Afrique: le drapeau tricolore brûle

Comment en est-on arrivé là? Qu’il parait loin ce 19 septembre 2013, jour d’investiture du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (dit IBK), où François Hollande se faisait acclamer par le peuple malien rassemblé dans le stade de Bamako! “Nous avons gagné cette guerre!” s’exclamait le président français. Depuis, 51 soldats français sont morts au Mali ou au Sahel. Depuis, deux coups d’Etat successifs ont conduit le colonel malien Assimi Goïta au pouvoir. Et les militaires entendent bien y rester. Au moins jusqu’en décembre 2026. Et dans les rues de Bamako on brandit des drapeaux russes tandis qu’on brûle les drapeaux français.

L’ancienne puissance coloniale, qu’on acclamait lorsqu’elle arrêtait la progression des islamistes qui menaçaient Bamako, est devenue indésirable. L’ambassadeur de France est expulsé de Bamako. Les mercenaires russes de la force Wagner, pilotés par l’entourage de Vladimir Poutine prennent pied dans le pays. Quel échec! Echec de la France bien sûr, qui n’est pas parvenue à éradiquer le terrorisme de la région, et endosse à tort ou à raison aux yeux des maliens la responsabilité de la corruption et du népotisme que l’on reprochait au président IBK destitué par les militaires dans la liesse populaire. Mais aussi échec des autres pays européens qui ont refusé de voir que ce qui se joue dans le Sahel depuis 2010 c’est aussi la sécurité en Europe. Echec encore de la Cedeao, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. En 18 mois l’Afrique de l’Ouest qui subit, en première ligne, la terreur islamiste, a connu 4 putschs militaires. 2 au Mali, un en Guinée, et tout récemment un au Burkina-Fasso. Tant au Mali qu’au Burkina-Faso, c’est l’impuissance des états, et de leurs alliés, face au terrorisme, qui a servi de prétexte aux militaires pour prendre le pouvoir. La Cedeao malgré des sanctions économiques massives à l’égard du Mali, plus légères pour le Burkina, ne parvient pas à imposer un retour rapide à l’ordre civil et démocratique. Sans doute d’abord parce qu’elle a trop souvent toléré les exactions anti-démocratiques de certains de ses membres.

Dispersion des djihadistes

Les premiers bénéficiaires de cette situation sont évidemment les djihadistes. Ils ont réussi à déstabiliser le Mali et le Burkina Faso, et accentuent leur menace sur le Niger, le Togo, le Bénin ou la Côte d’Ivoire. La présence de forces internationales principalement françaises mais aussi depuis peu européennes à travers la force Takuba à laquelle le Danemark, l’Estonie, la Suède et la République tchèque ont accepté de participer militairement aux côtés de la France, a poussé les mouvements terroristes rattachés à Al Qaeda ou Etat Islamique à se disperser sur la grande région. Leur objectif est clair: déstabiliser l’ensemble des pays du Sahel et du Golfe de Guinée.

Autres bénéficiaires de l’échec de l’ex-puissance coloniale, ceux qui voudraient bien prendre la place laissée, presque, libre. La Chine et la Russie. La première y voit un moyen d’accélérer son déploiement économique sur le continent africain, tandis que Vladimir Poutine y voit l’opportunité d’accroitre la sphère d’influence de la Russie, tout en profitant des richesses locales, en particulier minières. Ces deux pays ne cachent pas leurs intentions et viennent en choeur d’opposer leur véto à une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, présentée par la France, et soutenant la CEDEAO dans ses sanctions contre les putschistes Maliens. Et même si Poutine se dit non-concerné, l’arrivée des mercenaires de Wagner au Mali, pilotés financièrement par un de ses proches, Evguéni Prigojine, ne laisse rien augurer de bon, si l’on se réfère à leurs agissements en Syrie ou en Centrafrique, où sous couvert de formation militaire, ils se seraient livrés à de nombreuses exactions, tortures et pillages dénoncés par les ONG.

