On entre dans la dernière ligne droite. Dans 17 jours on sera fixé, du moins en ce qui concerne ce premier tour, dont tous les candidats semblent se rendre compte, à l’approche de l’échéance qu’il est le premier enjeu. Il n’y aura qu’une ou un élu. Qui, selon toute vraisemblance, devrait ensuite affronter Emmanuel Macron en finale.
Si l’on en croit les sondages, quotidiens, les choses se décantent. Sans pourvoir en déduire le résultat final, on voit déjà se préciser les positions dans chaque grande famille électorale.
Le meilleur agent de Marine Le Pen
C’est la famille d’extrême-droite qui animait la campagne depuis le début, avec son duel entre l’inébranlable Marine Le Pen -identique à elle-même d’une échéance à l’autre, c’est à dire porteuse du même discours de rejet de l’autre et de détestation pour tout ce qui n’est pas conforme à l’idée qu’elle se fait de l’identité française- et le nouveau venu lancé dans l’arène politique sur les chapeaux de roues, Eric Zemmour, venu lui contester son leadership de la haine. Le combat fut rude. Zemmour faisant feu de tous les bois les plus vermoulus de l’extrême-droite Française, pour tenter de rassembler derrière son panache crade le maximum de frustrés, d’aigris, d’anxieux, pour essayer de fédérer les divers sentiments de déclassement, de dépossession, les angoisses d’un futur différent de la veille, les peurs de l’autre… Et tout y est passé, depuis la tentative de réhabilitation de Pétain jusqu’à la création d’un ministère de la “remigration”, c’est à dire de la déportation, tout cela généreusement arrosé de racisme, d’homophobie, de misogynie…
Etait-ce trop? Les instituts de sondage semblent le montrer. Car les intentions de vote à son égard après l’avoir mis un temps à égalité avec sa rivale n’ont cessé de décliner, jusqu’à le créditer d’un résultat de moitié inférieur à celui de Marine Le Pen. Un 20 à 10 apparement sans appel.
Mais n’était-ce pas plutôt la dose qu’il fallait? Pour remettre en selle une Marine le Pen passablement démonétisée depuis son échec de 2017? De fait, l’héritière de la tradition familiale ne s’y est pas trompée, qui a laissé Eric Zemmour faire son show, soutenu par les médias de tous bords, qui avaient avec lui un bon client à vendre pour renforcer l’audimat, se contentant, même lorsqu’elle fut trahie par sa propre nièce qui rejoignait le rival, de prendre de la distance et de poursuivre sa démarche de dédiabolisation en la jouant débonnaire et bienveillante face aux excès du chroniqueur, qui auront plus fait pour la crédibiliser et normaliser le vote Front National, que toutes les déclaration pas toujours très crédibles de la candidate. Si les résultats du vote du 10 avril sont conformes à ce que prétendent aujourd’hui les instituts de sondages, on pourra dire que clairement, c’est Zemmour qui a fait la campagne de Marine le Pen.
La course de haies
Elle était arrivée en tête de la première ligne droite, à droite, avalant les haies les unes après les autres: retour dans la famille politique qu’elle avait pourtant quittée quelques années plus tôt en estimant qu’on ne pouvait plus rien en attendre, désignation par les adhérents du parti aux dépends du favori Xavier Bertrand, rassemblement autour de sa candidature de la plupart des barons LR, à l’exception notable de Nicolas Sarkozy. C’est ensuite qu’elle a mal calculé son élan. Dès le début de sa campagne, elle a visé une haie trop loin. Toute à sa volonté de convaincre les électeurs qu’elle ferait une bonne présidente, elle a mené une campagne de second tour, ciblant uniquement, jusqu’à la caricature, le président sortant Emmanuel Macron. C’était un combat personnel entre lui et elle, “la seule à pouvoir le battre”. Les autres candidats n’existaient pas, et donc le premier tour du 10 avril n’était pas un sujet. Seul comptait son affrontement avec Emmanuel Macron qui refusait obstinément de débattre avec elle avant le premier tour et donc, rageait-elle, ne jouait pas le jeu de la démocratie! L’apothéose étant atteinte, après la divulgation du programme d’Emmanuel Macron, dont elle estima aussitôt qu’il avait purement et simplement copié le sien. La méthode Coué a parfois du bon. Mais en politique, il convient aussi de temps en temps de se confronter au réel. On a vu sa position s’effriter dans les sondages, au fil des erreurs de communications dont on peut se demander si son entourage ne l’encouragea pas à les enfiler comme autant de perles de son chemin de croix, jusqu’à passer pour certains instituts sous la barre des deux chiffres, reléguant sa candidature au niveau de celle de Zemmour, loin de la tête du peloton. D’ores et déjà, il semble bien que plus grand monde chez les LR ne croit à sa présence au second tour.
