La politique de l’emmerdement maximum

Mais quel début de campagne pathétique! A peine sortis d’une polémique de début d’année sur la présence du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe, on enchaîne! A l’assemblée, les députés des oppositions organisent des jeux de coulisses et rideaux pour finalement se retrouver majoritaires dans l’hémicycle le temps de voter par surprise un arrêt de travail à minuit. Et se réjouissent d’avoir ainsi battu à plates coutures le gouvernement, qui devra attendre pour mettre en œuvre son dernier train de mesures anti-covid. A l’Elysée, c’est le Président de la République qui verse sa burette d’huile sur le feu en promettant dans une interview au Parisien «d’emmerder les non-vaccinés… jusqu’au bout». Il n’y avait pas besoin de ça pour rendre les “antivax” hystériques. Dans les deux cas les premiers bénéficiaires sont les animateurs de tribunes de foire télévisuelle qui y trouvent de quoi alimenter leurs comptoirs de bistrot de longues heures durant, et les chroniqueurs professionnels qui peuvent étaler leurs certitudes contradictoires, ou pas, devant des journalistes complaisants qui pensent ainsi ajouter du buzz au buzz et ainsi améliorer la notoriété publicitaire de leurs émissions.

Quelle décrédibilisation du politique! D’un côté des députés, LR, qui multiplient les amendements, et les manœuvres de diversion, pour ralentir l’adoption d’un texte sur le pass vaccinal, avec lequel ils ont déjà annoncé qu’ils étaient… d’accord, mais qui se réjouissent du bon tour joué au gouvernement, qui ne sera peut-être pas en mesure de mettre en œuvre le dit pass vaccinal qu’ils approuvent dans les délais prévus. Comprenne qui pourra. De l’autre un président qui, après avoir reconnu de façon touchante en fin d’année précédente qu’il devait faire plus attention à ne pas employer des mots qui blessent, à ne pas diviser les Français, communique aux premiers jours de janvier sur son “envie d’emmerder” les non-vaccinés. Et les électeurs sont priés de suivre, et de s’intéresser…

Ne nous trompons pas, dans les deux cas les polémiques stupides dissimulent une vraie question. La transformation du passeport sanitaire en passeport vaccinal, qui devrait interdire un certain nombre d’activités sociales conviviales et ludiques aux non-vaccinés, revient à les “emmerder” au maximum. Tout le monde l’avait compris. L’objectif est, en les pénalisant le plus possible dans leur vie quotidienne, de pousser les derniers récalcitrants vers la vaccination, indispensable pour parvenir à enrayer enfin la pandémie. D’autant que maintenant qu’une immense majorité de français est vaccinée (90%), lorsque les services de réanimation sont encombrés obligeant les hôpitaux à reporter des soins non urgents pour les malades du cancer, par exemple, c’est aux non vaccinés -qui occupent 90% des lits de réanimation à Toulouse par exemple, selon le quotidien Le monde- qu’ils le doivent.

Dans ces conditions, n’aurait-il pas été plus simple et plus clair d’imposer à tous la vaccination? La question posée ici est évidemment celle de la mise en œuvre de la mesure. Rendre la vaccination obligatoire suppose de faire appliquer l’obligation. Comment le faire? Difficile d’imaginer une mesure coercitive qui ne viole pas le secret médical, ni ne mobilise des milliers de fonctionnaires. Pour les vaccinations obligatoires des enfants, le seul moyen de contrôle dont on dispose, c’est le certificat de vaccination obligatoire pour s’inscrire à l’école. Donc, le pass vaccinal. C’est le modèle retenu avec le nouveau projet de loi. Gêner chaque non vacciné dans chacun de ses gestes quotidiens pour qu’il finisse par choisir la vaccination, gratuite, comme l’écrasante majorité de ses concitoyens. C’est effectivement la tactique de l’emmerdement maximum, et probablement la seule tactique disponible.

Dans la mesure où toutes les forces politiques disent reconnaître la nécessité de la vaccination, on aurait pu rêver d’un consensus politique autour de cette démarche de contrainte progressive. Mais on en est bien loin. Même à l’intérieur de certains partis, chez les Républicains pour les citer, il n’y a pas de véritable consensus. Si Valérie Pécresse est favorable au pass vaccinal, une partie des responsables de son parti seraient plutôt contre. D’où le happening ridicule au parlement, où les plus malins des députés, profitent de l’inattention ou de la lassitude des élus de la majorité, pour faire voter le retour au lit à minuit. D’où peut-être aussi la tentative du Président d’enfoncer un coin dans la faille qui traverse l’opposition sur la question sanitaire en durcissant le discours à l’égard des non-vaccinés. Pour le coup les choses sont claires. La stratégie sous-tendant le pass vaccinal est assumée: “emmerder” les non vaccinés jusqu’à ce qu’ils changent d’avis.

Qui tirera profit de ces polémiques sanitaires? L’actuel président et futur candidat? Pas sûr, hier l’ensemble des commentateurs, journalistes et chroniqueurs, et des hommes politiques d’oppositions, lui tiraient dessus à boulets rouges sur un thème unique: un président ça ne parle pas comme ça! L’opposition qui tient là un bon angle d’attaque contre lui? Pas sûr non plus, les électeurs doivent être las des polémiques à répétition sur l’emploi d’un mot, ou d’une formule malheureuse, et le débat sur le pass vaccinal n’est pas forcément de nature à souder les partis d’opposition, mais plutôt à accentuer leurs contradictions. Les pseudo-scientifiques, anti-tout, politiques extrémistes, et boutefeux en tout genre qui nourrissent de leurs avis bidons et conseils dangereux le rejet de la vaccination? Sans doute. Après cet aveu du Président ils vont pouvoir remettre une pièce dans la machine à désinformer, en dénonçant l’ostracisme dont sont victimes les non-vaccinés, preuve s’il en fallait du “complot” sanitaire ourdi par les puissants contre les plus faibles… que le vaccin est supposé assassiner.

Bref, il n’est pas sûr que l’épisode soit gagnant pour grand monde. On peut plutôt craindre une victoire du vide. Du rejet de la politique qui n’avait pas besoin de ces polémiques pour prospérer, des discours extrémistes qui trouveront ici encore du grain à moudre, et in fine de l’abstention dans trois mois quand il s’agira de démêler l’écheveau des polémiques stériles et disputes sans enjeux, pour choisir un président capable de tenir un cap dans ce monde en crises multiples.

1 réflexion sur « La politique de l’emmerdement maximum »

  1. Merci encore, Michel, pour tes commentaires sur notre vie en société.
    Je pense, comme toi, que ce qui se passe en ce moment est mauvais. Ce n’est pas ce qui va “remotiver” nos concitoyens pour s’intéresser à nouveau à la politique.
    Depuis que la vaccination a été possible, j’ai toujours regretté un manque évident
    de pédagogie des services publics sur ce sujet crucial ces derniers mois.
    Expliquer ce qu’est un vaccin, ce qu’est un vaccin à ARN messager, connaître tous les autres vaccins anti-Covid, découvrir l’avantage de se faire vacciner pour soi mais, aussi, surtout même, pour la collectivité, pour la solidarité envers tous les malades.
    Après cette période pédagogique, qui aurait pu durer un trimestre par exemple,
    la vaccination aurait dû être rendue obligatoire. Ce choix tarde trop, hélas.
    Faire de la politique, j’en ai la conviction, est de prendre des décisions claires en montrant une direction très précise du but à atteindre.
    Hier, 60 000 premières vaccinations ont été réalisées. Est-ce un espoir ?

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