La gauche KO?

Où est passée la gauche? A six mois de l’élection présidentielle, alors que les sondages d’intentions de vote deviennent quotidiens et font l’actualité politique, faute de débats de fond, une réalité s’impose: quels que soient les instituts, quel que soit le candidat retenu pour la droite, qu’il y ait Zemmour ou pas, les prédictions ne sont pas bonnes pour les partis de gauche. Le PS plus la France Insoumise plus les écologistes plus Arnaud Montebourg plus le candidat du PCF plafonnent à 27% des intentions de vote et surtout aucun des candidats connus ne semble à même d’accéder au second tour. Ce n’est pas totalement une surprise. On retrouve le total gauche du premier tour de la présidentielle 2017 (26%), et si l’on compare les sondages d’aujourd’hui à ceux de l’automne 2016, 5 mois avant l’élection d’Emmanuel Macron, le pronostic actuel des instituts concernant la gauche est même supérieur au total à ce qu’il était à l’époque.

Bien sûr il y a eu des périodes plus glorieuses. 2012, avec 42% des voix à gauche au premier tour, et la victoire de Hollande au second. En 2007 en revanche la gauche dépassait à peine les 30% au premier tour. Tandis qu’en 2002 la multiplicité des candidatures de gauche, qui lui avait interdit une présence au second tour, lui avait en revanche permis de rassembler un tiers de l’électorat au premier tour. Au final, on peut donc considérer que les 27% affichés aujourd’hui dans les sondages tout en étant mauvais ne sont pas si catastrophiques. Le problème est qu’ils ne permettent pas pour l’heure d’envisager la présence d’un candidat de gauche au second tour.

La présence supposée de 5 candidats de gauche, Hidalgo, Montebourg, Jadot, Mélenchon, Roussel, si elle ne favorise évidemment pas une accession de la gauche au second tour, devrait pourtant permettre de “ratisser large”. La personnalité des candidats serait-elle en cause? On peut toujours le penser, mais Jean-Luc Mélenchon par exemple, n’en est pas à sa première campagne, et pourtant reste, du moins dans les sondages, à peine à la moitié de son score de 2017 (environ 9% contre 19,6%), tandis qu’Anne Hidalgo est créditée d’un score inférieur au catastrophique 6,5% de Benoit Hamon en 2017. Si la vision instantanée des sondeurs, qui peut évoluer très vite on le sait, est défavorable à la gauche aujourd’hui c’est sans doute, au delà des causes structurelles – en particulier le déplacement d’une partie de l’électorat ouvrier de la gauche vers l’extrême droite – le résultat d’une impasse stratégique dans laquelle s’est retrouvée la gauche depuis 2017. La victoire du “ni droite ni gauche” de Macron, obligeait les deux partis qui avaient exercé le pouvoir en alternance depuis le début de la Cinquième République, à se refonder, à tout réinventer: un programme, une stratégie, bref un nouveau dessein. Or les uns comme les autres s’en sont montrés jusqu’ici incapables. Tandis que la Droite se consumait entre tentation du populisme extrémiste et ralliement au pouvoir, la Gauche semblait tétanisée, incapable de dépasser le coup terrible que ce nouveau président, venu de ses rangs, et rallié par une partie de ses électeurs, lui avait infligé.

De fait, depuis bientôt cinq ans l’ensemble de la gauche a semblé fonctionner sur un même logiciel, simple, on pourrait dire sommaire: la critique systématique de toute action gouvernementale, la mise en accusation véhémente et permanente d’un président de la République considéré comme un usurpateur pour avoir bouleversé ce qui semblait l’ordre immuable de la vie politique: l’alternance droite-gauche. Dans une période difficile pour le pays -lutte contre le terrorisme, multiplication des manifestations de colère de ceux qui s’estiment laissés pour compte, pandémie- le logiciel en question est apparu extrêmement décalé. La cruelle absence de discours constructifs, de propositions de progrès, d’élaboration de politiques alternatives, l’apparente absence de prise en compte des enjeux nationaux au profit de polémiques politiciennes, ont sans doute interdit à la gauche de sortir plus vite de l’ornière dans laquelle Macron l’avait plongée. Bien sûr l’opposition de gauche, n’est, pas plus que la droite, seule responsable de l’extrême polarisation de la vie politique et de cette impossibilité du dialogue politique qui semble typiquement française. Le pouvoir n’a rien fait non plus de son côté, ou si peu, pour tenter de créer les conditions d’un dialogue politique constructif avec l’opposition.