A gauche, le retour des dinosaures
A gauche, le mot à la mode est “utile”. Quel est le vote utile au premier tour quand on est de gauche? Se jugeant seule légitime, la candidate du Parti socialiste, Anne Hidalgo, a tenté de convaincre. Mais au fil des jours de campagne elle a vu son capital confiance, du moins dans les sondages (rappelons qu’ils ne représentent pas une estimation de résultat final, mais simplement un état de l’opinion) s’effriter irrémédiablement. Jusqu’à conduire le Parti socialiste à un étiage jamais vu de 2% des intentions de votes. Même si l’on ne peut exclure un sursaut des électeurs, on peut parler ici de catastrophe historique. Mais il serait injuste d’en faire porter le chapeau à la seule maire de Paris. Depuis 5 ans et l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, les socialistes, sous la houlette d’Olivier Faure, n’ont cessé de s’égarer dans une dénonciation systématique, souvent anecdotique, du nouveau président, en évitant soigneusement de proposer à leurs électeurs le projet qui aurait pu relancer une dynamique de gauche dans l’opinion. Ils récoltent donc le fruit de leur incurie programmatique.
Evidemment, en ces temps de préoccupation environnementale plutôt mieux partagée qu’elle ne le fut dans le passé, le vote de gauche utile aurait pu en toute logique être un vote écologiste. Jamais sans doute les écologistes avaient paru en meilleure position qu’avant ce scrutin. D’ailleurs leur champion Yannick Jadot, s’y voyait déjà, convaincu que l’heure de gouverner était venue pour les écologistes. Et puis, il y a eu la primaire. Et la surenchère entre toutes les tendances et groupes de pression rassemblés par EELV dans son souci d’accéder au pouvoir. Et la défaite de Sandrine Rousseau, sa rivale extrémiste, qui n’a eu de cesse depuis la désignation de Yannick Jadot de lui savonner la planche, en faisant assaut de prises de position maximalistes, et de critiques de “son” candidat jusqu’à se faire éjecter de la campagne écolo. Résultat de cette incapacité de Yannick Jadot à s’affranchir des réseaux d’influence, pour construire un programme de candidature propre, original, une désaffection dans les sondages où il plafonne à 5%.
Du coup, la gauche nous joue le retour du dinosaure, avec en pole position Jean-Luc Mélenchon, 40 ans de politique, qui promet aux Français la retraite à 60 ans pour tous, sauf pour lui, et une rupture radicale avec le capitalisme, et les méchants, qu’ils soient américains, allemands, ou simplement « riches ». Comme en 2017, la décomposition de la gauche social-démocrate le propulse en avant. Dans une moindre mesure toutefois. Si les sondages le placent depuis quelques jours autour de 14%, il lui reste encore du chemin pour atteindre les 19% qui avaient “failli”, comme on aime à le rappeler à la France Insoumise, le propulser au second tour à la dernière présidentielle. Avec quelques handicaps nouveau. D’une part il semble peu probable que Yannick Jadot se retire à son profit avant le premier tour, d’autre part, l’accumulation d’affaires (scandale de la perquisition de ses bureaux, mise en examen de l’association de financement de sa campagne de 2017 pour “escroquerie aggravée”…) fait un peu désordre, autant que ses prises de position à l’emporte-pièce sur Poutine, l’Otan ou la guerre en Ukraine. Mais dans son entourage on mise sur la qualité de l’homme, sa culture, ses talents de tribun, pour emporter la mise au finish. Et l’on note qu’il profite du ralliement d’anciens socialistes, Ségolène Royal par exemple, qui a définitivement décidé qu’il représentait le “vote utile”.
Ce n’est pas l’avis d’un autre dinosaure, l’ex-président François Hollande. Fidèle à la discipline de son parti, il continue du bout des lèvres à soutenir la candidate officielle du PS, Anne Hidalgo. Mais, homme pressé, il anticipe déjà… la défaite de celle-ci, et donc son propre retour: “Une initiative devra être prise au lendemain de l’élection présidentielle pour reconstruire la gauche de responsabilité. Il y va de la vitalité de notre République qui ne peut être privée de l’espoir de l’alternance et de l’attente d’un changement. J’y prendrai toute ma part”.
A sa décharge, il n’est pas le seul à anticiper de 3 semaines la défaite de sa candidate favorite. Le Président du Sénat Gérard Larcher, cité par Libération, reconnaît de son côté que le véritable combat, maintenant, c’est pour limiter les dégâts aux législatives. Bref, des quatre candidates à la présidentielle une seule semble encore dans la course pour le premier tour, Marine Le Pen. Les perdantes pourront toujours se consoler, comme Valérie Pécresse le fait déjà, en regrettant un soutien insuffisant des hommes: « nous les femmes, on a un organe moins puissant que les hommes […] on a besoin d’être soutenues».