Fake politique…

Quelle fin de campagne! Première en France de “l’ère de la post-vérité”. Les Etats-Unis, d’où nous vient le concept, avaient déjà connu ça en 2016 avec l’élection de Donald Trump et l’accumulation de fake-news et mensonges de propagande du personnage, tandis que les anglais avaient droit à leur lot de tromperies avec la campagne pour le Brexit. Le dictionnaire britannique Oxford en avait fait le mot de l’année 2016 avec la définition suivante: « circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. »

Nous y sommes. La définition s’applique parfaitement à la campagne que nous finissons de vivre: pas ou peu de polémiques sur les faits objectifs, c’est à dire les projets que sont supposés incarner les douze candidats. Non pour dire qu’ils n’ont pas de projets, mais plutôt qu’ils ne se sont pas réellement battus pour les défendre. L’exemple parfait en est la campagne ratée de Valérie Pécresse. De meetings en interviews, elle a axé toute sa communication sur -ou plutôt contre- celui dont elle affirmait qu’elle était “la seule à pouvoir le battre”, qui lui avait “pillé son programme”, qui “refusait le débat avec elle par lâcheté”, le président sortant. Même chose ou presque pour Jean-Luc Mélenchon qui a passé toute son énergie ces derniers jours à dénoncer la soi-disant volonté du même Emmanuel Macron de mettre les enfants de douze ans en apprentissage -projet démenti par l’intéressé et qui ne figure pas dans son programme, donc fausse nouvelle- puis à se féliciter de l’avoir fait changer d’avis sur le sujet… Et que dire d’Eric Zemmour dont le discours électoral n’est fait que d’affirmations fausses, de promesses irréalisables, et d’appel permanent aux pires émotions, au plus bas travers… le rejet de l’autre, la haine de l’étranger et de tout ce qui n’entre pas dans le moule sécurisant d’une idée de la France soi-disant éternelle qui n’a jamais existé.

Mais il faut reconnaître que les candidats s’appuient sur un terrain labouré depuis 5 ans. Peu à peu, d’abord via les réseaux sociaux, puis les chaines de télévision “d’information” en continu, puis enfin l’ensemble des médias, se sont installés dans la dictature de l’émotion, le règne de l’opinion. Les faits objectifs n’ont pas disparu mais ont été ramenés au rang de support du commentaire, de l’opinion. Ce n’est pas l’objectivité des faits qui intéresse les plateaux télé, mais beaucoup plus le “ressenti”. Ressenti pour ou contre la vaccination, plutôt que suivis de pharmaco-vigilance, ressenti sur l’évolution du pouvoir d’achat plutôt que chiffres de l’Insee, opinions sur l’évolution du chomage et la multiplication des emplois précaires, plutôt que rapports de l’ANPE, ressenti sur les mesures d’aides dans la période du “quoi qu’il en coûte” du gouvernement plutôt qu’études statistiques. Et de fait on entretient tous les travers complotistes du public, puisqu’il traduisent de l’émotion ressentie, et des opinions personnelles mais partagées. On l’a vu pendant la crise des gilets jaunes, mais aussi avec la pandémie, et dans la préparation de l’élection présidentielle.

C’est par moment spectaculaire. Pendant cette campagne, Marine Le Pen, par exemple a bénéficié d’un traitement par les médias dont l’angle principal, le narratif politique, était: comment elle est parvenue à se dédiaboliser et à paraître aimable en se faisant la championne du pouvoir d’achat. Les faits objectifs -les condamnations du Front National, le financement russe de son parti, mais aussi les mesures de nature discriminatoires et anticonstitutionnelles qu’elle propose, ou encore le financement impossible de son programme- ont été éclipsés par le commentaire 100 fois répété de l’amélioration de son image, et de sa progression quotidienne dans les sondages. Pour cela, il faut dire que les sondages quotidiens réalisés par les principaux instituts font le bonheur du commentateur. Pas besoin de se creuser la tête, d’envoyer des enquêteurs sur le terrain, d’étudier dans le détail les programmes… trois sondages par jour avec quelques variations de chiffres après la virgule, et quelques micro-trottoirs, où l’on recueille “le ressenti” des électeurs, nourrissent mieux le commentaire d’opinion quotidien que de fastidieuse discussions autour de faits objectifs.

Dans cette ère de la post-vérité, il y a donc des opinions qui ne se discutent pas. Exemples: «Marine Le Pen est la candidate du pouvoir d’achat», ou encore «le vote utile à gauche, c’est Mélenchon» ou également «les Français détestent Macron»… Des opinions qui a force de rabâchage sur les plateaux-télé deviennent réalités du moment. Du coup lorsque dans un sondage, les quelques 30% d’électeurs qui ont l’intention de voter pour le président sortant disent bien sûr souhaiter qu’il soit réélu, tandis que les électeurs des autres candidats ne le souhaitent évidemment pas, le commentaire devient: «près de 70% des électeurs ne souhaitent pas que Macron soit réélu». CQFD.

Bien sûr on pourra rétorquer le président sortant n’a pas su ou voulu s’adapter à cette nouvelle donne et mener une campagne plus active, plus investie, pour provoquer la confrontation des programmes. Sans doute n’a -t-il pas senti, qu’entre 2017 et 2022 on avait -un peu- changé d’époque. Que cette bataille pour provoquer les émotions du public en mettant en scène les opinions les plus caricaturales, les plus outrées -Cyril Hanouna étant le champion toutes catégories de cette nouvelle “tendance”- exigeait, même d’un président en charge, même en temps de guerre, et d’épidémie, qu’il descende dans l’arène, pour se frotter aux fake-news, aux procès d’intentions, aux attaques de circonstances sur la thématique du “scandale d’Etat”. Sur ce dernier chapitre le prix du plus beau coup fourré de campagne va incontestablement aux gens qui ont conseillé aux parents de Samuel Paty de porter plainte contre l’Etat à trois jours de l’élection, contre l’avis de la compagne et du fils de la victime de l’assassinat à motivation islamiste intervenu il y a 18 mois.

En attendant le 24 avril, on aura dimanche une première idée de l’endroit où tout cela nous a conduit. Si le résultat du vote démontre, comme on peut le craindre, que nous avons en France la plus forte extrême droite d’Europe, et que trois des candidats mis par les Français dans le quatuor de tête sont ceux qui nous promettent sinon un retrait, du moins un repli de l’engagement européen de la France, il y aura à s’interroger sur les raisons qui nous ont conduit là.

1 réflexion sur « Fake politique… »

  1. Pertinente analyse ,constat implacable…mais comment sortir de cette spirale mortifère si le pouvoir médiatique “garant” des libertés ,”garant” de la vérité, de la démocratie éclipse les faits objectifs….?

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