Il reste que pour la gauche le bilan de ces cinq années est douloureux. Le Parti socialiste n’est pas parvenu à faire émerger une candidature présidentielle crédible, capable de rassembler seulement le Parti socialiste lui-même. Et sur ce plan la présence de Martine Aubry ou de Bernard Cazeneuve aux côtés d’Anne Hidalgo à Lille pour l’entrée en campagne de cette dernière ne suffira pas à donner le change, quand François Hollande lui-même qualifie sa candidature de “Lilliputienne”. Le Parti socialiste n’est pas parvenu non plus à se réinventer un dessein, une ambition, un programme pour nourrir sa volonté de reconquête. Focalisé sur sa guerre de tranchée anti-Macron, il a oublié que son électorat s’est toujours nourri d’ambitions, de projets, plus que de polémiques incessantes. Depuis qu’elle a annoncé sa candidature, Anne Hidalgo n’est pas parvenue à formuler un projet clair pour le pays, et elle le paye pour l’instant dans les sondages.

Un temps on a cru, comme l’avait annoncé un peu vite son premier secrétaire Olivier Faure, que le PS allait chercher son second souffle en prenant la roue des écologistes. La prise de conscience universelle, au moins théorique, des enjeux écologiques, semblait en effet ouvrir une voie royale au parti de Yannick Jadot au lendemain de l’accord de Paris sur le climat. Beaucoup pensaient même l’heure venue pour une accession des Verts au pouvoir. Mais ils ont manifestement raté le coche. Convaincus d’être aux portes du palais, les écologistes d’EELV ont cherché à ratisser le plus large possible en accueillant et valorisant toutes les manifestations de colère, toutes les frustrations, les rancœurs, toutes les démarches de rupture. Mouvement politique de gauche de gouvernement focalisé sur les enjeux environnementaux, EELV s’est transformé en plateforme de toutes les révoltes, de tous les extrémismes, perdant ainsi un peu de sa crédibilité politique. Racialistes, féministes extrémistes, déboulonneurs de statues, bio-intégristes, anti-nucléaires dogmatiques, ont fini par troubler l’image du parti écologiste et de fait l’ont éloigné d’une logique de gouvernement au moment où tout semblait possible. Certes Yannick Jadot qui semblait plutôt défenseur d’une écologie de compromis et donc de gouvernement, l’a emporté, de justesse, à la primaire des Verts face aux adeptes d’une écologie de rupture totale avec le capitalisme. Mais son positionnement est durablement brouillé, et c’est ce que traduisent les sondages qui le créditent d’un résultat inférieur à 10%.

Alors bien sûr, si l’on totalise les intentions de vote on en vient à se dire qu’une gauche unie pourrait ambitionner une présence au second tour. Mais comment arriver à une candidature unique de la gauche alors qu’aucune de ses composantes, à l’exception de la France Insoumise de Mélenchon qui reste droit dans ses bottes et son programme anti-riches, n’a fait le travail de clarification de son projet et de ses ambitions pour la France. On ne voit pas qui pourrait prendre aujourd’hui la tête d’un rassemblement de la gauche autour de ce qui pourrait ressembler à un programme commun de gouvernement. Chacun semble d’ores et déjà voué à compter ses miettes électorales au printemps prochain. En attendant, le choix semble être de continuer à tirer à boulets rouges sur Macron et son gouvernement, pour tenter de récupérer les électeurs de gauche qui l’ont rejoint, et éviter « un troisième quinquennat de Nicolas Sarkozy… » selon le bon mot de Bernard Cazeneuve à Lille. Un peu léger comme stratégie de reconquête!

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