basculer vers le Rassemblement National, sans que les voix apportées par LREM suffisent à compenser. Les sondages placent actuellement le RN en tête au premier tour avec 30 à 33% des voix. Evidemment l’apparition d’une liste concurrente LR compliquerait encore les choses pour le président de région sortant et favoriserait sans doute une victoire de Thierry Mariani, lui-même transfuge des Républicains et tête de liste du Rassemblement National. Pour le parti d’Emmanuel Macron, le risque de l’incompréhension est tout aussi réel. Avec ce ralliement à une liste de droite, les électeurs auront peut-être le sentiment qu’un Rubicon vient d’être franchi. Le “ni de droite ni de gauche”, prend des allures de: à droite toutes! A moins que le président n’arrive très très vite à recrédibiliser son “en même temps”, en donnant des gages à son électorat de gauche, il pourrait perdre plus que gagner dans l’affaire, et renforcer les préventions de ceux qui le soutiennent encore mais craignent de le voir chercher sa réélection auprès de l’électorat de droite. L’équilibre de sa stratégie de recomposition politique est extrêmement instable. Il va lui falloir beaucoup de subtilité pour convaincre son public de gauche que le ralliement à Renaud Muselier n’est pas un renoncement. D’autant que le président de PACA, grand soutien de Didier Raoult et de sa poudre de perlimpinpin n’a pas ménagé le président et le gouvernement durant la crise sanitaire.
Au delà du résultat des élections régionales en PACA, et du risque de voir une région française passer sous le contrôle du Rassemblement national, c’est donc déjà la présidentielle qui se joue. Pour chercher à être réélu, le président sortant tentera certes de s’appuyer sur son bilan, de profiter d’une éventuelle sortie réussie de la crise sanitaire, mais devra aussi crédibiliser cette voie médiane de la recomposition politique qu’il propose aux Français pour l’avenir, mais qui reste bien théorique pour l’instant. Entre conséquences de la crise sanitaire et climat politique détestable, le chemin ressemble à une corde raide qui lui demandera de confirmer son talent de funambule.