Alors que faire? Un retrait français du Mali paraît inévitable, aussi longtemps du moins que les colonels conserveront le pouvoir à Bamako. Il reste à éviter que ce retrait ne se traduise par une victoire et un renforcement des djihadistes sahéliens, et donc une aggravation de la terreur dans cette région et sur le continent européen. La menace est sérieuse. Au delà de la déstabilisation de la présence française dans la région, il est peu probable que Vladimir Poutine ait envie de s’embourber dans une guerre à l’issue incertaine contre des groupes islamistes qui savent parfaitement se fondre dans le désert. Et l’on n’imagine pas que les mercenaires de Wagner soient, seuls, en mesure de désarmer les djihadistes. Ni l’ONU, ni l’Europe, ne semblent susceptibles de prendre le relais de la France. Quant aux armées de la région, elles souffrent d’un discrédit auprès des populations locales, héritage, entre autres, de leur guerre contre les touaregs depuis toujours victimes d’ostracisme au Mali, et des nombreuses exactions qui ont valu à l’armée malienne d’être accusée de crime de guerre par une commission de l’ONU.

L’héritage de la Françafrique

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir plus loin en arrière. A cette époque où Mouammar Kadhafi, débarquait au Mali, en 2009, pour promettre au peuple malien d’assurer sa protection dans le nord du pays, et donc de désarmer les rebelles. Le leader libyen contrôlait alors les mouvements touaregs -et les trafics en tout genre auxquels la région est propice- et faisait la police dans le Sahel. Jusqu’à sa chute! Dès 2012 les touaregs repartaient à l’assaut du Nord-Mali, en lien avec les djihadistes, en profitant des armes fournies généreusement par Kadhafi pour tenter d’enrayer sa chute. La suite, c’est l’installation des djihadistes à Tombouctou, l’imposition de la loi islamique dans la région, et leur marche sur Bamako, stoppée in extremis par l’armée française.

Depuis, l’opération Barkhane, qui devait permettre de débarrasser le Sahel des djihadistes patine. Et suscite de plus en plus l’animosité des populations. Incapables de stopper la progression des terroristes islamistes les soldats français finissent par en être rendus coupables, et chaque attentat faisant des victimes civiles vient nourrir le sentiment anti-français. Au point que les convois militaires de Barkhane ont fait l’objet de véritables attaques par des manifestants en colère au Burkina Faso ou au Mali. Voir aujourd’hui des civils bruler les drapeaux français est d’abord l’expression d’une frustration terrible des populations devant la menace permanente des terroristes islamistes. C’est sur cette frustration que surfent les militaires maliens ou burkinabés qui crient haro sur l’ancienne puissance coloniale.

C’est évidemment la rançon de la Françafrique. A trop avoir voulu pendant des décennies continuer à régner sur ses anciennes colonies, au profit de ses entreprises nationales, à avoir cru qu’elle pouvait toujours y dicter le bien et le mal, soutenant sans vergogne les pires dictateurs, couvrant leurs exactions, voire y participant, la France s’est souvent comportée en puissance occupante et a provoqué une accumulation des rancœurs. C’est d’abord par volonté de se détourner de la France que les Maliens se tournent vers la Russie, pas par passion pour l’expansionnisme poutinien. Paris doit payer pour l’ensemble de son œuvre.

Hollande, puis Macron, ont cru pouvoir rompre avec la Françafrique, ou du moins promettre de le faire. Permettre à la France de devenir un partenaire loyal, respectueux de ses anciennes colonies, faire oublier le temps des barbouzeries. Mais dans le même temps ont laissé libre cours aux prédateurs du capitalisme français. Vincent Bolloré par exemple, qui cherche maintenant à céder l’empire portuaire et logistique africain qui a assuré la prospérité de son groupe et s’étend sur une quarantaine de pays du continent, après avoir été mis en cause pour corruption, non respect des droits humains et environnementaux, ou encore spoliation de terres… Aujourd’hui le retour de manivelle risque d’être douloureux. Après le Mali et le Burkina-Faso, on peut craindre que la vague de rejet ne gagne d’autres pays d’Afrique francophone.

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