Alors que le monde découvre les horreurs de la sale guerre de Poutine, où l’on ramasse dans les villes que vient de quitter son armée, les cadavres de civils abattus dans la rue, parfois les mains entravées, les négociations de paix se poursuivent à Istanbul. Sans que l’on sache exactement où en sont les émissaires des deux pays, puisque Moscou s’applique à y souffler le chaud et le froid. Il y a quelques jours, le Kremlin annonçait que les négociations étaient “significatives” et promettait de “réduire radicalement” ses opérations militaires autour de Kiev. Dès le lendemain le même Kremlin précisait qu’il n’y avait “rien de très prometteur” dans les négociations et bombardait la zone en question. Depuis mercredi dernier, le ministère de La Défense russe promet un “régime de silence” c’est à dire un cessez le feu à Marioupol, afin de permettre l’évacuation de civils. Mais depuis, le Kremlin et La Croix Rouge se renvoient la responsabilité d’un échec de la mise en place du couloir humanitaire.
Lundi, les négociateurs ukrainiens annonçaient toutefois que la Russie avait accepté “oralement” les propositions de l’Ukraine, en particulier la promesse d’un référendum sur la neutralité du pays, et qu’une rencontre Poutine-Zelensky pourrait avoir lieu prochainement en Turquie.
Acceptons en l’augure! La seule voie de salut pour la population ukrainienne, au delà du simple respect par l’ennemi de couloirs humanitaires, passe évidemment par des négociations entre Moscou et Kiev. On ne peut en effet faire la paix qu’avec son ennemi, et donc à un moment ou l’autre il faut chercher une issue de compromis. Qui dit compromis dit concessions, et c’est là que l’exercice s’avère bien difficile. D’autant plus à cause du caractère dissymétrique de ce conflit.
Il y a dissymétrie tout d’abord dans le rapport de forces. D’un côté un pays de 144 millions d’habitants, de l’autre seulement 44 millions. La deuxième armée du monde, plus de deux millions de soldats mobilisables (actifs plus réservistes), contre 500000 à l’Ukraine. Un budget militaire de 1000 dollars par habitants en Russie contre 270 dollars par Ukrainien. Mais il y a plus. Cette guerre est dissymétrique parce que jusqu’à l’hypothétique attaque ukrainienne contre un dépôt de carburant en Russie, elle se déroulait exclusivement sur le territoire ukrainien, à l’initiative de la seule Russie et avec un but de guerre qui est tout simplement l’anéantissement d’un pays indépendant. Comment négocier dans un tel déséquilibre. Quelles concessions demander à un pays qui subit une telle agression de la part d’un pays plus puissant, et ne s’est rendu coupable d’aucune agression à l’égard de celui-ci? Quel compromis trouver entre la volonté de détruire, et l’espoir de survivre? Le chemin de la paix semble bien incertain.
Si l’on en croit une majorité d’observateurs, un compromis pourrait être de couper l’Ukraine en deux et de céder à la Russie le Donbass et les rives de la mer Noire. Une amputation du pays, avec rattachement réel -par pure et simple annexion- ou virtuel -par création de pseudo-états indépendants- de près de la moitié du territoire ukrainien à la Russie, privant l’Ukraine de son accès à la mer Noire. En échange (?), les armées de Poutine cesseraient de massacrer les populations civiles ukrainiennes. Drôle de deal! On a du mal à imaginer que les Ukrainiens acceptent un tel marché. Et digérent les milliers de morts qu’a déjà fait cette guerre dans leur population, l’exode de millions d’autres, l’horreur des exécutions présumées de civils, et les milliards d’euros de destructions des infrastructures… Mais ce n’est pas tout. Il semble que l’envahisseur ne se contente pas de dépecer son voisin et de le priver de son accès à la mer. Il faudrait aussi que les Ukrainiens acceptent de mettre dans la balance leur neutralité à jamais. C’est à dire leur renoncement à entrer dans l’Otan. Mais aussi une limitation de leurs capacités militaires. En clair la Russie attend de l’Ukraine qu’elle cède près de la moitié de son territoire, contre rien, et demeure ensuite sans défense, à la merci du prochain coup de tête de Vladimir Poutine.
De leur côté, les Ukrainiens arrivent à la table de négociations avec une exigence principale, simple: que l’armée russe se retire de leur territoire en totalité et sans conditions. Et se disent prêts à négocier sur les compensations financières que devra verser la Russie pour dédommager l’agressé, et disposés à organiser un référendum national sur la neutralité. On comprend dans ce contexte que le Kremlin estime que les conditions ne sont pas réunies pour une rencontre Poutine-Zelensky.
Poutine a raté sa guerre. Pour aboutir à une issue rapide, il avait besoin d’une capitulation immédiate de l’ennemi. Il attendait de son armée qu’elle s’empare de Kiev en quelques jours, en se débarrassant du président ukrainien, brutalement, ou en douceur avec l’aide éventuelle des occidentaux pour un exil rapide. Le reste, la mise en place d’un gouvernement fantoche, à la manière tchétchène ou biélorusse, avec lequel il pourrait négocier les conditions d’un genre de “pax sovietica” façon Budapest 1956 ou Prague 1968, l’ancien officier du KGB savait faire. Mais c’est raté! A partir du moment où ses buts de guerre semblent, au moins pour l’instant, hors d’atteinte, où Poutine apparait aux yeux du monde comme un criminel de guerre dont l’armée commet des atrocités, il sera bien difficile pour lui de trouver une sortie “honorable” au conflit. Et chaque jour, chaque découverte de massacres commis par ses troupes, en éloigne encore la perspective.